Accès gratuit
Numéro
Pédagogie Médicale
Volume 21, Numéro 3, 2020
Page(s) 111 - 119
Section Recherche et perspectives
DOI https://doi.org/10.1051/pmed/2020036
Publié en ligne 3 décembre 2020

© SIFEM, 2020

Introduction

Le système de santé canadien repose sur des principes tels que l’universalité et l’accessibilité des soins [1]. Toutefois, certains groupes d’individus comme les personnes en situation d’itinérance, les migrants à statut précaire et les autochtones sont touchés de façon disproportionnée par des inégalités sociales de santé [2]. Ces groupes en situation de vulnérabilité requièrent généralement plus de soins médicaux que la population générale [3]. Ils peuvent cependant être confrontés à une attitude négative de la part de certains professionnels de la santé, ce qui contribue à renforcer ces inégalités [4]. Cette attitude négative peut avoir des effets néfastes sur la santé des individus qui ont le plus besoin de soutien, que ce soit en favorisant leur impression d’infériorité [5], en renforçant leur réticence à utiliser les services médicaux [6] ou en diminuant la qualité des soins qui leur sont prodigués [7]. Nous nous sommes intéressés dans cette étude à l’attitude des soignants envers les personnes en situation d’itinérance, qui sont un exemple d’un groupe qui subit à la fois des inégalités de santé et une attitude généralement négative de la part des professionnels de la santé [8].

Cette étude s’inscrit dans la mouvance actuelle des facultés de médecine en matière de responsabilité sociale et d’équité, de diversité et d’inclusion. Les normes des comités d’agrément demandent de plus en plus aux facultés de médecine d’offrir aux futurs cliniciens un apprentissage en communauté afin de développer des attributs professionnels de base pour répondre aux besoins des personnes en situation de vulnérabilité [9]. Pour l’instant, la littérature met plutôt en évidence un renforcement des attitudes négatives et du cynisme pendant le cursus médical, en partie en raison du curriculum caché, qui fait référence à la culture médicale apprise informellement, notamment par l’observation de modèles de rôle [1012]. Il est donc essentiel de mettre sur pieds des stages dans les cursus médicaux destinés à outiller les étudiants pour travailler avec ces populations, être critiques vis-à-vis du curriculum caché et résister au cynisme. Il en va de la responsabilité sociale des facultés de médecine d’évaluer ces nouvelles initiatives pédagogiques et de s’assurer qu’elles remplissent leur objectif et n’aient pas au contraire un effet délétère.

Certaines initiatives basées sur l’apprentissage en communauté ont été mises sur pieds dans différents programmes de formation de professionnels de la santé pour mieux les préparer à la prise en charge de personnes en situation d’itinérance. Ces stages ont fait l’objet d’évaluations visant à mesurer leur impact en utilisant différents questionnaires d’attitude [1316]. Le plus souvent, il s’agit de stages encadrés, c’est-à-dire qu’ils jumellent l’apprentissage par contact direct en communauté avec des cours et des discussions de groupes. Ce format est préconisé par certains auteurs qui ont observé qu’une courte immersion avec des personnes en situation de vulnérabilité, lorsqu’elle n’est pas encadrée de la sorte, pouvait entraîner une attitude plus négative à l’égard de ces personnes à la suite de l’exposition [10,17]. Certains stages sont intensifs, c’est-à-dire qu’ils ont lieu pendant un bloc condensé de plusieurs jours, et d’autres ont un format plus longitudinal, avec par exemple une demi-journée d’apprentissage en communauté ou de formation chaque semaine sur une ou plusieurs années [13,15,16]. Nous n’avons trouvé dans la littérature la mention que qu’un seul stage obligatoire, intensif et encadré, aux États-Unis, qui touchait six résidents en médecine interne par année [14]. À l’Université de Montréal, un stage intensif d’une semaine, encadré et obligatoire, ayant pour objectif d’améliorer l’attitude des externes en médecine à l’égard des gens en situation de vulnérabilité a été intégré au cursus depuis septembre 2013.

La présente étude a pour objectif principal de mesurer le changement d’attitude des externes vis-à-vis des personnes en situation d’itinérance avant et après le stage d’externat de médecine sociale engagée de l’Université de Montréal. Jusqu’à maintenant, à notre connaissance, aucun stage obligatoire, encadré et intensif pour les étudiants en médecine n’a permis de mesurer une amélioration significative par un score d’attitude. Les objectifs secondaires sont l’évaluation de la contribution de différentes caractéristiques sociodémographiques des participants, ainsi que le maintien à moyen terme de l’effet du stage sur l’attitude des étudiants.

Méthodes

Il s’agit d’une étude prospective sans groupe témoin dans laquelle on compare au sein d’une même cohorte d’externes en médecine leur attitude à l’égard des personnes en situation d’itinérance avant et après avoir participé au stage. L’étude a été réalisée auprès des externes de quatrième année de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal aux campus de Montréal et de Trois-Rivières. Les 271 externes (étudiants en troisième et quatrième années) inscrits au programme de médecine de l’Université de Montréal pour l’année 2015–2016 présents au stage étaient éligibles pour participer à l’étude.

Intervention

Le stage obligatoire d’une durée de cinq jours a été dispensé à sept reprises auprès de groupes d’environ 30 à 40 externes à la fois, de juillet 2015 à mars 2016. La structure et le contenu des stages des campus de Montréal et Trois-Rivières sont identiques. La première journée comprend un ensemble de jeux de rôles à propos d’une patiente en situation d’itinérance et des discussions à propos des déterminants sociaux de la santé et de certains groupes de patients spécifiques en situation de vulnérabilité. Les formateurs sont des médecins œuvrant auprès de populations en situation de vulnérabilité ayant un intérêt pour la pédagogie médicale. Les jours 2, 3 et 4 du stage sont consacrés à une présence d’un minimum de 15 heures dans une ressource communautaire ou un milieu clinique offrant des services aux individus en situation de vulnérabilité. Les milieux de stage sont très variés et incluent notamment des établissements de détention, des refuges pour personnes en situation d’itinérance, des centres de périnatalité sociale pour migrants à statut précaire, des sites de distribution de matériel d’injection et des cliniques spécialisées en virus de l’immunodéficience humaine (VIH). Les externes pouvaient communiquer aux responsables du stage leur sujet d’intérêt et un jumelage entre les étudiants et les milieux était alors fait pour accommoder le plus de personnes possibles. Dans la plupart de ces milieux, les externes ont des contacts avec des personnes en situation d’itinérance. Le rôle des externes dans ces ressources est d’observer et non d’intervenir. Ils sont toutefois encouragés à interagir avec les utilisateurs et le personnel des ressources visitées pour comprendre l’histoire de vie de ces personnes, leur réalité à l’extérieur de l’hôpital ainsi que les ressources communautaires fréquentées. La cinquième et dernière journée de la semaine de stage vise à consolider les acquis des jours précédents, à partager les expériences des externes entre eux et à poursuivre et stimuler les réflexions des externes à l’aide de discussions de groupe. Une fois la semaine terminée, il est demandé aux externes de fournir un travail réflexif écrit.

Instrument de mesure

L’attitude des externes envers les personnes en situation d’itinérance a été mesurée avant et après le stage en utilisant le Health Professionals’ Attitudes Toward the Homeless Inventory (HPATHI) [18]. Ce questionnaire de 19 items permet d’évaluer l’attitude des professionnels de la santé envers les personnes en situation d’itinérance en regard de trois dimensions, soit l’engagement personnel du professionnel envers la problématique de l’itinérance (engagement personnel, neuf items), sa croyance envers le rôle de la société pour résoudre cette problématique (engagement social, six items) et le cynisme envers cette problématique (cynisme, quatre items). Chaque item est un énoncé sur lequel le participant exprime son degré d’accord ou de désaccord à l’aide d’une échelle de Likert numérique à cinq degrés, où 1 représente le plus grand désaccord et 5 représente le plus grand accord. Un score plus élevé représente une attitude plus favorable envers les personnes en situation d’itinérance. Ce questionnaire a été publié en 2005 et validé auprès d’une population d’étudiants en médecine et de professionnels de la santé aux États-Unis.

D’autres questionnaires ont été identifiés dans la littérature mais n’ont pas été retenus, tel que l’Attitudes Towards the Homeless Questionnaire (ATHQ) qui a été jugé insuffisamment réactif au changement, l’Attitudes Toward Homelessness Inventory (ATHI) qui n’a pas été créé spécifiquement pour les professionnels de la santé [19] et le Medical Students’ Attitudes Toward the Underserved (MSATU), qui évalue l’attitude envers les personnes en situation de vulnérabilité mais qui est très spécifique à la réalité des États-Unis. L’HPATHI, rédigé initialement en anglais, a été traduit en français par une traductrice certifiée. Les coefficients alpha de Cronbach de la version anglaise et française sont respectivement de 0,84 et 0,87.

Collecte de données

Le questionnaire en format papier a été distribué par des formateurs qui ne faisaient pas partie du comité de recherche à tous les externes le matin de la première journée de stage (T0) et à la fin de la cinquième et dernière journée du stage (T1). Il a également été distribué en format électronique à la toute fin de l’externat des participants (T2) afin d’évaluer le maintien de l’effet du stage dans le temps, la distance entre T1 et T2 variant entre quatre et 12 mois. Les caractéristiques sociodémographiques, soit le genre, l’âge, le lieu d’origine selon le code postal à 15 ans, le choix de spécialité, l’expérience antérieure avec des personnes en situation d’itinérance et la classe du revenu familial brut des parents des répondants ont été collectées en T0 seulement. Tous les externes étaient invités à remettre leur questionnaire dans une enveloppe, complété ou non. Cette façon de faire a été privilégiée afin d’assurer la confidentialité des réponses et la confidentialité des étudiants qui ne souhaitaient pas participer. Un code personnel connu seulement des participants permettait d’apparier leur questionnaire pré stage à leurs deux questionnaires post stage en préservant leur confidentialité.

Analyse des données

L’issue primaire est l’amélioration du score total à l’HPATHI entre le début (T0) et la fin du stage (T1). Secondairement, les scores pré et post de chacune des trois dimensions de l’attitude, ainsi que de chaque item individuel du questionnaire ont aussi été comparés. Puisqu’on pouvait s’attendre à un plafonnement du score pour les externes ayant initialement une attitude positive, nous avons divisé notre échantillon en trois groupes (terciles) selon leur score initial pour évaluer spécifiquement l’effet du stage sur chacun de ces groupes. Nous avons également mesuré le maintien de cet effet dans le temps avec une troisième mesure (T2). Par ailleurs, nous avons exploré l’effet de chacune des caractéristiques sociodémographiques sur le changement d’attitude à l’aide d’analyses univariées. Nous n’avons pas fait d’analyse selon le milieu de stage vu le petit nombre d’externes en médecine dans chaque milieu et pour des raisons de confidentialité. En raison du trop petit nombre de participants au campus de Trois-Rivières (n < 50) et de la structure identique du programme, nous les avons inclus dans le total des participants.

Nous avons procédé aux analyses en utilisant le logiciel Stata v.11.0. Pour qu’un questionnaire soit analysé, au moins 75 % des 19 items de l’HPATHI devaient être renseignés et le questionnaire pré (T0) devait pouvoir être jumelé avec un questionnaire post (T1). Pour l’ensemble des comparaisons de moyenne, un test t apparié a été effectué. Les scores totaux ont été ramenés sur une échelle de 5 pour chaque participant pour être représentatif de l’échelle de Likert utilisée et pour faciliter la comparabilité avec d’autres études. Une erreur alpha bilatérale de 0,01 a été retenue comme seuil de signification en raison de la multitude d’analyses effectuées. Un test d de Cohen a été effectué pour mesurer la taille de l’effet [20]. Des tests Chi-2 et Fisher ont été utilisés pour chaque variable démographique pour vérifier que les pertes au suivi ne forment pas un groupe distinct de notre population d’étude. L’effet des caractéristiques sociodémographiques sur la différence entre le score au T0 et au T1 a été exploré en utilisant un test t de Student comparant la variation moyenne de chaque groupe formé par les variables binaires. Puisque l’âge n’était pas normalement distribué, une variable binaire a été créée autour de la médiane.

Résultats

Deux cent soixante-et-onze externes en médecine ont participé au stage, dont 22 au campus de Trois-Rivières. Trente-deux (12 %) d’entre eux ont refusé de participer à l’étude initialement. Puisque les étudiants ne participant pas n’ont remis que des questionnaires vides de façon anonyme, il est impossible de connaître la raison de leur refus. Le taux de participation a été de 88 % au T0. Parmi ces 239 répondants au T0, 139 (58 %) ont également répondu au questionnaire au T1 et 57 (24 %) au T2 (Fig. 1). Les caractéristiques sociodémographiques des participants sont présentées dans le tableau I. L’âge moyen des participants à T0 était de 25 ans et la médiane de 24 ans. La majorité était des femmes (63 %) et provenait de régions urbaines (85 %). Aucune différence sociodémographique statistiquement significative n’a été observée entre tous les participants ayant répondu initialement au T0 (groupe initial), ceux ayant répondu à la fois au T0 et au T1 et faisant partie de l’analyse de l’issue primaire (groupe final), et ceux ayant répondu à toutes les périodes et étant inclus dans l’analyse du maintien de l’effet.

Les différents résultats sont présentés dans les tableaux I à IV.

Le score total moyen au HPATHI est significativement plus élevé après le stage qu’avant le stage (respectivement 3,91 vs. 3,76, +0,15 p < 0,0001 ; d de Cohen 0,54 (1)). La division du groupe en terciles montre un changement plus marqué pour le tercile d’externes qui débutent le cours avec l’attitude la plus défavorable (3,55 vs. 3,34, +0,21 p < 0,001 (1)) et un changement plus faible, non-significatif, chez ceux qui ont déjà une attitude positive (4,33 vs. 4,24, +0,09 p = 0,017). Par ailleurs, une amélioration significative a été observée en regard des dimensions concernant l’engagement personnel (3,82 vs. 3,66, +0,17 p < 0,001 (1)) et l’engagement social (4,07 vs. 3,89, +0,18 p < 0, 001), mais la dimension du cynisme n’était pas significativement modifiée (3,87 vs. 3,80, +0,07 p = 0,08). Pour fin de comparaison avec les autres études, nous avons également présenté les variations pour chaque item dans le tableau III.

L’analyse du maintien de l’effet du stage dans le temps a été effectuée sur les 57 questionnaires complétés par les participants au T2. Le temps moyen entre le T1 et le T2 était de 32 semaines. Chez ces externes, le score au questionnaire a diminué pendant la période entre le stage et la fin de leur externat (3,77 vs. 3,89, −0,12 p = 0,001). Il persiste une tendance vers une différence entre leur score à T2 et leur score à T0 mais celle-ci n’est plus significative (3,79 vs. 3,71, +0,08 p = 0,05, tableau non présenté).

L’analyse exploratoire stratifiée et univariée de l’effet des caractéristiques sociodémographiques n’a identifié aucun facteur modifiant significativement l’issue primaire, bien qu’une tendance ait été observée pour le genre et, dans une moindre mesure, pour le revenu familial (voir Tab. IV). Le changement d’attitude a été relativement plus élevé chez les femmes que chez les hommes à la suite du stage (+0,19, de 3,77 à 3,96 chez les femmes vs. +0,08, de 3,74 à 3,82 chez les hommes, p = 0,02). Finalement, l’expérience antérieure avait un effet positif sur l’attitude initiale avant le stage (3,83 pour le groupe avec expérience vs. 3,63 pour le groupe sans expérience, p < 0,001, (1)), mais pas sur l’issue primaire (+0,13 vs. +0,19, p = 0,32 (1)) ni sur l’attitude à la fin du stage. La période (semaine) à laquelle le stage était effectué dans l’année n’avait pas d’effet sur l’issue primaire.

thumbnail Fig. 1

Constitution de l’échantillon final.

Tableau I

Caractéristiques sociodémographiques des participants1.

Tableau II

Changement du score de Health Professionals’ Attitudes Toward the Homeless Inventory (HPATHI) entre T0 et T1, selon le tercile du score au T0, et selon les dimensions du questionnaire ; n = 139.

Tableau III

Changement du score entre T0 et T1 pour chaque item de Health Professionals’ Attitudes Toward the Homeless Inventory (HPATHI) ; n = 139.

Tableau IV

Changement du score entre T0 et T1 selon les caractéristiques sociodémographiques.

Discussion

La présente étude a montré que le présent stage obligatoire augmente favorablement le score d’attitude des externes à l’égard des personnes en situation d’itinérance, avec un effet de taille modérée (d = 0,54). Nous n’attendions pas un effet plus grand, l’attitude étant un attribut difficile à modifier et le stage étant de courte durée. La présente étude ajoute à l’évidence [14] qu’un stage en communauté, intensif, encadré et obligatoire est un modèle qui peut améliorer l’attitude des futurs médecins envers les personnes en situation d’itinérance. À notre connaissance, il n’existe pas de seuil permettant de déterminer à quel moment un changement objectif dans le score se traduit par un changement significatif de l’attitude.

Aucune étude n’a jusqu’à présent permis de mettre en évidence une amélioration significative du score total de l’HPATHI suite à une intervention. Un programme longitudinal de la Baylor School of Medicine, durant lequel les étudiants participaient régulièrement à des cliniques pour personnes en situation d’itinérance a été évalué en pré et en post programme en utilisant l’HPATHI et l’ATHI, démontrant une diminution non-significative de l’attitude à la suite du programme entre la première et la troisième années de médecine chez les participants [15]. Finalement, la participation volontaire d’étudiants en physiothérapie à une clinique gérée par des étudiants pour les patients en situation d’itinérance n’a pas montré d’amélioration significative du score total de l’HPATHI [21]. Nous croyons que le caractère obligatoire du présent stage constitue la différence principale ayant permis d’obtenir une amélioration significative.

L’analyse secondaire des résultats pour chacune des trois dimensions de l’HPATHI suggère que l’engagement personnel et l’engagement social sont positivement modifiés par le stage. Par ailleurs, considérant que le cynisme est souvent identifié comme un facteur déterminant de la perte d’idéalisme et de l’attitude moins positive des étudiants à la fin de leurs études médicales [22], la présente étude n’a pas montré une amélioration significative de cette dimension. Ceci pourrait être attribuable à la courte durée du stage. On peut en effet supposer que le contact et les discussions ont permis d’intéresser et d’impliquer les étudiants, mais que ces derniers n’ont pas eu le temps d’être suffisamment exposés aux milieux pour être témoins des évolutions positives des usagers et des patients, ce qui s’observe habituellement sur plusieurs mois et années et aurait pu confronter leur cynisme.

L’analyse par terciles suggère qu’un changement plus important s’opère chez ceux qui commençaient le stage avec une attitude plus négative alors qu’on observe une absence de changement significatif chez ceux ayant débuté avec une attitude plus positive. Il est possible que si le stage avait été optionnel, il aurait concerné la tranche d’externes déjà intéressés et ayant déjà une attitude favorable envers les personnes en situation d’itinérance, et n’aurait eu que peu d’effet. Ceci est accrédité par l’absence d’amélioration significative mesurée suite aux programmes optionnels d’autres universités [15,16,21].

Nos résultats suggèrent que les acquis du stage tendent à diminuer au fil du temps, comme en témoigne la diminution du score entre le T1 et le T2. Ces résultats doivent être examinés avec prudence en considérant le nombre restreint de répondants et la distance variable entre le stage et la mesure du T2. Néanmoins, une régression est attendue en pédagogie même lorsqu’il est question d’attitude [23] et milite pour l’implantation de rappels visant à renforcer les changements obtenus. Ces rappels pourraient s’effectuer par l’ajout d’autres stages similaires pendant la résidence ou par une exposition longitudinale encadrée auprès des populations en situation d’itinérance tout au long de la formation médicale.

L’analyse exploratoire suggère que les femmes ont mieux répondu au stage que les hommes. Nous n’avons pas trouvé de différence significative par rapport au genre en pré-intervention (T0). Il est possible que le langage et les thèmes abordés par le stage fassent plus appel à l’empathie et soient plus facilement acceptés par les femmes [24]. Il y avait également plus d’enseignantes femmes, ce qui pourrait avoir facilité un sentiment d’association auprès des participantes. Il n’a cependant pas été possible de mesurer le possible impact des différents formateurs sur l’attitude des étudiants.

Cette étude n’avait pas de groupe contrôle qui aurait permis de comparer l’effet du stage à un groupe ne l’ayant pas suivi. Cette comparaison n’a pu être réalisée car le stage est obligatoire pour l’ensemble des étudiants de la faculté de médecine. Cependant, le fait que le stage soit très court et dispersé sur différentes périodes dans l’année permet concrètement d’exclure qu’un facteur externe au stage lui-même soit responsable de l’effet observé. Les pertes durant la période de suivi ont été importantes de sorte que l’évaluation en T2, visant à explorer le maintien dans le temps de l’effet du stage sur l’attitude des étudiants, a été menée auprès d’un nombre limité de participants. Cependant, nous n’observons pas de différence significative entre les pertes durant la période de suivi et le groupe étudié. Il est aussi possible qu’un biais de désirabilité sociale se soit glissé dans les résultats, les étudiants ressentant une plus forte affiliation envers les formateurs à la fin du stage et répondant alors plus favorablement au questionnaire sans que cela ne reflète leur attitude réelle. La remise anonyme des questionnaires devrait néanmoins minimiser cet effet.

Cette étude, qui s’est intéressée aux personnes en situation d’itinérance, ne donne pas d’information sur l’attitude envers tous les différents groupes en situation de vulnérabilité qui sont ciblés par le stage. Il est possible que l’attitude envers une population ciblée soit représentative de l’attitude envers d’autres populations en situation de vulnérabilité. L’utilisation d’un questionnaire considérant toute forme de vulnérabilité, tel qu’une adaptation du Medical Students’ Attitudes Toward the Undeserved (MSATU) [16], serait une piste de recherche intéressante pour vérifier cette hypothèse. D’autres types de questionnaires psychométriques pourraient aussi être utilisés pour mesurer si ce changement d’attitude envers une population ciblée témoigne de changements plus profonds dans les schèmes de pensées qui sous-tendent l’attitude envers différents groupes en situation de vulnérabilité.

Par ailleurs, la présente étude ne permet pas de savoir si le changement d’attitude se traduira éventuellement en amélioration tangible pour les personnes en situation d’itinérance. L’attitude, souvent vue comme la prédisposition à un comportement, n’en est pas la seule composante et ne peut à elle seule prédire le comportement des professionnels de la santé [25]. Pour réellement évaluer l’impact du stage sur les inégalités sociales de santé, il serait donc intéressant d’évaluer le futur comportement des médecins qui y ont été exposés ainsi que la perception des patients ayant interagi avec ces médecins.

Conclusion

Cette étude a montré que le stage de médecine sociale engagée de l’Université de Montréal, qui est un stage obligatoire, intensif et encadré, contribue à améliorer l’attitude des externes en médecine envers les personnes en situation d’itinérance. Il serait intéressant d’évaluer différentes méthodes de rappel permettant un meilleur maintien de l’effet dans le temps. D’autres études seront nécessaires pour évaluer si cette amélioration d’attitude se traduit en améliorations tangibles pour les patients.

Contributions

Marc-André Lavallée a conçu le protocole de recherche, procédé à l’interprétation des résultats, à l’analyse statistique et à la rédaction du manuscrit. Anne-Sophie Thommeret-Carrière a contribué à la conception du protocole de recherche, au recueil des données, à l’interprétation des résultats et à la rédaction du manuscrit. Marie Authier a contribué à la conception du protocole de recherche et à la révision du manuscrit. Fatoumata Binta Diallo a révisé des versions du manuscrit.

Approbation éthique

La recherche a été approuvée par le comité d’éthique de la recherche en santé (CERES) de l’Université de Montréal. (Projet 15-063-CERES-D).

Liens d’intérêts

Aucun auteur ne déclare de conflit d’intérêts en lien avec le contenu de cet article.

Financement

Les auteurs ont reçu du financement de la CUMF Baie-des-Chaleurs pour couvrir les frais de traduction du questionnaire et les frais de consultation d’un statisticien, ainsi qu’une bourse du Réseau-1-Québec pour contribuer au rayonnement des résultats dans des congrès et pour le soutien à la rédaction d’un article scientifique.

Cette recherche a été effectuée dans le cadre d’un projet académique dans le cadre de la résidence en médecine familiale à l’Université de Montréal. Elle a été présentée lors des événements suivants :

  • Journée d’érudition scientifique 2016 et 2017 de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal (présentations orales)

  • Les journées de la recherche du RRSPUM (Affiche)

  • Les journées de la recherche de Réseau-1 Québec (Affiche)

  • Webinaire de Réseau-1 Québec (présentation orale)

  • Conférence canadienne sur l’éducation médicale 2017 (présentation orale)

  • Conférence européenne de Santé Publique 2017 (présentation orale courte)

Remerciements

Les auteurs souhaitent remercier les personnes et entités suivantes pour leur appui et encouragements : Dre Marie-Ève Goyer, Dr Janusz Kaczorowski, Dr Philippe Karazivan, le Réseau de recherche en soins primaires de l’Université de Montréal (RRSPUM), Réseau-1 Québec, et la Clinique universitaire de médecine de famille (CUMF) Baie-des-Chaleurs, Québec.

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1

Les refus de réponse n’ont pas été inclus dans le tableau afin d’en alléger la présentation. La somme des groupes sociodémographiques ne correspond donc pas exactement au total de participants, et la somme des pourcentages n’égale pas 100 %.

Citation de l’article : Lavallée M.-A., Thommeret-Carrière A.-S., Authier M., Binta Diallo F. La participation à un stage en communauté, obligatoire et encadré change-t-elle l’attitude des externes en médecine à l’égard des personnes en situation d’itinérance ? Une étude pré et post. Pédagogie Médicale 2020:21;111-119

Liste des tableaux

Tableau I

Caractéristiques sociodémographiques des participants1.

Tableau II

Changement du score de Health Professionals’ Attitudes Toward the Homeless Inventory (HPATHI) entre T0 et T1, selon le tercile du score au T0, et selon les dimensions du questionnaire ; n = 139.

Tableau III

Changement du score entre T0 et T1 pour chaque item de Health Professionals’ Attitudes Toward the Homeless Inventory (HPATHI) ; n = 139.

Tableau IV

Changement du score entre T0 et T1 selon les caractéristiques sociodémographiques.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Constitution de l’échantillon final.

Dans le texte

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