Numéro |
Pédagogie Médicale
Volume 23, Numéro 4, 2022
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Page(s) | 251 - 253 | |
Section | Lettre à la Rédaction | |
DOI | https://doi.org/10.1051/pmed/2022019 | |
Publié en ligne | 17 août 2022 |
Enseigner en étant centré sur l’apprenant. Le témoignage concret d’une enseignante clinicienne
Learner-centred teaching. The concrete testimony of a clinical teacher
Professeur adjoint de clinique Département de médecine familiale et de médecine d'urgence Université de Montréal, Montréal, Canada
Mailto : carmen.baltazar.med@ssss.gouv.qc.ca
Reçu :
23
Avril
2022
Accepté :
21
Mai
2022
« Écrire sa propre philosophie d’enseignement est une tâche difficile, même pour un professeur d’expérience. » [1]. Sans me qualifier « d’expérience », je peux toutefois affirmer que j’enseigne depuis 19 ans, en l’occurrence depuis le jour où j’ai commencé à pratiquer comme médecin d’urgence à l’Institut de cardiologie de Montréal. Dès le début de ma pratique, j’ai été appelée à superviser des apprenants. À ce moment-là, ma seule philosophie de l’enseignement consistait à ne pas reproduire les pratiques des enseignants qui m’avaient négativement marquée au cours de ma propre formation. Bien sûr, ma conception de l’apprentissage a évolué et, aujourd’hui, elle se situe très loin de cette philosophie d’enseignante novice.
Mon contexte d’enseignement s’est enrichi au fil des années. D’abord, dans le cadre de mes quarts de travail, je supervise des apprenants en médecine en stage optionnel au service d’urgence. Bien qu’il m’arrive de superviser des externes, je travaille surtout avec des résidents inscrits en médecine familiale et en spécialité d’urgence. Cette supervision, surtout indirecte, se fait en révisant leurs évaluations cliniques de patients consultant au service d’urgence. De plus, chaque mois, j'offre un cours plus théorique sur l’évaluation de la douleur thoracique. Enfin, je suis impliquée dans des activités de simulation visant les résidents, mais également des infirmières d’urgence, notamment pour intégrer la collaboration interprofessionnelle.
À partir de cette expérience personnelle comme enseignante, je voudrais tenter d’expliciter ici ma philosophie actuelle de l’enseignement, tâche qualifiée de difficile par de nombreux formateurs. Lors de mes débuts comme enseignante, il était bien sûr plus facile pour moi de simplement « transmettre » mes connaissances aux apprenants. Or, avec l’expérience acquise, j’ai développé une approche d’enseignement qui s’efforce d’être davantage centrée sur mes apprenants. Dans ma pratique actuelle, cette conception se traduit par l’utilisation de diverses stratégies d’enseignement, issues de plusieurs courants éducationnels, que j’illustrerai dans les paragraphes suivants.
Tout d’abord, au début de chaque quart de travail, je prends un moment pour connaître les résidents, notamment leur niveau de formation, leurs stages antérieurs et leur programme de résidence. Sur ces bases-là, ensemble, nous établissons solidairement des objectifs pour la journée, en tenant compte de leurs difficultés, de leurs buts de carrière ou de leur curiosité [2]. En facilitant une compréhension mutuelle des objectifs, je crée une alliance pédagogique [3] et favorise ainsi un climat propice à l’apprentissage, ce qui constitue une part importante de mon rôle d’enseignante. Comme je considère aussi que mon rôle est de motiver mes apprenants, j’y parviens en donnant de la place à leurs objectifs personnels, ainsi qu’en leur offrant des choix quant aux types de patients à rencontrer durant leur quart de travail.
Ensuite, lors de la révision des histoires de cas, mon rôle n’est pas de transmettre mes savoirs, comme je pouvais le faire autrefois, mais plutôt d’être une facilitatrice des apprentissages [4]. Par exemple, lorsque les apprenants me présentent une histoire de cas conduisant à un diagnostic pour lequel ils ne connaissent pas le traitement, je ne leur « donne » pas simplement la réponse pour qu’ils la « reçoivent » passivement. Au contraire, je les dirige vers des guides de pratique et des ressources à consulter et les amène vers l’autonomie. Ainsi, ils sont appelés à prendre un rôle actif et à être impliqués dans la tâche difficile d’apprendre. Par ailleurs, je profite des cas supervisés pour inciter les résidents à énoncer une ou deux questions qu’ils se posent et à y répondre avec mon aide.
De plus, pendant mes quarts de travail avec des résidents, j’illustre auprès d’eux que je suis également une apprenante. Par exemple, il m’arrive de ne pas avoir la réponse à une question posée et de devoir recourir à un collègue. C’est ainsi que, enseignante et résident, nous apprenons ensemble, non seulement de manière individuelle, mais également de manière interpersonnelle, en suscitant des interactions et en exploitant diverses ressources du milieu (cardiologues, pharmaciens, etc.) [4]. C’est lors de ces interactions que je peux exercer mon rôle de modèle, autant en matière de pratique collaborative que de pratique réflexive.
Enfin, après chaque quart de travail, je fournis à mon apprenant une rétroaction afin de mettre en exergue les apprentissages de la journée et non pour mesurer la quantité d'apprentissages. Lors de cette rétroaction, j’incite d’abord le résident à procéder à l’auto-évaluation de son travail, puis je lui pose des questions pour la faire nuancer [5]. C’est donc un moment privilégié de dialogue et d’échanges constructifs. Ici, mon rôle est d’engager activement le résident dans l’utilisation de stratégies métacognitives faisant référence à l’évaluation et à la régulation [4]. Cette rétroaction spécifique et immédiate a aussi pour but de développer le sentiment de compétence du résident et d’alimenter ainsi sa motivation, puis de l’amener à partager ce qui pourrait l’aider à se sentir plus compétent. Ici, je me veux, en quelque sorte, la gardienne de l’alliance pédagogique, par mon écoute et par le respect du point de vue de l’apprenant [3].
Bien qu’il eût été moins exigeant de rester axée sur la transmission de mes connaissances, je constate plusieurs impacts positifs d’un modèle d’enseignement axé sur « l’apprendre », autant pour mes apprenants que pour moi. Pour ce qui est de mes étudiants, ils sont certainement plus motivés à apprendre, développent leurs habiletés relationnelles et apprennent plus en profondeur en faisant des liens entre leurs apprentissages [6]. Pour ma part, je suis nourrie par des échanges constructifs avec mes apprenants et enseigne dans un environnement d’apprentissage interactif et de coopération.
Par ailleurs, un enseignement axé sur « l’apprendre » répond bien aux caractéristiques de mes apprenants qui sont des adultes issus, pour certains, de la génération Y. [7]. Par exemple, en m’informant des expériences d’apprentissage précédentes de mes résidents, je valorise leurs connaissances antérieures ce qui est important pour des apprenants adultes. De plus, en les guidant vers l’autosuffisance, je cultive le processus d’indépendance et d’autonomie qui caractérise ces apprenants. En leur offrant des choix quant aux types de patients à rencontrer, en lien avec leurs objectifs personnels, je suscite leur motivation à apprendre puisque les adultes apprennent ce qu’ils ont besoin de savoir [8]. Comme les membres de la génération Y ont été victimes de surinvestissement, ils n’ont pas une grande confiance en eux et sont motivés par la reconnaissance. Ils ne veulent pas être des spectateurs passifs et apprécient que l’on tienne compte de leurs opinions [7]. Ainsi, en leur offrant un milieu d’apprentissage qui favorise des interactions et des rétroactions fréquentes, et en les faisant participer aux décisions, je mets en pratique ma conception de l’enseignement centré sur l’apprenant et respecte en outre les caractéristiques de mes apprenants issus de cette génération.
En appliquant ma philosophie d’enseignement axé sur l’apprenant et des stratégies motivationnelles respectant les principes de l’andragogie [9], de même que les caractéristiques de la génération Y, je cherche ultimement à aider mes apprenants à aimer apprendre. C’est aussi pourquoi je ne les mets jamais face à une tâche trop exigeante pour leur niveau. Cependant, tout en considérant la sécurité des patients, je leur propose des activités qui se situent dans une zone de difficulté optimale afin de les garder motivés. Par exemple, je ne demanderai pas à un apprenant junior de gérer seul un patient instable, alors qu’un apprenant senior se dirigeant vers une pratique d’urgence sera motivé à développer ses compétences de leadership dans la même situation.
Qu’en est-il des courants d’apprentissage que je privilégie dans mon enseignement ? Il est évidemment impossible de parler de conception de l’apprentissage sans parler de courant. Quoique les courants aient évolué dans le temps, je reconnais des forces à plusieurs d’entre eux et les exploite afin d’être efficace dans ma pratique d’enseignante.
Tout d’abord, en annonçant clairement mes attentes en début de quart de travail, surtout aux apprenants plus juniors, j’exploite une piste d’intervention émanant du courant béhavioriste. Cette intervention est d’ailleurs particulièrement bénéfique pour les membres de la génération Y qui sont peu confiants et, pour lesquels, il est primordial d’éviter toute ambiguïté en explicitant les attentes [7].
Ensuite, il m’arrive d’enseigner en prenant en compte les principes du courant cognitiviste. Parce que mes apprenants ont des connaissances antérieures, construites à partir de leurs multiples expériences préalables et qu’ils veulent les utiliser, je les aide à organiser leurs connaissances en utilisant, entre autres, des réseaux de concepts. Je les amène donc à construire leurs connaissances à partir des ressources que constituent les savoirs, en cohérence avec l’un des principes essentiels sur lesquels repose la conception de l’enseignement centré sur l’apprenant. Dans cette perspective, après que mes étudiants se soient engagés dans ce travail d’élaboration et d’organisation de leurs connaissances, mais après seulement et en complément de mes rétroactions, je ne renonce pas non plus à leur présenter de l’information de façon structurée, notamment dans mes cours plus théoriques, articulant ainsi les principes cognitivistes et un usage raisonné et fécond, car préparé par un questionnement préalable, d’une approche plus transmissive.
La grande majorité de mes pistes d’intervention comme enseignante sont issues du constructivisme puisque, ayant une conception de l’apprentissage basé sur l’apprenant, je mets en place des situations où mes apprenants sont actifs [9]. De plus, je leur propose de voir des patients ayant des problématiques complexes, impliquant notamment les aspects bio-psychosociaux de la personne, d’autant plus que de telles situations se présenteront dans leur pratique future. Comprendre les erreurs des apprenants et exploiter celles-ci pour développer leurs apprentissages est un autre principe fécond issu du courant constructiviste que j’exploite lorsque je questionne et guide les résidents sans aplanir leurs difficultés [9].
Enfin, je mets à profit les apports du courant socioconstructiviste dans mon enseignement, notamment lors des activités de simulation. Selon ce courant, la construction des connaissances est favorisée par les interactions qui sont sources de conflits sociocognitifs entre les apprenants. Les périodes de débreffage faisant partie des activités de simulation en constituent un bel exemple. Concrètement, dans la phase d’analyse, j’amène les apprenants à échanger leurs perspectives sur ce qui s’est déroulé, à comparer leurs interprétations différentes de la situation et à proposer ensemble ce qui pourrait être amélioré [10]. Bref, je puise ici et là des pistes d’intervention au sein des différents courants théoriques disponibles, selon le contexte et les objectifs à atteindre, tout en considérant la motivation et la capacité de mes apprenants.
Pour terminer, c’est sur la base de mon expérience personnelle d’enseignante au cours des 19 dernières années que j’ai souhaité partager ma philosophie de l’enseignement au travers ce bref témoignage. J’ai fait un tour d’horizon des éléments de ma conception de l’enseignement centré sur l’apprenant, en explicitant respectivement la place de l’apprenant, mon rôle d’enseignante, ainsi que les stratégies et les courants d’apprentissage que je privilégie. Cet exercice réflexif aura sans aucun doute été formateur pour la poursuite de mon rôle d’enseignante. Cependant, je dois conclure en confirmant les propos de DeRoth [1] car, malgré mes presque deux décennies d’expérience, rédiger ma propre philosophie d’enseignement n’a pas été une tâche facile.
Références
- DeRoth L. Enseigner en couleurs : 33 réflexions pour des exposés magistraux dynamiques. Montréal : Centre d'études et de formation en enseignement / Université de Montréal, 2005. [Google Scholar]
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