Accès gratuit
Numéro
Pédagogie Médicale
Volume 21, Numéro 2, 2020
Page(s) 65 - 74
Section Recherche et perspectives
DOI https://doi.org/10.1051/pmed/2020033
Publié en ligne 23 octobre 2020

© SIFEM, 2020

Introduction

Cet article présente une application concrète de la mobilisation de patients formateurs dans le curriculum de formation de médecins. L’Université de Montréal a entrepris un ensemble de révisions des contenus de formation des professionnels de santé [1,2] dans lesquelles les patients sont appelés à contribuer. Cette contribution se base sur la mobilisation de savoirs expérientiels issus de la vie avec la maladie [3,4]. Dans le cadre de cette révision, l’intégration de l’éthique clinique au curriculum médical dans une perspective humaniste, intégrant les sciences humaines et sociales (SHS), a été entreprise. La recherche exploratoire exposée dans cet article s’inscrit dans cette intégration d’une éthique clinique co-construite entre médecins et patients [5]. Elle présente l’élaboration et l’implantation d’un processus de révision d’une partie du curriculum du programme de premier cycle en médecine (programme MD) dans laquelle une expertise « patient » est mobilisée au sein d’une équipe interdisciplinaire en sciences de la santé et en SHS.

Alors que depuis 1986 les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) incitent à une meilleure collaboration entre professionnels de la santé, patients et proches – il s’agissait d’un des quatre points concernant l’éducation du patient de la charte d’Ottawa –, depuis quelques décennies la pertinence de l’implication des patients dans les processus de révision des curricula est interrogée, avec une intensification du nombre de tentatives ces dernières années [6]. Afin d’offrir une formation adaptée aux besoins des systèmes de santé, les facultés de médecine consultent de façon élargie et soutenue leurs communautés afin de favoriser la prise en considération de l’apport du public (lay input) dans le développement de leurs curricula. Si la réforme actuelle des études de médecine en France comprend des mesures d’intégration de patients dans l’enseignement, dans ce domaine précis, la littérature se fait pourtant rare, encore aujourd’hui. D’importance particulière, mentionnons l’initiative de l’Université d’Adelaïde dans laquelle des membres du public (lay public) ont été invités à se prononcer sur les critères de recrutement, la participation et les obstacles à la participation de leurs pairs dans le cadre de la révision du curriculum médical [7]. Le principal obstacle à cette implication, selon ces auteurs, est l’absence de légitimité donnée par la communauté médicale à l’apport provenant des membres du public et ce, même si la valeur de la contribution de ces derniers a été documentée [8]. En 2011, en accord avec les lignes directrices du Royaume-Uni concernant la participation et l’engagement du public au sein de la formation médicale pré-graduée [9], Berlin a mis sur pied un programme d’implication du public dans la formation et l’évaluation des étudiants en médecine, en visant en outre à favoriser la collaboration à la révision curriculaire de divers groupe d’utilisateurs du système de santé [10].

Les recommandations font état de l’importance d’incorporer la perspective du patient dans le développement de l’enseignement de l’éthique, la communication et l’apprentissage des procédures techniques. L’implication de patients permettrait également de mettre en perspective certains préjugés par rapport à certains groupes de patients, qu’ils soient positif ou négatifs, transmis volontairement ou non aux étudiants en médecine au cours de leur formation [6].

Une autre recommandation découlant des conclusions de Berlin est la nécessité de s’appuyer sur l’expertise développée par les patients participant aux activités de simulation, ceux agissant comme mentor et ceux possédant une expertise élargie, afin de développer des modules et évaluations pertinentes par rapport à la formation des jeunes médecins en relation avec les besoins du système de santé et de ses utilisateurs [10]. Berlin soulignait toutefois la pauvreté de la littérature scientifique sur l’implication des patients lors de processus de révision de curriculum.

En France, une jeune médecin a soutenu une thèse sur la mobilisation de patients à partir du conseil de l’équipe pédagogique de la faculté de médecine. Elle a décidé de réaliser une étude de faisabilité dans le contexte français à partir d’une expérience développée au Canada [11].

Ainsi, malgré quelques projets locaux visant la participation des patients lors de la révision du curriculum médical, les impacts de celle-ci ont peu été étudiés. Par exemple, à l’Université de Montréal, 14 patients ont participé en 2011–2012 à la révision complète du curriculum pré-gradué de médecine [1], mais cette expérience n’a pas encore donné lieu à une évaluation publiée au travers d’articles de recherche.

Comme nous l’avons mentionné, un des principaux obstacles à l’implication des patients dans les processus de révision curriculaire est l’absence de légitimité donnée par la communauté médicale à l’apport provenant des membres du public. Or, une nouvelle approche a été développée à l’Université de Montréal. En éducation médicale, la légitimité du patient vient de son expertise propre (comme d’ailleurs pour tout autre enseignant), son savoir expérientiel, et non pas d’un statut de « représentant » des autres patients. Les compétences et l’expertise du patient reposent d’abord et avant tout sur ses savoirs expérientiels – ceux qu’il développe en vie avec la maladie au quotidien :

La clé du succès des partenariats médecin-patient est donc de reconnaître que les patients sont aussi des experts. Le médecin est, ou devrait être, bien informé sur les techniques de diagnostic, les causes de la maladie, le pronostic, les options de traitement et les stratégies préventives, mais seul le patient connaît l’expérience de sa maladie, sa situation sociale, ses habitudes et ses comportements, son attitude à l’égard du risque, ses valeurs et ses préférences. Les deux types de connaissances sont nécessaires pour gérer la maladie avec succès. (Traduction libre de Coulter et al. [12]).

Un savoir expérientiel du patient, défini comme tel à partir d’une note de synthèse sur le sujet réalisée par Jouet et al. [3], fait écho à la définition évoquée dans un guide d’implantation du partenariat de soins et de services sociaux : Savoirs du patient, issus du vécu de ses problèmes de santé ou psychosociaux, de son expérience et de sa connaissance de la trajectoire de soins et services, ainsi que des répercussions de ces problèmes sur sa vie personnelle et celle de ses proches. [13, p. 14].

En 2010, a été créé à l’Université de Montréal le Bureau facultaire de l’expertise patient partenaire (BFEPP), en même temps que s’élaborait un nouveau modèle relationnel, le partenariat de soins [14], dans lequel le patient peut, s’il le souhaite, devenir pleinement un partenaire de soins. Le bureau s’est mué en 2013 en une Direction collaboration et partenariat patient (DCPP) et les patients qui le constituent agissent pour promouvoir la reconnaissance des savoirs expérientiels des malades et leur complémentarité avec les savoirs de professionnels de santé et du champ psychosocial, par le biais du partenariat de soins [15], depuis le secteur de l’éducation médicale, les milieux de soins, jusqu’à la recherche et la gouvernance médicale. Dans cet objectif, le BFEPP puis la DCPP ont conçu puis promu une nouvelle relation de soin, dans laquelle le patient fait partie intégrante de l’équipe de soin sur la base de la reconnaissance de ses savoirs expérientiels et des échanges qui vont permettre d’arriver à une décision partagée par l’ensemble de l’équipe, patient compris [14]. Ce nouveau modèle relationnel fait en cela un pas de plus que ne le faisait le modèle de la relation centrée sur le patient, pour ne pas évoquer la relation paternaliste.

C’est dans le prolongement de cette action qu’à l’automne 2013, un groupe de recherche-action pédagogique regroupant le Bureau de l’éthique clinique (BEC), enrichi de la présence de quelques patients de la DCPP, s’est constitué à l’Université de Montréal. Son mandat est de préparer les étudiants à reconnaître, accepter et travailler avec la complexité des relations humaines et des situations cliniques. Une des activités de ce comité fut d’entreprendre la révision du contenu pédagogique de certaines activités du curriculum en impliquant des patients, des étudiants en médecine, des professeurs et des spécialistes en sciences sociales.

La question posée dans le présent travail concerne la pertinence d’impliquer des patients dans le processus de production de contenus pédagogiques dans la vision longitudinale d’éthique clinique. Un questionnement secondaire concerne l’enrichissement potentiel constitué par des apports en SHS dans le curriculum de formation en médecine pour tenter d’approcher une réalité dans sa complexité [16]. La question spécifique de recherche instruite dans le travail qui donne lieu à cette publication se formule donc ainsi : en quoi une approche pluridisciplinaire impliquant également des patients formateurs et des étudiants en médecine peut-elle apporter une valeur ajoutée au processus de révision du curriculum ?

Méthodes

Comme dans d’autres facultés de médecine, une partie significative du curriculum de premier cycle est organisée sous forme d’apprentissage par problèmes (APP). Depuis 1992, la Faculté de médecine de l’Université de Montréal a entrepris le virage des cours magistraux vers l’APP. Les vignettes cliniques exploitées pour chacun des tutoriaux d’APP ont été conçues par les professeurs et experts de la faculté de médecine. Plusieurs modules se succèdent tels : croissance, développement et vieillissement (CDV), endocrinologie, microbiologie, cardiologie, etc. Le projet de recherche questionne dans les conditions explicitées le premier module – CDV – composé de sept vignettes cliniques présentant chacune un cas. Cinq groupes différents (Tab. I), respectivement constitués par les spécialistes des sciences humaines (n = 4), les membres du BEC (n = 5), des étudiants de deuxième année (n = 5), les tuteurs, médecins pratiquants chargés des groupes d’APP pour le cours CDV (n = 6) et les patients partenaires recrutés par la DCPP ont relu, évalué, critiqué et commenté les sept vignettes (Tab. II).

Les participants ont été recrutés sur une base volontaire au sein de l’université. Un courriel d’invitation a été envoyé et les premiers répondants de chaque groupe ont été intégrés. Ce projet de recherche a reçu l’approbation du Comité d’éthique de la recherche en santé de l’université. Le questionnaire normalisé que nous avons développé pour chacune des sept vignettes (Tab. III) a été rempli par l’ensemble des participants (n = 24). Ce questionnaire a été élaboré par des membres du BEC et de la DCPP puis commenté et ajusté par l’ensemble de l’équipe du BEC, puis testé par un représentant de chaque groupe, choisi en dehors de ceux ayant rempli le formulaire final. Les patients mobilisés l’ont été parmi les 200 patients formateurs mobilisables et mobilisés régulièrement à la faculté de médecine [13]. Les étudiants étaient en deuxième année de formation initiale en médecine.

Tableau I

Liste des groupes de participants sollicités pour l’étude.

Tableau II

Contenus pédagogiques exploités à partir de chacune des vignettes de tutorial d’apprentissage par problèmes.

Tableau III

Questionnaire normalisé rempli par les participants.

Analyses quantitatives

Les résultats aux questions 2, 7 et 12 ont été analysées afin d’identifier de possibles différences entre les cinq groupes. La moyenne des réponses à chacune de ces questions a été calculée sur les sept vignettes. Les distributions des scores des cinq groupes ont été comparées à l’aide du test non-paramétrique de Mann–Whitney (SPSS version 20).

Analyse qualitative

Le corpus soumis à l’analyse de contenu était constitué de 18 pages de commentaires. L’analyse a été réalisé par deux chercheurs expérimentés en analyse qualitative (un médecin de famille chercheur en éducation médicale et un patient chercheur également conseiller pédagogique de la direction pédagogique de la DCPP au sein du BEC), associés à un étudiant en médecine (également patient formateur). Dans un premier temps, ils ont procédé de manière indépendante au codage et à la catégorisation. Trois séances de discussion de 2h30 ont ensuite permis d’identifier de manière collégiale les thèmes émergents de l’analyse présentée.

Résultats

Données quantitatives

L’analyse quantitative des résultats n’a pas permis de constater des différences significatives entre les groupes du panel. Les résultats présentés dans le tableau IV suggèrent que les patients et les spécialistes en SHS se montrent plutôt favorables à la présence de patients lors des séances d’APP (médianes de 5,6 et 6,5), et que les étudiants (3,9) et les tuteurs (3,4) se montrent moins favorables. On constate toutefois, sur cette même question, que les étudiants et les patients sont les groupes démontrant la plus grande disparité de positionnement (interquartile de 5,8 et 6,1). Les réponses données à la question 7 concernant la quantité de contenu sur la perspective du patient dans les dossiers d’APP montrent une grande homogénéité de réponses dans les cinq groupes.

Tableau IV

Analyse quantitative des données (résultats partiels : réponses obtenues aux questions 2, 7 et 12).

Données qualitatives

Les caractéristiques et propos exprimés apparaissent cohérents avec les réalités socio-professionnelles des groupes consultés.

Des réponses homogènes sont observées pour tous les groupes concernant la prudence à observer vis à vis des groupes ethniques, soulignant particulièrement l’importance de ne pas appliquer à leur égard des stéréotypes et de ne pas les discriminer sur la base de leur origine culturelle :

Être moins dans l’association de nationalité, de conduites alimentaires et de réussite sociale. Anglais=avocat, végétarien, bien éduqué vs. Italien=quincaillier, macho, foot, alcoolique (A, SHS).

Important de reconnaître des différences culturelles, mais attention aux idées préconçues et jugements de valeur (X, patient).

Des caractéristiques propres à chacun des groupes se dégagent du corpus de données. Les caractéristiques principales de chacun sont présentées successivement avec quelques extraits pour les illustrer.

Les étudiants

Pour les étudiants, le fait d’être peu outillé à faire face à l’incertitude et aux questionnements éthiques complexes peut s’expliquer au vu de la densité des connaissances planifiées et de la manière dont les enseignements sont structurés dans cette phase du curriculum (l’enseignement médical spécifique aux problématiques de la croissance, du développement et du vieillissement est réalisé dès les premiers mois de la première année). L’étudiant privilégie la recherche de données claires et de réponses précises aux questions qu’il se pose. Cependant, fournir des données à interpréter sans que toutes ne soient explicites dans l’énoncé d’un problème peut être une stratégie pédagogique sollicitant la réflexion des étudiants, qui les mène à apprendre à formuler des hypothèses diagnostiques. Ainsi, les étudiants émettent globalement des commentaires peu critiques et cherchent des réponses claires, concrètes, clairement explicitées.

Pourquoi n’a-t-elle [patiente du cas] pas suivi les recommandations ? Y a-t-il une raison ? Un choc d’idée, de croyance ? Pourquoi a-t-elle abandonné ses études ? Y a-t-il une raison ?

Sensibiliser l’étudiant à ce que vivent, par exemple, les parents d’enfants hyperactifs par rapport au regard que leurs voisins et proches portent sur eux, au fait qu’il se peut, parfois, que leur enfant soit considéré comme étant mal élevé apparait comme une valeur ajoutée.

Il ne s’agit pas de devenir des experts de tous les aspects mais de comprendre l’environnement pour mieux se concentrer sur le patient. Il nous apparait clair que la sensibilisation de l’étudiant à ces réalités l’aidera à mieux reconnaitre, accepter et travailler avec et selon la complexité de la situation. De plus, nous constatons qu’aucun autre groupe de notre étude ne touche à ce champ précis, celui du vécu réel, expérientiel. De la même manière, l’extrait suivant illustre la sensibilisation de l’étudiant à une autre réalité en soi complexe, celle des familles recomposées et des enjeux qui y sont reliés :

Dans ce type de situation de famille recomposée, il peut y avoir fréquemment des problèmes reliés au fait que l’ex-conjoint aurait tendance à disqualifier le nouveau conjoint. Ce qui peut entraîner des problèmes de santé chez le jeune garçon dans ce cas-ci.

Les tuteurs

Dans l’hypothèse où l’éthique et la perspective du patient devraient être intégrées aux dispositifs d’APP, les tuteurs expriment majoritairement la nécessité de réaliser un travail en profondeur et d’investir plusieurs heures de travail supplémentaire pour s’approprier le nouveau contenu pédagogique et pour former l’ensemble des tuteurs (une trentaine) à ce nouveau contenu ; ils ne voient pas l’éthique comme devant faire partie implicitement des problématiques complexes soulevées par les dossiers d’APP.

Je ne suis pas convaincu qu’on peut réellement insérer l’éthique dans le problème sans faire une modification majeure.

Si on veut introduire l’éthique dans ce problème, il faudrait faire un remaniement complet. Je ne sais pas si c’est réellement possible d’inclure une partie éthique au problème sans le modifier de façon importante.

On pourrait commencer par optimiser ce qu’on a déjà dans l’APP.

Les tuteurs, responsables pédagogiques concentrés sur les défis d’animation et d’enseignement des groupes d’APP, émettent majoritairement quelques réserves sur les thèmes de transformations proposés et cette résistance est motivée par leur représentation de la temporalité nécessaire pour couvrir chacun des objectifs d’apprentissage.

Les spécialistes des sciences humaines et sociales

Parmi le groupe de SHS, il n’y avait pas des cliniciens. Les membres du groupe de SHS semblent moins limiter leurs suggestions à des réalités cliniques. Leurs disciplines académiques les encouragent au contraire à voir le singulier avec une lunette systémique, théorique, populationnelle, sociologique et anthropologique. Leurs commentaires illustrent ce fait avec, par exemple, le filtre de la catégorisation qui ressort clairement dans la vision sociologique. Ils prennent ainsi du champ par rapport au cas singulier présenté pour élargir et enrichir la compréhension de l’étudiant, en proposant une grille de compréhension de la situation à la lumière d’autres déterminants, rapports de forces, ou d’autres questions plus générales. Leurs propos s’inscrivent souvent dans un cadre plus global ou systémique.

Discuter des jugements de valeur entourant le fait d’être enceinte jeune et dans une situation précaire, mais faudrait l’étayer plus. Question provocatrice : « Doit-on empêcher les pauvres de se reproduire? Liberté reproductive vs. conditions sociales.

Quoi faire si le père impose un régime alimentaire qui irait à l’encontre du bien-être des enfants ?

Leur réflexion illustre, un peu à la manière des SHS, une sensibilité envers la perspective théorique et globale :

Peut servir d’introduction à l’éthique des politiques de santé. Aborder plutôt le phénomène des gradients sociaux et des inégalités sociales et leur effet sur la santé, et non la pauvreté seule (stigmatisation).

N’ayant pas connaissance des autres modules d’APP, je me demande si les enjeux de « decisional-making capacity » et du « surrogate decision-making » sont abordés.

Les patients

Si ce dernier groupe offre, du fait de la diversité des parcours de chacun, les commentaires les plus utiles pour la révision des dossiers d’APP, nous observons qu’une dimension, essentielle et complémentaire, doit-être développée : celle de la perspective du patient, du vécu de la maladie ou de la situation présentée. C’est précisément ce qu’apporte le groupe de patients : une vision, une sensibilité, une sensibilisation à la complexité de la situation en mettant en avant le vécu expérientiel de la maladie et de la vie avec la maladie, comme l’illustre ce commentaire :

Par exemple, on pourrait imaginer que les voisins ou les parents d’autres enfants de la garderie où va Éric se plaignent auprès des éducateurs qui eux auraient tendance à isoler Éric ou à le considérer comme plus ou moins bien élevé.

Par ailleurs, les commentaires des patients se concentrent globalement dans le champ d’une transmission de connaissance expérientielle visant la prise en compte de la globalité du patient et du vécu de la maladie.

Dans ce genre de situation, il arrive souvent que les membres d’une famille soient en désaccord. Certains considérant que pour la sécurité de leur mère, elle devrait être placée en institution.

Dans ce type de situation de famille recomposée, il peut y avoir fréquemment des problèmes reliés au fait que l’ex-conjoint aurait tendance à disqualifier le nouveau conjoint. Ce qui peut entraîner des problèmes de santé chez le jeune garçon dans ce cas-ci.

Plusieurs soulignent l’importance de la présence et de tentatives de compréhension de la perspective du patient et de ses proches :

Avoir le point de vue de l’enfant (qui n’est pas du tout exprimé dans l’énoncé).

Ajouter la perspective d’Éric, que répond-t-il quant à ses colères ?

Il serait pertinent de faire remarquer l’absence du père – ce qui est en soi tout à fait correct pour l’APP –, et, du fait, [celle de] son point de vue sur les enjeux de santé d’Éric.

Les membres du Bureau d’éthique clinique

La diversité du groupe du BEC se distingue clairement à la lecture de leurs commentaires. Leurs propos illustrent plusieurs singularités par rapport aux caractéristiques identifiées dans les autres groupes. Ils sont sensibles à la posture du professionnel de la santé, à la réalité vécue en clinique et en entrevue médicale :

De manière générale, on ne traite que très rarement du positionnement professionnel, notamment éthique, du MD par rapport à ces situations (comment devrait-il réagir, quelles questions devrait-il se poser avant d’agir, etc.)

Outre le fait que les commentaires des membres du BEC soient davantage critiques et conceptuels, se rapprochant de ceux du groupe des SHS, ils fournissent un éclairage clinique très ancré dans la réalité des professionnels de la santé. Ainsi, si les commentaires sont critiques, ils sont également constructifs, conséquence de la pluralité et de la diversité de ce groupe de cliniciens, d’étudiants, de patients, de scholars en éthique, en sciences sociales et humaines, avec nombres de cursus croisés.

Discussion

Notre étude visait à documenter en quoi une approche pluridisciplinaire impliquant également des patients formateurs et des étudiants en médecine pouvait apporter une valeur ajoutée au processus de révision de dispositifs pédagogiques, en l’occurrence une séquence de tutoriaux d’APP du module CDV. Pour ce faire, nous avons mis en œuvre une approche mixte, à la fois quantitative et qualitative.

Les résultats issus de l’analyse des données quantitatives n’ont pas constaté de différences significatives entre les réponses fournies par les groupes du panel. Face à un tel constat, il convient de proposer une explication. La faible puissance de l’analyse quantitative, liée à la taille limitée de l’échantillon (n = 24), celui-ci ayant été construit sur les principes de la recherche qualitative, en est certainement une des raisons principales. Un autre facteur réside sans doute dans le petit nombre de membres constituant chaque groupe. Dans un contexte où les enseignants peinent encore à attribuer aux patients une légitimité dans les sphères académiques, des études à plus grande échelle s’avèrent nécessaires pour démontrer statistiquement la valeur ajoutée des patients.

Les résultats issus de l’analyse des données qualitatives sont dès lors plus probants. La lecture de plusieurs des commentaires recueillis lors de cette étude montre qu’il est fait état de l’expérience de la situation en question. C’est précisément ce qui situe l’expertise des patients, l’expertise de la vie avec la maladie, dans son environnement. Leurs savoirs expérientiels prennent toute leur importance en regard de la mission du BEC qui est d’accompagner les étudiants de médecine dans la reconnaissance et l’acceptation d’une relation de soin aux situations cliniques essentiellement complexes, en leur permettant de développer des outils et des compétences pour travailler dans ce contexte de complexité.

Pratiquement, cette expérience de relecture critique des dossiers d’APP a donné lieu à plusieurs modifications du curriculum. Sur les sept vignettes analysées deux ont donné lieu à la modification du contenu de la vignette elle-même, alors que l’ensemble des intitulés (titres) ont été changé dans le but de réduire les représentations véhiculant un curriculum caché [17,18]. Ces changements sont significatifs car ils contribuent au changement de culture médicale nécessaire à l’humanisation des soins.

Une telle démarche partage une cohérence et des similitudes avec les interventions dans d’autres dispositifs, pour lesquels la DCPP a coordonné la participation de patients [19,20]. L’objectif d’arriver à adapter les contenus aux réalités socio-anthropologiques contemporaines en intégrant la perspective du patient et de ses proches aux enjeux éthiques, étant admis que ces derniers devraient faire partie intégrante de toute situation clinique, est selon nous atteint.

L’analyse qualitative a également permis de mettre en relief la richesse de l’apport non seulement des patients mais également des étudiants, des éthiciens et des spécialistes en SHS. Le fait d’avoir mis à profit toutes ces expertises constitue, à notre sens, une contribution saillante de ce projet. Qu’il s’agisse des repères théoriques fournis par les éthiciens et les spécialistes de sciences sociales, des préoccupations propres à la posture d’apprenant des étudiants ou des responsabilités pédagogiques des enseignants, ou encore des apports pratiques des patients à partir de leurs savoirs expérientiels, chaque groupe possède une expertise spécifique qui nous apparait pertinente et significative pour le processus de révision de curriculum.

Cette étude infirme deux mythes répandus en médecine et en éducation médicale. Tout d’abord, le processus d’implication de patients dans une initiative de révision curriculaire n’est pas compliqué pour peu qu’il soit méthodiquement organisé et qu’un mode d’emploi soit trouvé, conditions qui ont pu être établies dans le projet rapporté. Plusieurs données émergent en ce sens ; ainsi, le réseau universitaire intégré de santé de l’Université de Montréal (RUIS), en collaboration avec la DCPP, a publié, à cet égard, un guide de recrutement de patients et des méthodologies du « construire ensemble » [13] ; puis la DCPP elle-même a produit un guide plus généraliste [21].

Par ailleurs, le fait d’impliquer des patients pour enrichir les contenus pédagogiques (en termes de perspective du patient et d’éthique clinique) n’implique pas, comme semblaient le redouter les tuteurs questionnés, une transformation en profondeur des contenus. Si les ajustements nécessaires sont souvent modestes, ils sont subtils et significatifs, permettant par exemple de rendre les situations plus proches de la réalité quotidienne de la clinique. L’apport des patients apparait, comme dans les autres domaines dans lesquels l’Université de Montréal les a impliqués au travers de petits ajustements, à forte valeur ajoutée, dans une continuité cohérente avec celle que la DCPP organise dans la manière de les mobiliser.

Conclusion

Cette étude exploratoire identifie quelques types d’apports pour lesquels l’implication de patients dans les processus de révision de curriculum est pertinente en prolongement de ce qui a été constaté dans d’autres dispositifs de l’Université de Montréal. Les savoirs expérientiels des patients nous apparaissent complémentaires aux savoirs scientifiques des professionnels de la santé, dans le prolongement de ce que démontrent plusieurs travaux [1, pp. 218-241]. Les savoirs des patients ne sont pas là pour se substituer aux savoirs des professionnels qui sont et restent les experts de la maladie, alors que ceux des patients sont de l’ordre de l’expertise de la vie avec la maladie, deux formes de savoirs essentiels à rassembler. À la faculté de médecine dans lequel a été introduit cette approche, la décision de poursuivre une telle démarche a en tous cas été prise, et d’autres études suivront.

Contributions

Luigi Flora, Annie Janvier et Alexandre Berkesse ont participé à la conception du protocole de recherche, à l’interprétation des résultats et à l’écriture du manuscrit. Philippe Karazivan a participé à la conception du protocole de recherche, à l’interprétation des résultats, à l’analyse statistique et à l’écriture du manuscrit. Guillaume Dumais-Lévesque a participé à la conception du protocole de recherche, au recueil des données, à l’interprétation des résultats et à l’écriture du manuscrit. Vincent Dumez a participé à la révision du manuscrit. Robert Gagnon a participé à l’analyse statistique et à l’écriture du manuscrit. Antoine Payot a participé à l’interprétation des résultats et à l’écriture du manuscrit.

Approbation éthique

Ce projet de recherche a reçu l’approbation du Comité d’éthique de la recherche en santé de l’Université de Montréal.

Liens d’intérêts

Aucun auteur ne déclare de conflit d’intérêt financier en lien avec le contenu de cet article.

Références

  1. Flora L. Le patient formateur : élaboration théorique et pratique d’un nouveau métier de la santé. Thèse de doctorat en sciences de l’éducation. Paris : Université Vincennes-Saint-Denis-Paris 8, 2012. [Google Scholar]
  2. Dumez V. The patient: A missing partner in the health system. Vincent Dumez at TEDxUdeM. 2012 [On-line] Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=V2MGumDv384. [Google Scholar]
  3. Jouet E, Flora L, Las Vergnas O. Construction et reconnaissance des savoirs expérientiels des patients. Pratiques de Formation-Analyses 2010;58-59:13‐77. [Google Scholar]
  4. Vanier M-C, Therriault P-Y, Lebel P, Nolin F, Lefebvre H, Brault I, et al. Innovating in Teaching Collaborative Practice with a Large Student Cohort at Université de Montréal. J Allied Health 2013;42:97E‐106E. [Google Scholar]
  5. Flora L, Berkesse A, Payot A, Dumez V, Karazivan P. L’application d’un modèle intégré de partenariat patient dans la formation des professionnels de la santé : vers un nouveau paradigme humaniste et éthique de co-construction des savoirs en santé. J Int Bioethique Ethique Sci 2016;27:59‐72. [PubMed] [Google Scholar]
  6. Towle A, Godolphin W. Patients as educators: Interprofessional learning for patient-centred care. Med Teach 2013;35:19‐225. [Google Scholar]
  7. O’Keefe M, Britten N. Lay participation in medical school curriculum development: whose problem is it? Med Educ 2005;39:651‐2. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  8. Greenfield S, Anderson P, Gill P, Loudon R, Skelton J, Ross N, et al. Community voices: views on the training of future doctors in Birmingham, UK. Patient Educ Couns 2001;45:43‐50. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  9. General Medical Council. Patient and Public Involvement in Undergraduate Medical Education: Advice Supplementary to Tomorrow’s Doctors (2009). 2011. UCL London Global University. [On-line] Disponible sur : https://www.gmc-uk.org/-/media/documents/Patient_and_public_involvement_in_undergraduate_medical_education___guidance_0815.pdf_56438926.pdf. [Google Scholar]
  10. Berlin A, Seymour C, Johnson I, Cupit S. Patient and Public Involvement in the Education of Tomorrow’s Doctors. Report. London: UCL London Global University and The Patients Association, 2011. [Google Scholar]
  11. Charoy-Brejon C. Le patient formateur dans un enseignement de l’approche centrée patient à la faculté de médecine de l’UPEC, projet exploratoire. Thèse pour le diplôme d’état de doctorat en médecine, Faculté de médecine de Créteil, Université Paris Est, Créteil, 2016. [Google Scholar]
  12. Coulter A, Parsons S, Askham J, WHO. Where are the patients in decision-making about their own care? Copenhagen: World Health Organization Regional Office for Europe, 2008. [Google Scholar]
  13. Deschênes B, Jean-Baptiste A, Matthieu É, Mercier A-M, Roberge C, St-Onge M, et al. Guide d’implantation du partenariat de soins et de services, Réseau universitaire intégré de santé de l’Université de Montréal. 2014. [On-line] Disponible sur : http://ena.ruis.umontreal.ca/pluginfile.php/256/coursecat/description/Guide_implantation1.1.pdf. [Google Scholar]
  14. Karazivan P, Dumez V, Flora L, Pomey MP, Del Grande C, Ghadiri DP, Fernandez N, Jouet E, Las Vergnas O, Lebel P. The Patient-as-Partner Approach in Health Care: A Conceptual Framework for a Necessary Transition. Acad Med 2015;90:437‐41. [Google Scholar]
  15. Direction collaboration partenariat patient (DCPP). Programme partenaires de soins : rapport d’étape (2011–2013), Direction collaboration et partenariat patient, Centre de pédagogie appliquée aux sciences de la santé, Faculté de médecine, Université de Montréal. 2014 [On-line] Disponible sur : http://ena.ruis.umontreal.ca/pluginfile.php/256/coursecat/description/PPS%20Rapport%20d%C3%A9tape%202011-2013.pdf. [Google Scholar]
  16. Morin E. La méthode. Tome 3. Paris : Seuil, 1986. [Google Scholar]
  17. Hafferty FW. Beyond curriculum reform: confronting medicine’s hidden curriculum. Acad Med 1998;73:403‐7. [Google Scholar]
  18. Mahood SC. Formation médicale : Prenez garde au curriculum caché. Can Fam Physician 2011;57:e313‐e315. [Google Scholar]
  19. Pomey MP, Flora L, Karazivan P, Dumez V, Lebel P, Vanier MC, Débarges B, Clavel N, Jouet E. Le « Montreal model » : enjeux du partenariat relationnel entre patients et professionnels de santé. Santé Publique 2015;27:S1-41-50. [Google Scholar]
  20. Lebel P, Flora L, Dumez V, Berkesse A, Néron A, Débarges B, Trempe-Martineau J. Le partenariat en santé : une approche révolutionnaire pour mieux répondre aux besoins des personnes âgées et de leurs proches aidants par la co-construction. Vie et vieillissement 2014;12:15‐20. [Google Scholar]
  21. Berkesse A, Flora L, Néron A, Ragguem N, Lebel P, Dumez V. Guide pratique : recrutement des patients partenaires. Montréal : Direction collaboration et partenariat patient, 2015. [Google Scholar]

Citation de l’article : Flora L., Karazivan P., Dumais-Lévesque G., Berkesse A., Dumez V., Janvier A., Gagnon R., Payot A. Impliquer des patients dans la révision d’un curriculum de formation en médecine : une étude mixte sur l’intégration d’une perspective d’éthique clinique. Pédagogie Médicale 2020:21;65-74

Liste des tableaux

Tableau I

Liste des groupes de participants sollicités pour l’étude.

Tableau II

Contenus pédagogiques exploités à partir de chacune des vignettes de tutorial d’apprentissage par problèmes.

Tableau III

Questionnaire normalisé rempli par les participants.

Tableau IV

Analyse quantitative des données (résultats partiels : réponses obtenues aux questions 2, 7 et 12).

Les statistiques affichées correspondent au cumul d'une part des vues des résumés de l'article et d'autre part des vues et téléchargements de l'article plein-texte (PDF, Full-HTML, ePub... selon les formats disponibles) sur la platefome Vision4Press.

Les statistiques sont disponibles avec un délai de 48 à 96 heures et sont mises à jour quotidiennement en semaine.

Le chargement des statistiques peut être long.