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Numéro
Pédagogie Médicale
Volume 21, Numéro 2, 2020
Page(s) 75 - 82
Section Recherche et perspectives
DOI https://doi.org/10.1051/pmed/2020030
Publié en ligne 8 septembre 2020

© SIFEM, 2020

Introduction

Problématique et contexte

La « culture de la sécurité du patient » est actuellement au centre des soins médicaux. Concernant plus spécifiquement l’enseignement et l’apprentissage des procédures techniques, le modèle traditionnel, fondé sur le compagnonnage plus ou moins systématique et sur l’entraînement sur des patients, a été remis en question et l’on fait désormais largement appel à des dispositifs pédagogiques recourant à la simulation.

C’est par exemple le cas pour l’enseignement et l’apprentissage des procédures de gestion des voies aériennes, pour lesquels la simulation est devenue un standard dans les pays développés [13].

La gestion des voies aériennes sollicite un ensemble de compétences fondamentales de la part des médecins anesthésistes-réanimateurs. Elle demeure reconnue comme l’une des pratiques les plus à risque dans leur discipline. De fait, une mauvaise gestion des voies aériennes reste une source importante de complications chez les patients. Les analyses de mortalité réalisée par l’American Society of Anesthesiology démontrent ainsi que l’échec de l’intubation reste une cause majeure de morbidité et de mortalité [4].

L’entraînement sur un malade réel expose le patient à de véritables risques pour lui. Mort et al. [5] ont prouvé que les tentatives réitérées de laryngoscopie pour l’intubation étaient associées à des taux de réussite progressivement plus bas, et à des taux de morbidité plus élevés ou à une augmentation significative des complications lorsque plus de deux tentatives avaient été effectuées.

De nombreux travaux ont aujourd’hui parfaitement établi l’intérêt de la simulation pour le développement de telles capacités opératives, de sorte que les enjeux ne sont plus tellement de démontrer que le recours à la simulation est utile mais plutôt de documenter quand et comment utiliser la simulation de façon efficace et efficiente. À cet égard, on doit noter que si les aspects sécuritaires liés à la problématique éducationnelle évoquée précédemment se posent dans des termes similaires de façon ubiquitaire, y compris dans des pays à économie émergente tels que l’Algérie, diverses contraintes liées à la disponibilité et à la pérennité des ressources, matérielles ou humaines, peuvent obérer le développement des programmes de simulation. Il reste donc essentiel de vérifier que les dispositifs de formation recourant à la simulation tiennent toutes leurs promesses dans de tels contextes, par exemple pour convaincre les décideurs et les gestionnaires des institutions de formation en santé que les investissements qu’ils consentent dans ce domaine sont viables et qu’ils méritent d’être consolidés.

Objectif

La présente étude a pour objectif de comparer les apprentissages procéduraux et comportementaux liés à la gestion des voies aériennes, sur un patient réel, de résidents respectivement formés dans le cadre de dispositifs recourant à la simulation ou par la méthode expérientielle traditionnelle. Plus spécifiquement, nous avons émis l’hypothèse que les résidents formés par simulation seraient capables de performances mesurées par des scores plus élevés que ceux formés par la méthode classique, lors de tests d’évaluation sur patient réel, c’est-à-dire dans des conditions qui documentent des effets au niveau 3 selon l’échelle de Kirkpatrick.

Méthodes

Nous avons conduit une étude comparative, prospective, au sein du centre de simulation en sciences de la santé « Pierre Chaulet », à la Faculté de médecine d’Annaba, en Algérie, et du département d’anesthésie-réanimation au Centre hospitalier universitaire Ibn Rochd d’Annaba.

L’étude visait à comparer les effets de deux dispositifs pédagogiques dédiés à l’apprentissage des capacités opératives liées à la gestion des voies respiratoires par des résidents d’anesthésie-réanimation : d’une part, un dispositif recourant à la méthode expérientielle classique, avec entraînement sur malade réel ; d’autre part, un dispositif recourant à la simulation. Le consentement éclairé de tous les participants, ainsi que celui des malades impliqués, a été recueilli au préalable.

Participants à l’étude

Trente résidents volontaires, inscrits en première année de formation spécialisée en anesthésie-réanimation à la Faculté de médecine d’Annaba au cours de l’année universitaire 2017/2018, ont été enrôlés. Après validation du programme de formation par le comité pédagogique, les résidents ont été informés de sa teneur et de la date de lancement des séances de simulation ; leur consentement a été recueilli et leur disponibilité considérée.

L’étude a été menée sur une période de quatre mois, de novembre 2017 à février 2018. Aucun des résidents n’avait déjà été exposé à l’un des gestes suivants : la laryngoscopie, l’intubation endotrachéale et la ventilation au moyen d’un masque facial.

Dispositifs pédagogiques concernés

Les deux dispositifs pédagogiques faisant l’objet de la comparaison comportaient successivement un volet de formation théorique et un volet de formation pratique.

Formation théorique

La première phase de formation théorique est commune aux deux dispositifs. Tous les résidents ont assisté à une séance didactique d’une durée de deux heures

Formation pratique

Les participants ont été divisés en deux groupes par tirage au sort.

Les résidents du groupe 2 (groupe enseignement expérientiel ; n = 15) ont effectué un apprentissage de gestion de base des voies aériennes dans le cadre d’un entraînement supervisé sur des patients réels, anesthésiés en salle d’opération, pendant trois jours consécutifs. Le résident essaye d’achever toute la procédure (de la ventilation à l’intubation), sous la surveillance d’une équipe de formateurs sur place. Les instructeurs du département d’anesthésie-réanimation, supervisent la pratique des résidents et montrent les techniques précises de gestion des voies aériennes.

Les résidents du groupe 1 (groupe simulation ; n = 15) ont été divisé en deux sous-groupes qui ont effectué un apprentissage de gestion de base des voies aériennes, successivement, sur simulateur de basse ou de haute technologie selon les modalités suivantes :

Entraînement sur simulateur de basse technologie

La première étape était d’effectuer un entraînement de la procédure de gestion des voies aériennes, allant de la ventilation à l’intubation pendant trois jours consécutifs. L’atelier de simulation est composé de plusieurs stations de tâches (liste de vérification, ventilation, pose d’une canule de Guedel, intubation, fixation de la sonde), utilisant des mannequins de basse technologie, et un matériel d’intubation et de ventilation approprié (Fig. 1).

thumbnail Fig. 1

Séance de simulation sur simulateur de basse technologie au centre de simulation Pierre Chaulet de la Faculté de médecine d’Annaba.

Entraînement sur simulateur de haute technologie

Matériel

La formation aux techniques procédurales a été suivie d’une formation en utilisant des scénarios cliniques, avec un simulateur patient pleine échelle (SimMan 3G de Laerdal®), d’abord avec des scénarios simples, puis avec des scénarios compliqués au cours desquels les patients peuvent présenter un problème dans la prise en charge des voies aériennes (Fig. 2).

thumbnail Fig. 2

Séance de simulation sur simulateur haute fidélité au centre de simulation Pierre Chaulet de la Faculté de médecine d’Annaba.

Scénarios

Les scénarios avaient été élaborés préalablement, en novembre 2017, en lien avec la détermination des objectifs pédagogiques, puis testés et validés par l’équipe enseignante du centre de simulation au regard des principes suivants : 1) respecter les recommandations de bonne pratiques récentes en gestion des voies aériennes ; 2) solliciter des capacités techniques et comportementales pertinentes concernant la gestion des voies aériennes, pouvant faire l’objet d’une observation et d’une mesure. Les responsables pédagogiques ont revu et modifié leur contenu, quand cela s’est avéré nécessaire. Les scénarios ont été approuvés pour utilisation, par consensus avec l’équipe de simulation de la Faculté de médecine de l’Université de Rennes.

Tous les scénarios contiennent, dans la prise en charge des patients, la procédure de gestion des voies aériennes, lors de l’induction anesthésique. L’objectif principal de tous les scénarios est d’appliquer les tâches apprises en ateliers de basse technologie dans le contexte d’une induction anesthésique au bloc opératoire.

Pour normaliser la mise en oeuvre des scénarios, des scripts détaillés et une grille de scénario ont été rédigés. Ces fiches de scénario définissent le contenu de l’environnement clinique simulé (équipements et médicaments disponibles …), l’évolution de l’état du patient tout au long de la situation et ses réponses aux interventions, des réponses normalisées aux questions des participants et des critères définissant la réussite des prises en charge.

Sur l’ensemble du programme de formation, ont été ciblés des thèmes significatifs et récurrents : anesthésie d’un patient classé ASA 1 pour cure chirurgicale d’une lithiase biliaire ; anesthésie d’une femme pour cure chirurgicale d’un fibrome uterin ; anesthésie pour tympanoplastie ; anesthésie pour cure chirurgicale d’un goitre thyroidien ; anesthésie pour fracture de fémur d’un jeune patient ; anesthésie pour traumatisme du rachis cervical ; anesthésie pour un hématome extradural d’un patient comateux ; prise en charge initiale d’un polytraumatisme grave avec fracture de la rate ; anesthésie générale pour césarienne.

Séances de simulation

Les thèmes des scénarios cliniques ne sont pas communiqués aux participants avant la séance.

Les séances de simulation ont été organisées un jour fixe par semaine, à raison de deux scénarios par jour de formation, pendant quatre semaines, pour chaque sous-groupe, les scénarios pouvant être répétés. Chaque séance comportait successivement :

  • Le briefing d’introduction, dont le but est d’expliciter les règles et principes de la simulation, le contrat pédagogique, les aspects techniques axés sur la présentation du mannequin haute technologie (SimMan 3G) et du matériel dédié, ainsi que le rôle de chacun des résidents (acteur/observateur). Les résidents peuvent, durant cette phase, se familiariser avec le simulateur, son environnement et le matériel disponible.

  • L’application : mise en scène du scénario.

  • Le débriefing, qui permet aux participants de recevoir et discuter des critiques constructives, une rétro-action sur les corrections à opérer, ainsi que l’évaluation de leurs performances et compétences techniques et non techniques, et de débattre de l’expérience simulée, particulièrement la manière de gérer les voies aériennes. Le débriefing se fait dans une perspective socio-constructiviste ; les formateurs favorisent un haut niveau d’engagement de la part des participants, en visant une intégration des savoirs et des apprentissages en profondeur, pour augmenter ainsi la probabilité de transfert de connaissances, de capacités et d’attitudes plus adaptées au milieu clinique. Nous avons ciblé pendant le débriefing les processus cognitifs et les actions des résidents. Le débriefing a été structuré en trois phases, suivant les conventions bien établies : la phase descriptive, la phase d’analyse et enfin la phase d’application ou de synthèse.

Chaque séance dure en moyenne 80 minutes, suivie de recommandations actualisées. Au préalable les règles de confidentialité sont rappelées aux résidents, basées sur un accord oral tacite.

Pour chaque scénario, trois résidents acteurs sont désignés et les rôles répartis au hasard : un résident anesthésiste-réanimateur « sénior » ; deux résidents d’anesthésie-réanimation « junior » ; un professionnel de santé suppléant pouvant être appelé en renfort (facilitateur).

Chaque résident doit agir en tant que résident sénior (leadership) au moins une fois et trois fois en tant qu’acteur. Les autres résidents sont des spectateurs, dans un espace adjacent.

Formateurs

Les formateurs sont tous des anesthésistes-réanimateurs, qui ont suivi une formation de formateur en simulation, parmis lesquels deux ont un diplôme universitaire de formation de formateur en simulation médicale, obtenu en France (Faculté de médecine de Rennes).

Parmi les formateurs, certains jouent le rôle d’intervenant (chirurgien, sage-femme, infirmier anesthésiste ...), au cours du scénario, afin de le rendre plus réaliste et de guider les acteurs, selon le contexte propre à chaque situation.

Pour des raisons d’équité pédagogique, le groupe « 2 » a bénéficié de la même formation sur simulateur, après la collecte des résultats de l’étude.

Évaluation des performances post-formation et critères de jugement

Nous avons utilisé plusieurs critères pour évaluer les performances des étudiants après les formations, en cherchant à documenter le transfert des apprentissages en situation réelle (niveau 3 selon l’échelle de Kirkpatrick). Pour ce faire, la procédure d’évaluation des performances a été répartie sur plusieurs tâches, évaluées séparément, pour augmenter la validité des mesures du transfert en milieu clinique. Selon Ford et Weissbein [6], la validité des critères d’évaluation du transfert, augmente avec le nombre et la spécificité des critères utilisés.

Les critères de jugement constitutifs de la grille d’évaluation ont été élaborés par les médecins spécialistes experts du service d’anesthésie-réanimation et du centre de simulation, en se référant aux divers critères utilisés dans la littérature afférente, notament ceux de la grille élaborée par Kory et al. [7] qui comporte 11 paramètres. Nous avons retenu un certain nombre de paramètres qui correspondent le mieux aux objectifs de notre étude, en lien avec la gestion des voies aériennes pendant une anesthésie générale, pour chirurgie programmée, sur patient réel (niveau 3 de Kirkpatrick). Pour sa part l’étude de Kory et al. concerne la prise en charge d’un malade en situation de détresse vitale (arrêt respiratoire), sur un simulateur patient informatisé (niveau 2 de Kirkpatrick). Pour cette raison, plusieurs critères ont été modifiés, pour répondre aux impératifs éthiques et méthodologiques du travail (on ne peut pas laisser un résident novice prendre en charge les voies aériennes d’un malade en détresse).

La grille a été validée par le comité pédagogique de spécialité. Deux anesthésistes réanimateurs expérimentés, en aveugle, ont procédés à l’évaluation de tous les résidents, des deux groupes, sur un patient réel. Tous les participants ont été évalués selon les mêmes critères. Les éléments de la grille d’évaluation comprennent 10 items, regroupant des compétences cliniques. Les évaluateurs attribuent 1 point en cas de réussite et 0 point en cas d’échec, à chacun des 10 items de la grille.

La gestion des voies respiratoires de base a été divisée en dix étapes spécifiques. Chaque résident était évalué sur trois patients différents, durant la période d’évaluation qui a duré neuf jours ; les 30 résidents devaient exécuter leur première tâche d’évaluation de gestion des voies aériennes sur patient réel au cours des trois premiers jours, la deuxième tâche au cours des trois jours suivants, et la dernière au cours des trois derniers jours. La grille d’évaluation des performances est présentée dans le tableau I.

Le score final résulte de la somme des scores obtenu à chacune des trois évaluations, avec un score de  points pour chaque évaluation, soit un score total maximum de « 30 » et minimum de « 0 ». Un score élevé sur l’échelle de notation représente une meilleure performance du résident.

Les évaluateurs étaient parfaitement en accord sur le contenu de l’échelle de mesure et sur la manière de coter chaque composante de la performance.

Les patients sélectionnés pour les tâches d’évaluation ont été choisis parmi les malades classés ASA 1, Cormack 1, éligibles pour subir une anesthésie générale balancée, selon le protocole suivant : fentanyl à la dose de 3 µg/kg, propofol à la dose de 2,5 mg/kg, norcuron à la dose de 0,1 mg/kg.

Tableau I

Grille d’évaluation des tâches liées à la gestion des voies aériennes.

Analyses statistiques

Toutes les données ont été analysées à l’aide du logiciel statistique (SPSS, version 25). Les données ont été comparées avec le test statistique paramétrique T de Student. Des corrélations ont été recherchées en utilisant le test de corrélation de Pearson. Une valeur de p inférieure ou égale à 0,05 a été considérée comme statistiquement significative.

Résultats

Les 30 résidents recrutés ont tous participé à l’étude et à l’ensemble des évaluations effectuées sur patients réels, et tous ont été évalués conformément au protocole.

Les scores attribués respectivement par les deux évaluateurs étaient fortement corrélés (r = 0,9 ; p = 0,000).

Les résultats, présentés sur le tableau II, montrent un score global plus important dans le groupe expérimental (24,33 pour le groupe 1 vs. 14,73 pour le groupe 2 ; T = −12,458 (ddl = 28), p < 0,05)), témoignant d’une meilleure gestion des voies aériennes, par les résidents formés en simulation.

L’analyse différenciée montre que cette différence se retrouve pour les tâches suivantes : liste de vérification (2,73 (0,45) pour le groupe 1 vs. 1,20 (0,94) pour le groupe 2) ; ventilation (2,46 (0,63) vs. 1,46 (0,79)) ; laryngoscopie (2,60 (0,73) vs. 1,33 (0,61)) ; aide verbale (1,53 (0,91 vs. 0,40 (0,73)) ; aide physique (2,53 (0,83) vs. 0,80 (0,67)) ; intubation à la première tentative (2,00 (0,92) vs. 0,60 (0,73)) ; intubation (2,53 (0,63) vs. 1,00 (0,84)).

En revanche, les scores ne sont pas différents pour les tâches de : mise en position (2,43 (0,50) pour le groupe 1 vs. 2,46 (0,51) pour le groupe 2) ; placement de la canule de Guedel (2,80 (0,41) vs. 2,73 (0,45)) ; fixation de la sonde (2,70 (0,45) vs. 2,73 (0,45)).

Tableau II

Moyenne des scores des résidents par tâche et selon le type de dispositif pédagogique.

Discussion

Notre étude suggère que la formation des résidents en anesthésie-réanimation en gestion de base des voies respiratoires dans le cadre de dispositifs de formation recourant à la simulation (apprentissage des gestes techniques sur simulateur de tâche de basse technologie, complété par une mise en situation à l’aide du mannequin patient pleine échelle de haute technologie) permet aux étudiants de développer des capacités mobilisables dans des tâches authentiques à un niveau supérieur de performances, telle que nous avons mesuré celles-ci dans notre étude, comparativement à des résidents formés selon une approche expérientielle traditionnelle. Un tel résultat correspond à une documentation des effets du dispositif de formation au niveau 3 du modèle de Kirkpatrick, qui porte sur les modifications des comportements des formés, ou le transfert des apprentissages dans le milieu de travail, au sens où l’entend Presseau [8] en s’inspirant de Tardif et Meirieu [9], pour qui il s’agit du « processus par lequel des connaissances construites dans un contexte particulier sont reprises dans un nouveau contexte, que ce soit pour construire de nouvelles connaissances, pour développer de nouvelles compétences ou pour accomplir de nouvelles tâches ».

Dans la littérature, la formation à la gestion des voies aériennes basée sur la simulation est très ancienne. Le premier article décrivant l’utilisation de simulateurs pour enseigner l’intubation trachéale aux résidents en anesthésiologie, date de 1969 [10] ; depuis, la simulation pour l’apprentissage de capacités dans le domaine de la gestion des voies aériennes s’est considérablement répandue, notamment depuis qu’on en a établi la validité et l’efficacité [7,11].

L’étude de Mayo et al. [12] décrit un projet conçu pour améliorer la sécurité des patients, pendant la gestion des voies aériennes, avec une formation basée sur les scénarios, à l’aide d’un simulateur de patient informatisé. L’intention était de normaliser tous les aspects de cette procédure et d’identifier les points de défaillance, qui méritaient une correction. Le critère de jugement principal pour évaluer l’effet de l’intervention pédagogique était le taux de complications, tant majeures que mineures, pendant la gestion des voies aériennes, sur un patient réel, en milieu professionnel. Selon les auteurs de cette étude, la formation didactique complétée par une formation sur simulateurs représente un moyen efficace pour former les médecins urgentistes : lors de leur première tâche en situation réelle, les médecins ont reproduit, très fidèlement, les procédures techniques et les compétences non techniques, liées au travail en équipe, apprises pendant la formation.

Kennedy et al. [1], dans leur méta-analyse concernant la formation par simulation à la gestion des voies respiratoires, ont rapporté les résultats de 76 études ayant évalué l’intérêt de la simulation pour l’apprentissage des méthodes d’accès aux voies aériennes (laryngoscopie directe et vidéolaryngoscopie, fibroscopie, masque laryngé, cricothyrotomie). En comparaison avec l’absence de formation (28 études), ils ont montré que la simulation était associée à des effets positifs importants, en termes d’amélioration des compétences techniques (niveau 2 de Kirkpatrick). Mais, les effets étaient modérés (et non significatifs) lorsque l’on s’intéressait aux effets sur le changement de comportement (niveau 3 de Kirkpatrick) et sur les résultats des soins aux patients, après transfert en pratique clinique (niveau 4 de Kirkpatrick). En comparaison avec une autre approche pédagogique (10 études), la méta-analyse montrait un effet bénéfique de la simulation sur la modification du comportement en pratique clinique (niveau 3 de Kirkpatrick) et sur les résultats des soins aux patients (niveau 4 de Kirkpatrick).

À l’opposé, dans une autre étude, Sun et al. [11] ont effectué une revue systématique avec méta-analyse pour évaluer toutes les preuves publiées, comparant l’efficacité de la formation par simulation dans la gestion des voies aériennes, par rapport à une formation selon l’approche traditionnelle, sur les résultats pour l’apprenant et le patient. Cette méta-analyse montre que la formation par simulation est associée à l’amélioration des performances comportementales et à l’augmentation de la satisfaction des apprenants, par rapport à la formation classique. Bien que les participants ayant bénéficié de la simulation aient montré une amélioration significative des comportements de performance, cela ne s’est pas traduit par un taux de réussite élevé en milieu clinique, selon les auteurs, dans les limites des données existantes, et des approches analytiques utilisées. Un tiers seulement des études incluses ont mesuré les résultats en milieu clinique réel, limitant ainsi la documentation du transfert des apprentissages au niveau 3 de Kirkpatrick.

Pour leur part, Rosenthal et al. [13] ont publié une étude visant à concevoir et tester un programme utilisant un simulateur de patient contrôlé par ordinateur, pour former des résidents de médecine interne en gestion de base des voies aériennes ; les résultats indiquent une nette amélioration des performances, sur la plupart des éléments de cette procédure et les résidents formés ont également montré une amélioration des performances sur un patient réel.

Dans le cadre de la présente étude, nous avons utilisé des équipements de basse et de haute technologies pour enseigner les principes de gestion des voies aériennes. La séquence de formation recourt dans un premier temps à des simulateurs de tâches de basse technologie, pour l’entraînement aux capacités techniques de base. Ceux-ci sont moins chers, faciles à utiliser et permettent de répéter des ensembles de capacités spécifiques. Les simulateurs de patients humains de haute technologie, pilotés par l’ordinateur, n’ont été utilisés qu’après la maîtrise des gestes techniques par les résidents, dans le but de perfectionner les compétences non techniques, telles que le travail d’équipe, la conscience de la situation, la gestion des tâches et la prise de décision, dans un environnement contrôlé et sûr. Une telle stratégie d’usage parcimonieux de la haute technologie vise à limiter le coût de la simulation qui augmente avec la sophistication technologique, dans la mesure où les bénéfices du recours systématique à la simulation de haute technologie ne sont pas complètement avérés.

Plusieurs études montrent en effet que les modèles de basse technologie peuvent fournir les mêmes résultats en termes d’apprentissage de la gestion des voies aériennes que les modèles de haute technologie, à moindre coût. Friedman et al. [14] ont démontré qu’un modèle simple et peu coûteux d’entraînement à la gestion des voies aériennes est aussi efficace sur l’acquisition de compétences qu’un simulateur coûteux. L’utilisation isolée d’équipements techniques hypersophistiqués n’est pas suffisante pour garantir un apprentissage optimal car « les simulateurs n’enseignent pas ! ». C’est ainsi souligner que les interventions des enseignants restent primordiales dans le processus d’apprentissage des gestes techniques [15].

Nos résultats accréditent le bien fondé de notre choix pédagogique stratégique associant un entraînement premier sur mannequins de tâche de basse technologie à un travail secondaire dans environnement plus réaliste, recourant à des scénarios cliniques. Un tel dispositif, qui met en exergue à la fois la faculté de s’entraîner de façon répétitive et la qualité de la supervision et de la rétro-action, avant la sophistication technique, a permis d’atteindre les objectifs visés en termes de développement de capacités opératives, sans présenter de risque pour les patients. Nous considérons que ces résultats sont importants dans notre contexte, en validant le recours à des dispositifs attentifs à une exploitation judicieuse et économique des ressources.

Conclusion

La formation des résidents aux procédures de gestion des voies aériennes représente un défi pour les réanimateurs anesthésistes, étant donné la double responsabilité qu’ils ont de fournir une formation efficiente, tout en assurant la sécurité des patients. Cette tâche était traditionnellement dévolue à des dispositifs recourant à une méthode d’enseignement expérientiel, associé à un compagnonnage « au lit du malade ». Dans un contexte d’accès contingenté aux ressources, il est possible d’optimiser de tels programmes, notamment au regard de la sécurité des patients, en recourant à des dispositifs de simulation stratégiquement adaptés à leurs objectifs, de manière à rendre raisonnable le coût de leur développement et de leur maintenance. On peut entrevoir que des approches similaires puissent être transposées dans le cadre de dispositifs dédiés à l’enseignement et à l’apprentissage de nombreuses autres capacités opératives ou cliniques.

Contributions

Meriem Bouchareb a participé à la conception du protocole de recherche, au recueil des données, à l’interprétation des résultats, à l’analyse statistique et à l’écriture du manuscrit. Mahfoud Djebien a participé à la conception du protocole de recherche et au recueil des données. Mourad Bouaziz et Mouhamed Saidani ont participé à la conception du protocole de recherche.

Approbation éthique

Cette étude a été approuvée par le comité des activités pédagogiques de la Faculté de médecine d’Annaba, ainsi que par le conseil scientifique des activités hospitalières du CHU de Annaba, en Algérie.

Liens d’intérêts

Aucun auteur ne déclare de conflit d’intérêts en lien avec le contenu de cet article.

Remerciements

L’auteur principal remercie Mourad Bouaziz, doyen de la Faculté de médecine d’Annaba, pour sa contribution à la réalisation de ce travail. Les auteurs remercient les résidents en anesthésie-réanimation de première année de la faculté de médecine d’Annaba pour leur participation à cette étude.

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Citation de l’article : Bouchareb M., Bouaziz M., Djebien M., Saidani M. Formation de résidents en anesthésie-réanimation à la gestion des voies aériennes. Évaluation d’un dispositif pédagogique recourant à la simulation dans une faculté de médecine en Algérie. Pédagogie Médicale 2020:21;75-82

Liste des tableaux

Tableau I

Grille d’évaluation des tâches liées à la gestion des voies aériennes.

Tableau II

Moyenne des scores des résidents par tâche et selon le type de dispositif pédagogique.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Séance de simulation sur simulateur de basse technologie au centre de simulation Pierre Chaulet de la Faculté de médecine d’Annaba.

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Séance de simulation sur simulateur haute fidélité au centre de simulation Pierre Chaulet de la Faculté de médecine d’Annaba.

Dans le texte

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