Numéro |
Pédagogie Médicale
Volume 23, Numéro 4, 2022
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Page(s) | 225 - 233 | |
Section | Recherche et Perspectives | |
DOI | https://doi.org/10.1051/pmed/2022031 | |
Publié en ligne | 3 janvier 2023 |
Favoriser le développement du raisonnement clinique des étudiants en médecine : une démarche d’amélioration
Supporting clinical reasoning skill development in medical students: a quality improvement approach
1
Faculté de médecine, Université de Genève, Rue Michel-Servet, Genève, Suisse
2
Unité de développement et de recherche en éducation médicale (UDREM), Faculté de médecine, Université de Genève, Rue Michel-Servet, Genève, Suisse
3
Institut universitaire de médecine de famille et de l’enfance (IuMFE), Faculté de médecine, Université de Genève, Rue Michel-Servet, Genève, Suisse
4
Département de médecine, Faculté de médecine, Université de Genève, Genève, Suisse
5
Département de médecine de famille et de médecine d’urgence (DMFMU), Faculté de médecine, Université de Montréal, Montréal, Canada
6
Institut Éthique-Histoire-Humanités, Faculté de médecine (iEH2), Université de Genève, Rue Michel-Servet, Genève, Suisse
7
Service d’anesthésiologie, Département d’anesthésiologie, Pharmacologie clinique, Soins intensifs et médecine aiguë, Genève, Suisse
8
School of Education, Johns Hopkins University, Baltimore, Maryland, États-Unis
* Correspondance et offprints : Heidi CLEVERLEY-LEBLANC, Rue des Condémines 36, 1950 Sion, Suisse. Mailto : h.cleverleyleblanc@gmail.com.
Reçu :
1
Juin
2021
commentaires éditoriaux formulés aux auteurs le 24 décembre 2021 et le 27 juin 2022 ;
Accepté :
1
Juillet
2022
Contexte et problématique : La littérature scientifique récente nous force à constater que les étudiants en médecine rencontrent des difficultés pour développer leurs raisonnement clinique. De plus, il semblerait qu’ils gagnent à être stimulés afin de raisonner. Or, ils manquent d’opportunités et de ressources pédagogiques à cet effet. Comment encourager et rendre accessible l’apprentissage du raisonnement clinique, aux étudiants en médecine ? Buts : Présenter les réflexions qui ont conduit à la création d’un nouvel outil pédagogique numérique, visant à favoriser le développement du raisonnement clinique dans le contexte de soins, chez les étudiants de la faculté de médecine à l’Université de Genève. Description de l’innovation : Nous avons développé une vidéo reprenant une consultation médicale complète, exposant explicitement le raisonnement clinique du médecin durant l’anamnèse et l’examen physique. Nous dévoilons le « pourquoi » qui se cache derrière les questions et les gestes de l’examen clinique, et mettons ainsi du sens sur chaque parole et geste du médecin, lors d’une consultation. Conclusion : La valeur des connaissances des étudiants réside dans leur capacité à se les approprier, les exploiter et les réinvestir avec justesse dans une intervention clinique. Notre outil permet de soutenir l’apprentissage précoce du raisonnement clinique afin de permettre aux étudiants de mettre en valeur leurs connaissances en les exploitants de manière pertinente.
Abstract
Context and issue: Current scientific evidence obliges us to recognise that students encounter difficulties in developing clinical reasoning skills. In addition, they must necessarily be stimulated in order to acquire these skills. However, there are few opportunities to practice and a lack of pedagogical resources available to help them The question we asked ourselves was: How can we encourage and promote the learning of clinical reasoning skills among medical students? Goals: To present the rationale behind the development of a new digital educational tool, aimed at promoting the development of clinical reasoning in the context of care, among students of the Faculty of Medicine at the University of Geneva; describe this educational tool. Description of the innovation: We have developed a video of a complete medical consultation, explicitly outlining and revealing the doctor’s clinical reasoning and brainwork during the history taking and physical examination. The video makes it possible to introduce meaning into each word and gesture of the physician during a consultation. Conclusion: The value of the theoretical knowledge accumulated by students throughout their studies is determined by their ability to interpret and reinvest it, in a real life clinical situation. Our new digital educational tool is designed to promote early learning of clinical reasoning so that students can enhance their knowledge and subsequently use it in a meaningful way.
Mots clés : raisonnement clinique / éducation médicale / stratégies d’apprentissage / stations formatives / recherche action-participative
Key words: clinical reasoning / medical education / learning strategies / medical students / education
© SIFEM, 2023
Introduction
Au cours des 30 dernières années, l’intérêt pour l’enseignement du raisonnement clinique (RC) a connu un essor exponentiel. De nombreux articles scientifiques proposent des clefs pour mieux comprendre le RC, l’enseigner et diagnostiquer les difficultés chez les étudiants. Toutefois, le RC dans sa qualité de savoir et savoir-faire complexe reste une source considérable de difficultés pour les apprenants. Selon les écrits, 5 à 15 % des étudiants/stagiaires en médecine rencontrent des difficultés académiques, principalement en lien avec le RC [1]. D’après Graber [2], ce n’est pas dû à un manque de connaissances, mais principalement à des faiblesses dans le recueil, l’interprétation et l’intégration des données recueillies. Cela correspond à trois des quatre objectifs principaux de l’enseignement selon Nendaz et al. [3] (Fig. 1).
En lien avec ce constat, l’expérience propre de deux d’entre nous (HC-L et CC) en tant qu’étudiantes en médecine, renforcée par de nombreux témoignages de collègues, nous conduit aussi à constater que la majorité des étudiants en médecine à l’Université de Genève se préparent aux stations formatives (SF) (sessions d’entraînement à l’évaluation des compétences cliniques de type examens cliniques objectifs structurés – ECOS) en assimilant un maximum de schémas de consultations par cœur et qu’ils répètent anamnèse et examen physique, sans toujours en comprendre le sens.
Dans ce contexte, un nouvel outil pédagogique a été élaboré par les deux étudiantes co-autrices, dans le but d’améliorer l’enseignement du RC et favoriser son apprentissage de manière précoce et ciblée pour tous les étudiants en médecine francophones. Pour ce faire, nous avons conduit une démarche d’amélioration basée sur une consultation auprès des acteurs concernés par l’apprentissage et l’enseignement du RC, avec deux objectifs principaux : 1) réaliser un état des lieux de l’enseignement et de l’application du RC à l’Université de Genève ; 2) proposer un projet d’innovation pédagogique, consistant en l’occurrence à développer un nouvel outil pédagogique numérique, visant à favoriser le développement du raisonnement clinique dans le contexte de soins, afin de recueillir des recommandations, conseils et, le cas échéant, une validation de notre démarche.
Le présent article rapporte la démarche adoptée et son résultat. Nous proposons d’abord une définition concise du RC, issue d’une lecture de quelques ouvrages clé sur le sujet [4–6] et nous décrivons son enseignement à l’Université de Genève. Nous exposons ensuite le contexte ayant amené au processus d’élaboration de l’outil et enfin, nous décrivons l’outil numérique lui-même : Mindbox.
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Fig. 1 Les objectifs de l’enseignement du raisonnement clinique (figure reproduite depuis Nendaz et al. [3]). |
Le raisonnement clinique et son enseignement
Définition
Le raisonnement clinique (RC) est une étape de la décision médicale [7]. Il peut se définir comme un ensemble de processus de pensée et de prises de décision, qui guide le clinicien et oriente ses actions pour résoudre un problème de santé dans un contexte spécifique [8]. C’est un processus dynamique de va et vient entre d’une part, le patient, son motif de consultation, son histoire, ses représentations (etc.) et, de l’autre, les connaissances du médecin, son expérience et sa capacité à mettre en œuvre différents processus de raisonnement clinique.
La littérature décrit deux types de processus de RC : l’un, analytique, dit hypothético-déductif, et le second, non analytique, ou intuitif [9]. On parle aussi d’un type mixte, qui fait référence à la théorie du « double processus » [10], au cours duquel les deux types de processus sont sollicités et peuvent être actifs simultanément, au cours de la même situation clinique. D’après des études menées par Elstein et al. [11], les cliniciens formulent des hypothèses diagnostiques tôt dans la consultation à partir de la plainte principale du malade, de quelques signes et du contexte perçu. Cette génération d’emblée des hypothèses est suivie d’une étape de confirmation. L’intuition est alors critiquée puis validée ou non.
Enseigner le raisonnement clinique : outils actuels à l’Université de Genève
Les quatre objectifs principaux de l’enseignement du RC sont : d’aider les étudiants à organiser leurs connaissances ; de les aider à réactiver ces connaissances avec justesse ; de favoriser leur apprentissage d’une collecte des informations cliniques pertinentes et discriminantes et enfin, de les inciter à intégrer les processus de raisonnement (Fig. 1). Ces quatre objectifs encouragent l’étudiant à comprendre et à se représenter les situations cliniques. Progressivement, il devrait être apte à sortir d’un modèle de questionnement mécanistique et ainsi, à choisir les questions pertinentes parmi celles des listes apprises par cœur.
Dans la perspective d’un apprentissage pertinent du RC, il est nécessaire de sensibiliser l’étudiant à générer des hypothèses tout au long de son anamnèse, qui doit être structurée et justifiable [12]. Pour chaque question posée, l’étudiant devrait apprendre à être en mesure d’expliquer pourquoi il la pose et à quelle hypothèse diagnostique elle se rattache. D’après Nendaz [13], la formulation d’hypothèses diagnostiques pertinentes permet à son tour une collection d’informations ciblées et assure ainsi une anamnèse cohérente.
Afin de s’exercer aux compétences cliniques et relationnelles, les étudiants de la Faculté de médecine de Genève bénéficient de SF. Les SF sont non sanctionnantes mais obligatoires dans le cursus des étudiants, conditionnant la possibilité de se présenter aux examens de type ECOS (de la troisième année à la sixième année lors de l’examen fédéral). Ceux-ci sont l’équivalent des ECOS tels qu’ils sont organisés en cursus pré et post clinique au Canada [14] et de l’ECOS qui sera mis en place dès 2023 lors de l’examen de fin de deuxième cycle en France, suite à la réforme de ce cycle en 2021 [15].
Une SF est une consultation fictive avec un patient standardisé (acteur sain) ou instructeur (réel malade), réalisée sous la supervision d’un médecin ou d’un pair. Durant les SF, le patient standardisé est formé à reproduire l’histoire d’un véritable patient, sa personnalité, ses réactions émotionnelles, ainsi que les signes cliniques découlant de la situation clinique. Le patient instructeur, lui, est une personne atteinte de la pathologie relative au champ de la SF et qui est entraîné à guider les étudiants et leurs donner une rétroaction (feedback). À Genève, il y a six SF organisées lors de la deuxième et de la troisième années de médecine (années précliniques), chacune basée sur un système. Ainsi la première porte sur une plainte digestive, la deuxième sur une plainte cardio-vasculaire, la troisième sur une plainte respiratoire, et les quatrième et sixième sur des plaintes neurologiques et relatives au système locomoteur. La cinquième SF porte sur la communication en milieu clinique.
Deux des objectifs des SF sont d’encourager la mise en pratique des compétences cliniques et notamment du RC et de permettre aux étudiants de s’entraîner, en conditions cliniques quasi-réelle. Ils pourront en effet s’exercer à formuler une anamnèse et un examen clinique et à mettre en pratique les différentes techniques de communication essentielles à la relation médecin-patient, qui leurs ont été enseignées.
Les sujets sont prototypiques et inconnus des étudiants avant leur passage, permettant une approche mixte, sollicitant processus analytique et non analytique, pour répondre au problème clinique. Les thèmes sont toutefois assez communs pour que les étudiants puissent aisément se représenter le problème clinique et activer des liens avec des situations cliniques rencontrées antérieurement. De plus, il est demandé aux étudiants de réaliser une consultation ciblée sur le problème clinique ; ils sont donc amenés à collecter les données de manière pertinente et éclairée.
Les étudiants sont amenés à organiser leurs connaissances, les ré-activer, faisant des liens avec d’autres représentations cliniques, se les approprier en intégrant les processus de raisonnement tout au long de la consultation. En conclusion, les SF représentent un outil complet pour enseigner le RC, car elles permettent la mise en pratique des quatre objectifs d’enseignement énoncés précédemment (Fig. 1).
Malheureusement, comme évoqué dans l’introduction, nous avons constaté que les bénéfices des SF, en termes de formation du RC, n’étaient pas pleinement exploités par les étudiants en médecine à l’Université de Genève. En effet, la majorité des étudiants se préparent aux SF en assimilant un maximum de schémas de consultations par cœur et répètent anamnèse et examen physique, sans toujours en comprendre le sens.
L’outil pédagogique que nous présentons dans cet article n’a pas la prétention d’être exhaustif. Cependant, nous avons essayé de créer un dispositif d’enseignement du RC (Fig. 2) qui concerne aussi bien le processus analytique que non analytique. Ce dispositif répond aux quatre objectifs principaux de l’enseignement du RC et tente de remédier aux principales difficultés rencontrées par les étudiants. Il permet de plus l’acquisition et/ou la consolidation des connaissances médicales de base pour chaque niveau d’étude, les lacunes théoriques étant aussi une difficulté dans l’élaboration du RC et, en général, d’une décision médicale éclairée.
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Fig. 2 Démarche d’élaboration de l’outil Mindbox pour l’enseignement du raisonnement clinique à l’Université de Genève. |
L’outil Mindbox : du projet à la conception
Contexte et démarche de consultation
Notre démarche d’amélioration de l’enseignement du RC se situe dans un paradigme socioconstructiviste ; les étapes de conception et de production de l’outil concret qui en a découlé ont été coconstruites avec les enseignants cliniques impliqués.
Avec le soutien des professeurs impliqués et d’une doctorante en bioéthique de la faculté de médecine, nous avons initié et conduit ce processus de 2018 à 2020. Les principales étapes sont résumées dans la figure 2 et détaillée dans les encadrés juxtaposés.
Les participants, ont été conviés à un groupe de discussion focalisée (focus group) par courriel et leur participation a été volontaire. Les médecins-enseignants ont été choisis selon un échantillonnage raisonné [16], en fonction de leur implication dans la formation des étudiants lors des SF. Les étudiants ont été sélectionnés après sollicitation de chaque volée concernée par les SF, par courriel, à l’aide des listes d’envoi de l’université.
In fine, neuf personnes ont participé à la consultation, soit cinq médecins et quatre étudiants en troisième, quatrième et cinquième années, au total cinq femmes et quatre hommes (Tab. I).
Le groupe de discussion a été piloté par les deux chercheuses, et observé par la professeure impliquée dans le projet (MCA), ainsi que la doctorante (JS). Le guide d’entretien semi-structuré (Tab. II) a permis de définir précisément le déroulement de la séance. Les participants étaient par ailleurs invités à aborder toute question qu’ils jugeaient importante et qui ne figurait pas dans le guide d’entrevue. La discussion, d’une durée d’une heure environ, a eu lieu aux Hôpitaux Universitaires de Genève. Cette dernière a été retranscrite intégralement sous forme de verbatim. Toutes les données ont été anonymisées et stockées sur un serveur protégé.
Participants à la consultation en vue de l’élaboration projet Mindbox.
Résumés des questions composant le guide d’entretien du groupe de discussion (GD) organisé pendant la phase de consultation.
Analyse et synthèse de la consultation
L’analyse de données a été réalisée selon une démarche inductive de catégorisation thématique de contenu, après codage du verbatim à l’aide du logiciel ATLAS.ti 9®. Le principe de triangulation a été respecté, les deux chercheuses ayant codé leurs données de manière indépendante, avant de partager leurs résultats. La doctorante (JS) a été également impliquée dans le codage et l’analyse des données.
Le tableau III présente les principaux thèmes émergeants de la consultation.
Pour les étudiants, six problématiques majeures se distinguent. Les étudiants assimileraient des informations par cœur sans en comprendre le sens, en apprenant des listes sans se les approprier. Or, les étudiants se rendent compte qu’en pratique clinique, il est nécessaire de comprendre ce qu’ils font car ils sont confrontés à des vrais patients avec des vraies problématiques de santé. Ensuite, il semblerait qu’ils aient impérativement besoin d’être stimulés par leurs enseignants pour raisonner car, il n’est pas automatique de s’auto-stimuler au RC, surtout au stade préclinique (deuxième et troisième années). Or, ils manquent de ressources qui les stimulent pour raisonner en auto-apprentissage et le temps d’entraînement compris dans leur cursus de formation est insuffisant pour ancrer le « réflexe de raisonnement » dans leurs habitudes de travail. En conclusion, la consultation avec les médecins-enseignants et étudiants légitime nos impressions d’étudiantes et confirme les difficultés des étudiants liées au RC.
Concernant le second objectif de cette consultation, les participants, autant étudiants que médecins/enseignants, ont très largement encouragé notre démarche et accrédité la réelle nécessité d’aider les étudiants à développer un RC, au regard de son importance dans le cadre d’une décision médicale éclairée.
Les participants ont par ailleurs trouvé très novateur et pertinent le schéma et le contenu auxquels nous avions réfléchis pour l’outil. Sur le plan du format, certains ont émis des réserves quant aux difficultés de rendre une vidéo interactive et nous ont conseillé d’apporter des améliorations une fois le premier module réalisé. Ils nous ont conseillé de créer une première vidéo et de la présenter au Bureau des compétences clinique de l’Université de Genève (celui-ci regroupe les enseignants responsables de l’enseignement des compétences cliniques). Nous avons, de plus, reçu un financement afin de réaliser le premier module de notre projet que nous décrivons ci-dessous.
Principaux thèmes émergents de la consultation.
La forme de l’outil
L’outil pédagogique d’auto-apprentissage, surnommé Mindbox en référence aux « boites » de diagnostic différentiel qui apparaissent dans l’esprit d’un médecin lors d’une consultation, consistera en une série de vidéos organisée en modules. Mindbox a pour objectif d’encourager l’apprentissage et l’application précoce et soutenue du RC. Nous postulons que cet outil amènera les étudiants à une collecte de données éclairée et améliorera la formulation d’hypothèses justifiables tout au long de la consultation. Par ailleurs, Mindbox devrait aussi permettre un accroissement des connaissances théoriques scientifiques et relationnelles. En résumé, nous escomptons que les étudiants mettent en valeur : a) leurs connaissances théoriques (CT) en les organisant et en les exploitant de manière pertinente et b) leurs compétences cliniques (CC), indissociables des CT dans le cadre d’une consultation médicale. Les thèmes abordés dans ces vidéos seront basés sur les thèmes des SF : plaintes abdominale, cardiovasculaire, respiratoire, neurologique et locomotrice.
Mindbox sera destinée aux étudiants en médecine de la deuxième à la sixième années et sera adapté selon le niveau des étudiants tout au long de leur formation. Il est en effet prévu que chaque thème soit abordé par deux modules (vidéos) de niveaux différents : un module débutant destiné aux étudiants de deuxième et troisième années (cursus préclinique) et un module avancé pour ceux en en quatrième, cinquième et sixième années (cursus clinique). En effet, nous pensons qu’il est pertinent d’offrir aux étudiants un module adapté à leurs niveaux, du fait du fossé entre les exigences requises respectivement en cursus préclinique et clinique [17].
Concernant sa distributivité, notre outil sera disponible en auto-apprentissage, premièrement sur une plateforme tout public, puis sur une plateforme académique (les démarches commenceront lorsque l’outil sera terminé). Son utilisation nécessite, par conséquent, un accès à internet.
À ce jour, un premier module a été produit ; il porte sur une plainte abdominale et correspond à un niveau avancé. Nous travaillons actuellement sur des améliorations de format avant de produire les suivants. Le premier module est consultable sur la plateforme Youtube® en activant le lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=Hs7TXTMS710.
Contenu
Notre objectif principal est de contribuer à améliorer le RC des étudiants. Pour, cela nous faisons appel à une des stratégies spécifiques de supervision du RC qui consiste à verbaliser et expliciter le RC du médecin/stagiaire qui réalise la consultation [6]. Nous travaillons à faire prendre conscience aux étudiants qu’il leur incombe d’essayer d’entrer dans une démarche de réflexion et non de psittaciser, même s’ils n’ont pas un panel de diagnostics différentiels très élaboré. Le but étant de sortir du schéma : « apprendre par cœur– répéter sans comprendre ».
Le RC étant une habileté complexe et intriquée dans d’autres savoir et savoir-faire, nous avons voulu un outil complet qui permette à l’étudiant de progresser dans ses compétences cliniques de manière globale. De ce fait, chaque vidéo présentera une consultation entre un médecin et un-e patient-e, incluant l’anamnèse, l’examen physique et la discussion de début et de fin de consultation.
Tout au long de l’anamnèse et de l’examen physique, des encadrés de diagnostics différentiels apparaissent, au niveau de la partie supérieure de l’écran, aux moments pertinents du raisonnement du médecin. Par ce biais, nous dévoilons aux étudiants la signification de chaque question et de chaque geste que réalise le médecin. Par exemple, lorsque le médecin investigue un système, l’encadré en question se remplit de diagnostics probables.
Bien entendu, nous aimerions amener l’étudiant en auto-apprentissage à prédire la signification de chaque question et diagnostic, notamment pendant les phases explicatives. Pour ce qui est des parties « anamnèse » et « examen clinique », à ce jour, ils sont invités à mettre la vidéo sur pause. Nous travaillons actuellement à rendre ce processus plus didactique et cela fait partie des améliorations prioritaires dont nous discutons.
Deux autres types d’encadré complètent celui précédemment décrit. Le premier met en lumière les différentes techniques de communications utilisées par le médecin tout au long de la consultation. Le deuxième a pour but d’apporter des connaissances théoriques, sous forme d’encadrés informatifs. Ces différentes formules permettent aux étudiants de développer leurs compétences cliniques, en enrichissant leur « habiletés pertinentes » [18], ainsi que leurs connaissances scientifiques.
Enfin, la vidéo est entrecoupée de deux séquences explicatives, où le raisonnement clinique du médecin est repris et décortiqué. Ces apartés permettent d’appuyer l’apprentissage des diagnostics différentiels abordés par un deuxième encodage. Elles offrent aussi la possibilité à l’étudiant d’avoir accès, en auto-apprentissage, à un enseignement direct du RC. Il est alors stimulé à réfléchir sur différentes situations cliniques reprenant des conditions similaires à celle rencontrée durant le module, ou légèrement différentes et implantées dans des contextes cliniques différents.
En résumé, les modules reprendront les différents éléments clefs suivants :
– aide au développement du RC :
• mise à disposition d’un panel de diagnostics différentiels en rapport avec la plainte pour chaque question de l’anamnèse et geste de l’examen physique ;
• mises en contexte des signes et symptômes décrits durant les consultations ;
– aide à l’accroissement du bagage de connaissances scientifiques :
• mise à disposition d’un panel de connaissances théoriques en rapport avec la plainte et ajusté au niveau des étudiants ;
• mise à disposition d’exemples mnémotechniques ;
– aide à l’apprentissage de la relation médecin-patient :
• mise à disposition de rappels de techniques de communications essentielles à la relation médecin-patient ;
• mise à disposition d’un exemple type de début et fin de consultation.
Implantation de l’outil
Mindbox sera accessible à tous les étudiants en médecine de l’Université de Genève et pourra aussi bénéficier aux étudiants en médecine d’autres facultés francophones. Nous pensons que cela peut permettre un accès équitable à l’enseignement du RC. En effet, il semblerait qu’il y ait une grande différence interindividuelle de l’accès à l’enseignement du RC à l’Université de Genève, déterminée par les cours reçus et les outils en possession de l’étudiant. On peut imaginer qu’il existe une encore plus grande disparité entre les différentes universités, d’un pays à l’autre.
Le premier module a été présenté au Bureau des compétences cliniques de la faculté. Il a reçu l’approbation générale du bureau, ce qui a permis la création d’un groupe de travail dédié à la mise en œuvre du processus d’amélioration continue du projet, ainsi qu’à son évaluation longitudinale. Dans cet esprit, nous discutons plusieurs possibilités concernant la forme de nos modules, notamment la conversion des vidéos en dispositifs en ligne interactifs (e-learning), afin de rendre l’outil plus didactique et accessible.
Discussion
Selon Perrenoud, les compétences cliniques peuvent se définir comme un « savoir-faire de haut niveau, qui exige l’intégration de multiples ressources cognitives dans le traitement de situations complexes » [19]. C’est en effet tout l’enjeu de la formation médicale ; les stations formatives représentent une méthode efficace mais qui comporte certaines limites, comme nos résultats l’ont démontré. Nous avons été amenés à proposer un nouvel outil, dans la perspective de soutenir le développement du RC des étudiants. Cette démarche nous a également conduits à questionner nos propres processus de RC et très vraisemblablement à les améliorer. Cela nous a permis de mettre en valeur notre expérience et notre réflexivité en tant qu’étudiantes, de nous projeter dans notre futur rôle de cliniciennes et d’enseignantes, et d’en entrevoir les richesses mais aussi les défis.
Notre démarche d’amélioration rencontre plusieurs limites. Premièrement, notre unique contexte est celui des SF dans le cadre de l’Université de Genève, ce qui peut poser la question de la transférabilité des résultats. Nous pensons néanmoins que les enjeux que nous avons soulevés se rencontrent potentiellement dans d’autres contextes, dans la mesure où ils correspondent à des étapes du développement du RC. Deuxièmement, nous pourrions considérer le fait que les étudiants aient été sélectionnés sur le principe de volontariat induise un biais dans les réponses des participants. Enfin, nous n’avons conduit qu’un seul groupe de discussion, constitué à la fois d’étudiants et d’enseignants impliqués dans les stations formatives. La qualité des discussions nous conforte néanmoins dans l’idée que ce groupe de discussion a permis une co-construction de réflexions utiles au projet. Par ailleurs, cette méthode est cohérente avec les principes et processus de la recherche action.
Conclusion
Les objectifs de notre démarche étaient de valider nos impressions quant aux lacunes de RC des étudiants en médecine et de présenter notre idée de projet de développement d’un outil d’enseignement et d’apprentissage, afin de récolter avis, conseils et approbation. Cela nous a conduit à proposer des améliorations en termes d’enseignement, mais nous a aussi mobilisées, non seulement dans notre compréhension des processus de RC, mais aussi dans notre positionnement en tant qu’étudiantes et en tant que professionnelles, futures cliniciennes et enseignantes. Nous sommes devenues actrices du changement, plutôt que seulement consommatrices de connaissances, contribuant ainsi à l’amélioration continue de l’enseignement dans la faculté à laquelle nous appartenons. Dans cette perspective, nous nous permettons de conclure cet article en empruntant à Antoine de Saint-Exupéry une métaphore illustrative de ces enjeux : « Il est vain, si l’on plante un chêne, d’espérer s’abriter bientôt sous son feuillage » [20].
Contributions
Heidi Cleverley-Leblanc et Clara Chemin ont collégialement contribué à la planification, la réalisation et l’interprétation du travail de recherche ainsi qu’à la rédaction initiale du manuscrit. Elles ont, avec Julia Sader, Noëlle Junod, Ido Zamberg, Eduardo Schiffer, Mathieu Nendaz et Marie-Claude Audétat, réalisé les révisions successives. Enfin, Marie-Claude Audétat a assuré la coordination de la version finale.
Approbation éthique
Non sollicitée car sans objet.
Liens d’intérêts
Aucun auteur ne déclare de conflit d’intérêts en lien avec le contenu de cet article.
Remerciements
Ce projet est réalisé en partenariat avec l’Unité de développement et de recherche en éducation médicale (UDREM) et avec le Bureau des compétences cliniques de la Faculté de médecine de l’Université de Genève.
Nous tenons à remercier chaleureusement le Vice-décanat et plus précisément le vice-doyen à l’éducation, le professeur Mathieu Nendaz, pour nous avoir accordé un financement pour notre premier module. Nous remercions très sincèrement les médecins, professeurs et étudiants ayant participé au groupe de discussion. Nous remercions Mme Papaloïzos et Mme Chemin d’avoir mis à notre disposition leur professionnalisme et leur talent pour la réalisation de notre projet numérique, ainsi que Madame Dalga en sa qualité d’actrice.
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Citation de l’article : Cleverley-Leblanc H, Chemin C, Sader J, Junod N, Zamberg I, Schiffer E, Nendaz M, Audétat M-C. Favoriser le développement du raisonnement clinique des étudiants en médecine : une démarche d’amélioration. Pédagogie Médicale 2022:23;225-233
Liste des tableaux
Résumés des questions composant le guide d’entretien du groupe de discussion (GD) organisé pendant la phase de consultation.
Liste des figures
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Fig. 1 Les objectifs de l’enseignement du raisonnement clinique (figure reproduite depuis Nendaz et al. [3]). |
Dans le texte |
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Fig. 2 Démarche d’élaboration de l’outil Mindbox pour l’enseignement du raisonnement clinique à l’Université de Genève. |
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