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Numéro
Pédagogie Médicale
Volume 21, Numéro 4, 2020
Page(s) 203 - 205
Section Communication brève
DOI https://doi.org/10.1051/pmed/2020049
Publié en ligne 23 décembre 2020

Contexte et problématique

La pandémie de COVID-19 est compliquée par l’imprévisibilité du coronavirus et sa transmission rapide dans la population, créant ainsi une situation urgente dans laquelle les consignes des instances de santé publique paraissent parfois contradictoires. Dans un tel contexte, le besoin de générer et de disséminer rapidement des informations justes et pertinentes pour le public et les professionnels de la santé est essentiel. Le savoir publié par les organismes de santé publique et les associations professionnelles, concernant les caractéristiques du virus, des symptômes, des traitements les plus communs et des moyens habituels d’atténuation des symptômes constituaient une source fiable de connaissances, mais elles sont rapidement devenues obsolètes à la lumière de situations cliniques insolites.

Le savoir disséminé par les organismes de santé publique et associations professionnelles est issu, en grande partie, du savoir théorique produit avant la pandémie de COVID-19 et anticipe peu ou pas les situations nouvelles qui ont émergé. Conséquemment, les professionnels de première ligne, en quête de réponses à des questionnements nouveaux, se sont intuitivement tournés vers des réseaux informels, utilisant des applications de messagerie pour téléphone intelligent pour lancer les questions « au large » dans l’espoir que quelqu’un du réseau pourrait apporter un élément de réponse.

Une équipe de la Direction du développement professionnel continu (DDPC) et du Centre de pédagogie appliquée aux sciences de la santé (CPASS) de la Faculté de médecine à l’Université de Montréal développe et mobilise des outils de formation continue basés sur l’apprentissage par concordance et le compagnonnage cognitif [13], désignés sous le terme générique de formation par concordance (FpC). Après une présentation en quelques lignes d’une situation clinique et d’une donnée clinique ou contextuelle, susceptible de questionner son jugement initial, le participant est appelé à choisir une réponse sur une échelle de niveaux d’intensité. Puisque la FpC permet aux participants de répondre à une situation clinique complexe sans solution unique, nous avons postulé son utilité dans le contexte d’incertitude actuel.

La valeur ajoutée de l’outil FpC est de réunir virtuellement et soutenir une communauté de pratique semblable au modèle de développement professionnel de Payette et Champagne [4] influencé par l’apprentissage expérientiel [5]. Chacun, dans cette mutualisation, apporte une situation problématique de sa pratique. Le groupe discute pour comprendre la situation, en dégager les enjeux et les lacunes de connaissances. Des hypothèses de compréhension du problème sont émises et traitées l’une après l’autre. Puisque le travail se fait autour de problèmes apportés par les praticiens, il s’agit d’une approche du bas vers le haut où la contribution de spécialistes expérimentés est sollicitée si besoin. Dans ce contexte, les savoirs scientifiques apportés par les spécialistes viennent enrichir les réflexions des praticiens.

Ce que nous avons fait

Fort de notre expérience en FpC, nous avons conçu un outil de rétroaction multi-source aux questions qui émergent de la pratique en contexte de COVID-19. Nous avons demandé à des professionnels travaillant auprès de patients atteints du coronavirus d’inclure l’équipe du DDPC-CPASS dans leur partage informel de questionnements. Dès réception, l’équipe du DDPC-CPASS a construit les vignettes-problèmes à partir de cas rencontrés dans la pratique en format FpC, qui ont ensuite été envoyées à un panel de spécialistes expérimentés en médecine interne, microbiologie, épidémiologie, santé publique et pneumologie (n = 7). Nous leur demandions de choisir une réponse d’intensité et de la justifier en quelque lignes. Les réponses du panel ont été compilées, synthétisées et envoyées à un plus grand nombre de participants (n = 23) qui, à leur tour, ont indiqué un niveau d’intensité avant d’accéder aux justifications des panélistes. Au terme de la semaine, les réponses aux vignettes ont été comparées au cours d’un webinaire de 60 minutes. Une microbiologiste expérimentée a animé la rencontre et commenté les réponses en partageant son expertise. Ceci a permis une confluence de connaissances et d’expériences, offrant à la communauté de pratique l’accès à un ensemble riche et précis de solutions qu’ils peuvent mettre en pratique. Il est à noter que tout ceci s’est réalisé en confinement. L’équipe du DDPC-CPASS, les spécialistes et les participants dans les différents milieux ont partagé leur expérience et leurs savoirs sans quitter leur domicile !

Ce que nous avons observé

Quatre vignettes, produites selon la procédure décrite plus haut, touchaient : 1) le port de masque dans des endroits communs des hôpitaux ; 2) le choix de laisser les enfants participer à des sports d’été, basé sur l’immunité protectrice ; 3) l’exposition au virus par des personnes ayant eu une réponse négative à un test de dépistage et : 4) les effets de maladies respiratoires dans un contexte de COVID-19.

Dans la première vignette, contrairement aux panélistes, les participants étaient plus insistants sur le port du masque dans les endroits communs des hôpitaux. La justification des panélistes était que pour une contamination, une exposition de plusieurs minutes, voire quelques heures, est nécessaire. Puisque les rencontres dans les lieux communs ne durent que quelques secondes en général, le port du masque dans les endroits communs ne modifie pas le risque de contamination. Cette vignette est devenue obsolète quelque temps après, lorsqu’il a été déterminé que le port du masque était souhaitable en tout temps.

Pour la vignette relative aux enfants et aux sports d’été (football, baseball, etc.), les réponses des participants et des panélistes concordaient, contre l’idée de les laisser participer. Toutefois, l’explication des panélistes apportait une nuance : les connaissances actuelles ne permettent pas d’être certain qu’une immunité protectrice émerge suite à l’exposition au coronavirus. Bien que les enfants semblent moins susceptibles, en raison de leurs récepteurs différents de ceux des adultes, il n’y avait pas de confirmation de ceci. Par prudence, tous s’entendaient pour ne pas laisser les enfants participer aux sports d’été.

Concernant la personne qui avait eu un test de dépistage négatif et qui présentait des symptômes suspicieux (toux sèche, fièvre, etc.), les panélistes soulignaient, contrairement aux participants, que le test négatif était probablement juste. La fiabilité des tests de dépistage était meilleure que les participants ne le croyaient, 5 % plutôt que 30 % de faux négatifs. De plus, les panélistes apportent une nuance importante : bien que le test s’avère négatif, il est possible que la personne ait été exposée après le test et donc probable qu’elle soit contaminée et doive être isolée.

Dans la quatrième vignette concernant les maladies respiratoires, l’animatrice du webinaire a partagé sa recension des écrits scientifiques sur la question. Les participants avançaient que les personnes asthmatiques étaient davantage à risque et qu’il fallait intervenir rapidement. Les panélistes et l’animatrice étaient moins enclins à cette option. Les écrits publiés très récemment sur l’asthme et la COVID-19 indiquent que les asthmatiques prenant des stéroïdes inhalés n’étaient pas plus à risque, sauf, tel que démontré dans une étude américaine, pour les populations de descendance africaine.

Forces et limites

Étant donné qu’il y a encore peu de connaissances stables et confirmées sur la COVID-19, un outil permettant d’ajuster l’information et de la mettre à jour continuellement s’avère nécessaire pour maintenir la qualité des soins, surtout en première ligne. Les résultats de notre expérience démontrent que l’outil FpC, mobilisé dans une communauté de pratique, permet de diffuser de l’information en fonction de besoins urgents. La méthodologie de captage des questionnements, et la mise en dialogue des diverses réponses et savoirs dans le cadre du webinaire, renforcent la pertinence et l’utilité de l’information pour les professionnels en première ligne.

Nos résultats montrent que l’outil FpC permet de confronter différentes hypothèses pour en retirer les connaissances les plus raffinées possible. Ceci apparait clairement dans les nuances apportées lors du webinaire, la confluence des idées permettant à tous de mieux saisir les enjeux de la situation.

Toutefois, la rapidité à laquelle les savoirs évoluent, comme nous l’avons observé dans la vignette du port du masque, rend les informations obsolètes rapidement. L’instabilité inhérente à la pandémie actuelle se traduit aussi dans les contenus à diffuser par FpC. Bien que les questions envoyées soient pertinentes, l’équipe DDPC-CPASS et les panélistes doivent modifier continuellement les réponses aux mêmes questions. À terme, il est envisagé qu’une fois les informations stabilisées, l’outil FpC restera comme ressource d’apprentissage.

Conclusion

Nous avons observé que la FpC, suivie d’un webinaire animé par un médecin spécialiste, répond bien aux préoccupations des médecins de première ligne en les exposant aux derniers développements en matière de connaissances scientifiques. Chaque jour, il devient vraisemblable que nous allons co-exister avec le COVID-19 pendant des mois à venir, voire des années. Le besoin d’un dialogue soutenu entre médecins de première ligne et les divers spécialistes est évident.

La création continue de savoirs dans un monde en constante évolution et qui ne cessera jamais de nous surprendre est désormais la nouvelle norme. Vu cela, sur le plan de la formation continue, les approches pédagogiques qui sont surtout transmissives deviendront rapidement obsolètes. La réalité caractérisée par la complexité et l’incertitude devra faire appel à des approches pédagogiques axées davantage sur la mise en commun du savoir expérientiel et scientifique des membres de communautés de pratique.

Références

  1. Charlin B, Deschênes M-F, Dumas J-P, Lecours J, Vincent A-M, Kassis J, et al. Concevoir une formation par concordance pour développer le raisonnement professionnel : quelles étapes faut-il parcourir ? Pédagogie Médicale 2018;19:143‐9 [CrossRef] [EDP Sciences] [Google Scholar]
  2. Lecours J, Bernier F, Friedmann D, Jobin V, Charlin B, Fernandez N. Learning-by-Concordance for Family Physicians: Revealing its Value for Continuing Professional Development in Dermatology. MedEdPublish 2018;7:1‐10 [Google Scholar]
  3. Fernandez N, Foucault A, Dubé S, Robert D, Lafond C, Vincent A-M, et al. Learning-by-Concordance (LbC): introducing undergraduate students to the complexity and uncertainty of clinical practice. Can Med Educ J 2016;7:e104‐e13. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  4. Payette A, Champagne C. Le Groupe de Codéveloppement Professionnel. Ste-Foy: Presses de l’Université du Québec, 2000 [Google Scholar]
  5. Kolb DA. Experiential Learning: Experience as the Source of Learning and Development (2nd ed.). Upper Saddle River (NJ): Pearson Education Inc., 2015 [Google Scholar]

Citation de l’article : Henriksen C., Jobin V., Deschênes M.-F., Tremblay C., Charlin B., Fernandez N. Formation par concordance avec rétroaction multi-source aux questions qui émergent de la pratique médicale en contexte de pandémie COVID-19. Pédagogie Médicale 2020:21;203-205


© SIFEM, 2020

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