Numéro |
Pédagogie Médicale
Volume 21, Numéro 2, 2020
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Page(s) | 91 - 99 | |
Section | Concepts et innovations | |
DOI | https://doi.org/10.1051/pmed/2020028 | |
Publié en ligne | 14 septembre 2020 |
Elaboration d’une fiche d’évaluation du stage clinique en médecine de famille : processus et résultat☆
Creating a residency rotation assessment tool in Family Medicine: process and product
Département de médecine de famille et de médecine d’urgence, Université de Montréal,
Montréal,
Québec, Canada
* Correspondance et offprints : Marie-Pierre CODSI, Département de médecine de famille et de médecine d’urgence, Université de Montréal, Montréal, Québec, Canada. Mailto : marie-pierre.codsi@umontreal.ca.
Reçu :
7
Juillet
2019
Accepté :
17
Juin
2020
Commentaires éditoriaux formulés aux auteurs le 18 février et le 16 juin 2020
Contexte : Depuis l’implantation de l’approche par compétences en formation médicale, divers établissements dans le monde implantent des outils pour évaluer le progrès et les niveaux de maîtrise des compétences. Objectif : Décrire le processus d’élaboration collectif de la fiche d’appréciation du stage clinique (FASC) en médecine de famille et présenter son résultat. Cette fiche relie les activités professionnelles confiables (APC) et les compétences requises pour les réaliser. Méthode : Un groupe de travail mandaté par la direction universitaire du programme, de concert avec les 18 directeurs locaux de programme (DLP) dans les centres où se déroule la formation des résidents, a validé une liste d’APC par sondage. Dans un deuxième temps, lors d’une journée d’atelier, 47 participants (enseignants et DLP) ont décrit les niveaux de maîtrise à observer chez les résidents pour chaque APC. Résultats : Les travaux ont mené à la création d’une nouvelle FASC et d’un Guide de notation qui permettent d’évaluer 11 APC et les 7 compétences reconnues au Canada. L’appréciation des APC se base sur la confiance des enseignants envers le travail des résidents. Cinq « niveaux de confiance dans la délégation de responsabilité » (NiCDeR) ont été définis pour les principales compétences sollicitées par chaque APC. Conclusion : L’utilisation d’un processus de co-construction a permis d’augmenter la validité et la pertinence d’une nouvelle fiche d’évaluation des stages cliniques en médecine de famille et de favoriser son appropriation par les cliniciens-enseignants du programme.
Abstract
Background: With the implementation of Competency-based medical education, many medical schools worldwide are introducing targeted tools to assess progress and mastery achievement of competencies. Objective: Describe the co-building process used to develop de Clinical Rotation Assessment Form (CRAF) in family medicine. This form contains an Entrustable Professional Activity (EPA) and the competencies required. Methods: A working group was mandated to conduct the development work and worked in partnership with 18 Local Program Directors (LPD) in the university clinics where training is carried out. A list of EPAs was initially developed and validated via survey. Subsequently, in a day-long workshop, 47 participants (educators and LPDs) described the mastery levels to observe in residents for each EPA. Results: The work led to development of the CRAF and a Marking guide that supports assessment of 11 EPAs and 7 competencies. EPA assessment is premised on entrustment conferred by educators according to resident’s progress. Five levels of “entrustment to delegate responsibility” (NiCDeR) were defined for the main competencies implicated in each EPA. Conclusion: The new CRAF and the Marking guide were validated by the LPDs in each of the University Family Medicine Clinics, which facilitated their introduction and implementation in the training sites. Clear and precise expectations also helped to achieve desired results. Co-building of the CRAF allowed for enhanced validity and relevance of the tool and favored uptake by the clinical-educators.
Mots clés : évaluation des compétences / stages cliniques / activités professionnelles confiables / médecine de famille / niveau de confiance dans la délégation de la responsabilité / évaluation des stages cliniques
Key words: competency assessment / clinical rotations / entrustable professional activities / descriptive scales / entrustment for responsibility delegation levels / Delphi survey
© SIFEM, 2020
Introduction
En accord avec les orientations du Collège des médecins de famille du Canada, [1,2] le programme de résidence en médecine de famille de l’Université de Montréal (UdeM) transforme son processus évaluatif en intégrant l’approche par compétences [3]. Le cadre conceptuel de ce « nouveau » programme, parachevé en 2014 [4], s’articule autour du référentiel CanMEDs défini par le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada (CRMCC) en 2005 [5] dans un premier temps, puis adapté par le Collège des médecins de famille du Canada en 2009 [6]. Ce cadre conceptuel prévoit, notamment, que l’évaluation et le suivi du progrès des résidents se basent sur l’observation et sur le jugement qu’ont les enseignants du travail que les résidents réalisent en contexte clinique authentique. Afin d’outiller les enseignants cliniques pour qu’ils puissent porter ces jugements avec assurance, dans le respect des principes de l’approche par compétences, nous rapportons ici à la fois le processus et le résultat d’un travail qui visait à co-construire la fiche d’évaluation de stage, avec le concours des utilisateurs éventuels, pour soutenir l’évaluation globale des compétences des résidents. Le présent article décrit la démarche de co-construction utilisée par le Conseil pédagogique du programme de résidence en médecine de famille (MF) de l’UdeM pour élaborer une nouvelle fiche d’évaluation dite « fiche d’appréciation du stage clinique » (FASC), ainsi qu’un guide de notation de cette fiche.
Le contexte de formation en médecine de famille
Cadre général des stages
Il nous semble utile d’expliquer brièvement le contexte de formation et d’évaluation des résidents de notre programme de MF. Tous les résidents (nombre annuel approximatif de 300) sont rattachés, au cours des deux années de leur formation, à un milieu clinique appelé « Clinique universitaire de médecine de famille » (CUMF). Dans ces milieux cliniques, sous la supervision de cliniciens enseignants, les résidents se préparent à leur pratique future en prodiguant des soins cliniques authentiques à leurs patients. Chacune des 18 CUMF affiliées au programme de MF de notre institution a la responsabilité de réaliser l’évaluation de ses résidents à la fin de chacun des stages (d’une durée de deux à trois mois). Ces évaluations sommatives sont consignées sur une fiche d’appréciation du stage clinique (FASC) qui est acheminée au comité central d’évaluation du programme de résidence en MF (comité universitaire) à qui revient la responsabilité de valider ou non la réussite de ces stages.
Une ancienne fiche d’appréciation du stage clinique imparfaite
Jusqu’à tout récemment, les évaluations des stages en MF étaient consignées sur une FASC élaborée en 2014. Cette fiche comportait cinq situations professionnelles, formulées sous la forme d’activités professionnelles confiables (APC), pour chacun des stages. On y consignait aussi une appréciation de chacune des sept compétences du référentiel CanMeds (communicateur, professionnel, expert médical, collaborateur, gestionnaire, promoteur de la santé et érudit). Ces compétences étaient évaluées dans un contexte clinique authentique, mais sans qu’aucun lien ne soit fait entre ces compétences et les cinq APC documentées sur la FASC.
Au fil du temps, les membres du comité central d’évaluation du programme de résidence en MF, ainsi que les responsables locaux de l’évaluation de chaque CUMF, ont exprimé certaines insatisfactions envers l’ancienne FASC, qui témoignaient entre autres d’une mauvaise compréhension du concept d’APC et d’une construction imparfaite de ces APC. C’est dans ce contexte que la direction du programme de résidence à pris la décision, en 2016, de concevoir une nouvelle FASC.
Problématique
L’évaluation du développement des compétences se réalise tout au long d’un parcours de formation [7]. Ceci implique, en éducation médicale notamment, que l’enseignement et l’évaluation se conçoivent comme des activités pédagogiques reliées et rapprochées dans le temps. L’évaluation globale et intégrée des compétences basées sur le cumul d’observations directes et indirectes présente des défis quotidiens pour les enseignants en milieu clinique. À la difficulté de bien appréhender le concept de compétence et son application dans la formation clinique, s’ajoute celle de décrire avec suffisamment de précision les éléments à observer qui permettent d’apprécier les différents niveaux de maîtrise des compétences.
L’expérience montre qu’il est souvent ardu pour un évaluateur de faire des inférences justes à partir de l’observation du travail clinique d’un résident en se basant sur les descriptions des compétences provenant des référentiels de compétences que nous utilisons [5,6]. Il est en effet difficile de porter un jugement avec justesse sur le niveau de maîtrise de l’expertise médicale ou de la communication, par exemple, à partir de l’observation d’une consultation clinique réalisée par un résident avec un patient. Nous étions donc à la recherche d’un outil d’évaluation qui, tout en s’intégrant dans une approche par compétences, permettrait aux enseignants d’apprécier de façon globale, holistique et intuitive la compétence et la progression d’un résident au cours de sa formation.
La définition de la compétence proposée par Tardif [7], comporte la notion de familles de situations à l’intérieur desquelles un individu compétent mobilise son savoir-agir. En cohérence avec cette conception, le processus de développement des référentiels de compétences devrait prendre appui sur l’analyse des situations professionnelles pour effectuer une transformation didactique afin de soutenir la formation des professionnels qui vont y intervenir [8,9]. Or, les rédacteurs du référentiel de compétences CanMEDs et par conséquent celui de la MF, se situent dans un cadre épistémologique qui conçoit les compétences au titre d’habiletés génériques et peu ancrées dans un contexte de pratique particulier, à l’inverse de la conception de Tardif, de sorte que la description des compétences dans un tel référentiel demeure difficilement intelligible pour les enseignants sur le terrain chargés de veiller à leur développement. C’est pourquoi nos travaux de modification de la fiche d’évaluation nous ont amenés à adopter le concept d’activité professionnelle confiable (APC) (traduction adoptée par l’Association des facultés de médecine du Canada en 2017 de la locution « entrustable professional activity » proposée par Olle ten Cate [10]), qui permet au clinicien enseignant de faire plus aisément un lien entre l’activité professionnelle (famille de situations) qu’il observe et les compétences qu’il souhaite évaluer.
L’activité professionnelle comme vitrine de la compétence
Tel que décrit par ten Cate [10], une APC constitue fondamentalement une activité professionnelle authentique et récurrente qui est spécifique à une discipline médicale. En raison de sa complexité, elle sollicite pour sa réalisation la mobilisation et la combinaison de plusieurs des compétences définies par le Collège des médecins de famille du Canada. Cet enchevêtrement de gestes professionnels qui amalgament de multiples savoirs, habiletés et attitudes est observable et évaluable [11].
Puisque l’APC décrit une activité professionnelle propre à une discipline et à un milieu de pratique, ce concept intègre autant la notion de construction graduelle de la compétence [12] que celle de contexte dans lequel se réalise le travail clinique qui contribue à cette construction. C’est la notion de confiance qui donne à l’APC sa qualité de jalon permettant d’observer la progression du résident. Un enseignant clinique arrive assez facilement à prendre conscience de la confiance que lui inspire un résident lors qu’il l’observe accomplir une activité professionnelle complexe (par exemple ; assurer le suivi de patients ou gérer des épisodes de soins). Cette confiance découle d’un jugement global, souvent intuitif, porté sur la pertinence et l’efficacité d’un ensemble d’actions ou de décisions prises par le résident, qui témoignent d’un certain niveau de maîtrise des compétences sous-jacentes visées par le programme de formation. Ce niveau de confiance se traduira ensuite par le degré d’autonomie que l’enseignant acceptera d’accorder à ce résident dans la réalisation de futures activités professionnelles semblables [13]. Décrivant une activité professionnelle récurrente, l’APC sert de toile de fond pour mettre en évidence la progression des niveaux de maîtrise des compétences à plusieurs moments en cours de formation, permettant ainsi de dégager une vision longitudinale d’une trajectoire de développement. Ainsi, parallèlement à la trajectoire de développement de la maîtrise des compétences d’un résident se dessinera une trajectoire de développement de la confiance et de l’autonomie qui lui sont accordées.
Les écrits scientifiques portant sur la question soutiennent le fait que baser l’évaluation d’APC sur la confiance constitue une stratégie pertinente dans la mesure où en milieu de travail, l’évaluation holistique, de nature qualitative, repose sur de multiples évaluateurs ayant réalisé plusieurs observations dans multiples contextes [14]. La validité et la crédibilité de leurs jugements, basés sur une liste des critères, inclus dans la description de l’APC, assurent un degré de justesse et de pertinence acceptable [15,16].
Un concept largement adopté
Au cours de la dernière décennie, les APC ont été implantées dans plusieurs programmes de médecine de famille au Canada. Les travaux réalisés dans quatre facultés canadiennes indiquent que des listes de 30 et 40 APC avaient été rédigées et servaient à jalonner le progrès des résidents au cours des 24 mois de formation, dans multiples contextes cliniques [16]. Ces travaux, réalisés sous l’égide de panels d’experts en médecine de famille, parfois complétés par des représentants du public ou des patients, soutenus par des experts en pédagogie, favorisent la mise en lien avec les compétences du référentiel et des domaines de pratique (soins aux ainés, soins aux enfants, maternité, fin de vie, etc.) afin d’évaluer quantitativement à l’aide d’un « tableau de bord » la progression du résident [18]. Leur but global est de créer un système de suivi électronique des APC permettant de structurer la rétroaction quotidienne et de fonder les décisions d’atteinte – ou de non atteinte – des compétences par les résidents, en s’appuyant sur l’index d’utilité des items de van der Vleuten [17] en lien avec l’évaluation des compétences.
La rédaction des APC pour une discipline comme la médecine de famille (MF) représente un défi de taille. Les champs de pratique sont vastes, les contextes de soins divers, et les clientèles variées. Contrairement aux équipes d’autres facultés de médecine qui ont construit des outils axés sur la temporalité – le temps raisonnable attendu pour l’atteinte de seuils de compétences [18–20] – nous avons choisi de produire un outil susceptible d’habiliter davantage les acteurs locaux dans les CUMF, afin de rehausser le soutien aux résidents en permettant la formulation de rétroactions ciblées et utiles, tout en compilant des résultats chiffrés pour statuer et certifier la progression du résident [17]. Contrairement à d’autres équipes au Canada, nous avons opté pour un processus de co-construction d’un nombre moins élevé d’APC (11 au lieu de 35, seulement pour les stages en CUMF), accompagnées d’un référentiel de notation basé sur la notion de confiance.
Nous présentons dans les sections suivantes le processus et le résultat de la modification de la fiche d’évaluation du stage de MF de notre programme de résidence. Le présent texte permet d’étayer comment nous avons réussi à : 1) mettre en relation le référentiel de compétences et les activités cliniques de formation des résidents ; 2) synthétiser les jugements évaluatifs que doivent formuler les enseignants et 3) faciliter l’adoption d’un langage commun partagé par les enseignants et les résidents pour clarifier les attentes évaluatives.
Méthodes
Le processus de création de la nouvelle fiche d’appréciation du stage clinique et de son guide de notation
La direction du programme de résidence en MF a confié le mandat de créer la nouvelle FASC de MF à un groupe de travail, le Conseil pédagogique (CP), composé de six médecins de famille enseignants, d’une résidente en MF et d’un expert en pédagogie. Ce mandat spécifiait que la nouvelle FASC devait :
-
définir les activités professionnelles d’un médecin de famille ;
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permettre l’évaluation d’un nombre convenable d’APC liées aux compétences requises pour les réaliser ;
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contenir des APC conformes au concept décrit par ten Cate [10] ;
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être facile à utiliser dans le contexte de formation clinique ;
-
s’accompagner d’un guide de notation.
Fort de ce mandat, le CP a conçu une démarche structurée et rigoureuse (schématisée sur la Fig. 1), s’articulant autour d’un processus itératif de consultation des collègues du corps enseignant, afin d’identifier des activités professionnelles à travers un sondage auprès des responsables de l’enseignement dans les 18 CUMF de notre programme et de procéder à la caractérisation des APC mises en relation avec les compétences du référentiel [4]. Ce mécanisme de « co-construction » a été choisi, car il transforme les utilisateurs en partenaires engagés dans le processus ce qui permet, d’une part, que les concepteurs produisent un outil plus complet et davantage susceptible de répondre aux besoins des enseignants et des résidents et, d’autre part, que ces derniers s’approprient progressivement et définitivement l’outil.
Cette démarche s’est déroulée en plusieurs étapes. Dans un premier temps, le CP a effectué une revue de la littérature en pédagogie médicale portant sur le concept d’APC. Cette recension a notamment permis de repérer des programmes de MF où des APC étaient déjà implantées [16,21,22]. S’appuyant sur ce travail, le CP a élaboré une liste préliminaire de 31 APC répondant aux besoins du programme et respectant le concept d’APC, tel que défini par ten Cate [10]. À partir de cette liste, le CP a effectué un sondage auprès des 18 responsables locaux d’évaluation des CUMF, au printemps 2017. Ces responsables devaient choisir les APC qu’ils jugeaient les plus représentatives pour la MF et les plus pertinentes pour évaluer un résident, puis les classer par ordre de préférence.
Le taux de réponse à cet exercice a été de 83% (15 sur 18). Les APC ayant obtenues plus de 50% des votes ont été retenues et le nombre d’APC a été réduit à 11. Cette liste a ensuite été soumise aux directeurs locaux de programme (DLP) des 18 CUMF, qui l’ont adoptée en juin 2017. Ces 11 APC sont dès lors devenues les APC de la nouvelle FASC de MF (cf. Tab. I).
Le CP a ensuite construit un guide de notation de la FASC de MF (voir Annexe 3, p. 186 du Cahier du programme de résidence en médecine de famille [24]). Ce document a pour vocation d’assurer que les enseignants et les résidents partagent une compréhension commune de ce qui doit être évalué dans le stage de MF et de permettre une standardisation des jugements évaluatifs. Ce guide décrit les comportements observables associés aux niveaux attendus de maîtrise de chaque compétence. Il décrit aussi, pour chaque APC, le niveau attendu de confiance que doivent éprouver les enseignants envers un résident qui évolue normalement, lorsqu’ils lui confient des activités professionnelles en cohérence avec les divers temps jalons (basés sur un parcours de 24 mois comportant 26 périodes de stages) de la formation.
Pour ce faire, le CP s’est d’abord penché sur la notion de confiance en adoptant la définition qu’en fait tenCate [23], soit l’assurance qu’un superviseur ou qu’une équipe peut avoir qu’un résident exécutera correctement l’activité professionnelle qu’on lui confie. La confiance varie nécessairement avec le niveau de formation d’un résident, sa compétence et la complexité de l’activité professionnelle. Cette variabilité du niveau de confiance, qui doit normalement croître en cours de formation, se traduit, pour l’enseignant, par le degré d’autonomie qu’il est prêt à consentir à un résident lorsqu’il lui demande d’accomplir une activité professionnelle.
Nous avons donc développé le concept de « niveau de confiance dans la délégation de responsabilité » (NiCDeR) que nous avons ordonné en cinq échelons qui associent de façon croissante un degré de confiance et un type de supervision (Tab. II). Ce tableau a reçu l’assentiment des directeurs locaux de programme des 18 CUMF.
Un premier travail d’élaboration d’une grille de caractérisation des APC a été effectué par le CP. Cette grille explicite, pour chacune des 11 APC :
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la définition de l’APC ;
-
l’identification des principales compétences que sollicite la réalisation de l’APC en question ;
-
les indicateurs (comportements observables) qui caractérisent les différents NiCDeR pour chaque compétence sollicitée et à chaque temps jalon de la formation ;
-
la trajectoire attendue de la progression du degré de confiance (NiCDeR) que devrait susciter un résident qui évolue normalement aux divers temps jalon de la formation.
La caractérisation des APC s’est poursuivie avec le concours de 47 enseignants (provenant des 18 CUMF) impliqués dans l’évaluation des résidents. Ceux-ci ont participé à une journée de travail visant à valider le travail réalisé par le CP et a commencé à s’approprier la nouvelle FASC tout en contribuant à sa construction. Répartis en petits groupes lors de cette journée, les participants ont revu et validé les choix et travaux préliminaires effectués par le CP. Ils ont ensuite choisi les principales compétences sollicitées par les 11 APC retenues et rédigé les indicateurs caractérisant les cinq NiCDeR pour les compétences « professionnalisme » et « expertise ».
Le CP a subséquemment révisé le travail effectué lors de cette journée et l’a complété en identifiant, pour chaque APC, les indicateurs qui caractérisent tous les NiCDeR de toutes les compétences sollicitées. Par la suite, un travail d’élagage des critères d’évaluation des compétences spécifiques apparaissant sur la FASC a été effectué. Le CP a finalement élaboré des indicateurs (comportements observables) qui illustrent pour chaque compétence ce qu’un résident doit pouvoir réaliser aux divers temps jalons de la formation définissant ainsi le niveau attendu de maîtrise de chaque compétence.
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Fig. 1 Démarche utilisée par le Conseil pédagogique (CP) pour produire la nouvelle fiche d’appréciation du stage clinique (FASC) de médecine de famille. En jaune : travaux du CP ; En bleu : consultations auprès du corps enseignant. APC : activité professionnelle confiable. |
Trajectoire attendue de développement des niveaux de confiance dans la délégation de responsabilité (NiCDeR) pour chaque activité professionnelle confiable (APC).
Niveaux de confiance dans la délégation de responsabilité (NiCDeR) du programme de résidence en médecine de famille.
Résultats : l’adoption de la nouvelle fiche d’appréciation du stage clinique
La nouvelle FASC et son guide de notation ont été mis en page et présentés pour validation et pour adoption à la direction du programme de MF, puis aux DLP des 18 CUMF lors d’une réunion du comité de programme. Ils ont finalement été entérinés par le vice-décanat aux affaires postdoctorales de la faculté de médecine. Une formation de quatre heures portant sur l’utilisation de la nouvelle FASC a été offerte au corps enseignant quelques mois avant sa mise en service. À titre d’illustration, l’annexe 1 qui présente la grille d’appréciation de l’APC numéro 3 (Assure le suivi des patients avec problèmes aigus– Tab. II) et l’annexe II, qui présente la grille d’appréciation de la compétence de collaboration, sont disponibles en tant que matériel éditorial complémentaire en ligne. Les versions finales de la FASC et son guide de notation peuvent être consultés sur le site du département de médecine de famille de l’Université de Montréal [24].
Depuis janvier 2019, la nouvelle FASC est utilisée pour l’évaluation des compétences des résidents lors de leurs stages de MF. Une présentation Power Point© avec trame sonore a été diffusée dans les 18 CUMF afin de faciliter l’utilisation par les cliniciens enseignants de la nouvelle FASC. Les résidents ont également été informés des changements dans le processus d’évaluation. Nous avons prévu une rencontre de travail d’une demi-journée cinq mois plus tard avec les membres des comités locaux d’évaluation des CUMF et du comité central d’évaluation afin de discuter des avantages et des défis liés à l’introduction de cette nouvelle FASC, dans une optique d’amélioration continue de ce nouvel outil.
Discussion
Il convient de faire ressortir l’aspect unique de l’approche que nous avons adoptée pour ce travail de modification de la FASC. Deux éléments présents dans notre travail en constituent sa marque distinctive : 1) une approche décentralisée de co-construction cohérente avec la situation géographique de notre réseau d’enseignement et 2) une posture épistémologique de la compétence résultant d’un rapprochement entre deux courants de pensée.
La visée globale du projet portait davantage sur une approche décentralisée (compte tenu du nombre des centres d’enseignement affiliés à notre institution) dont la réussite reposait en bonne partie sur un engagement et une participation de responsables dispersés sur le territoire. Nous avons diminué l’accent mis sur un système centralisé de captation des résultats pour assurer un suivi de la progression des compétences de chaque résident, comme c’est le cas dans d’autres universités [19]. Nous avons plutôt misé sur la capacité des responsables locaux à soutenir le développement de compétences des futures collègues par la rétroaction ciblée, favorisant la confiance et l’autonomie. La nouvelle FASC a été implantée dans cet esprit avant tout. L’intégration des futurs utilisateurs que sont les responsables locaux à divers moment du processus de création de notre outil a permis non seulement d’en enrichir le contenu mais aussi de former ces utilisateurs tout en les amenant à s’approprier cet outil.
En les inscrivant dans le respect des principes de l’approche par compétences, nos travaux nous ont amenés à tenter de conjuguer deux postures épistémologiques qui opposent des éléments contradictoires et apparemment irréconciliables. Pensons, à titre d’exemple, au temps requis pour l’atteinte d’un seuil attendu de maîtrise de compétences. Alors que l’approche par compétences soutient que ce temps est variable d’un apprenant à l’autre, notre université nous dicte encore de définir notre programme de formation en le centrant sur une séries d’expositions spécifiques, limitées à des périodes de temps spécifiées, qui imposent des moments d’évaluations sommatives rigides et contraignants.
Par ailleurs, la notion de compétence implique une dimension de standardisation, c’est-à-dire que les individus compétents sont censés posséder une série de caractéristiques stabilisées et semblables dans leurs manières d’agir. Ceci pose de nombreuses difficultés puisque les compétences énoncées dans les référentiels se transposent difficilement dans les multiples milieux de pratique d’une profession donnée, créant ainsi une « réduction » de chaque compétence en des listes d’indicateurs spécifiques qui reposent sur une interprétation subjective de la réalité. Du souci de standardisation pour une profession comme la médecine, nous aboutissons à une relativisation en fonction de multiples spécificités disciplinaires gouvernées par de multiples contextes de pratique. Ces contradictions fondamentales, déjà dénoncées par des chercheurs dans le milieu [25], mettent le doigt sur des incongruences non résolues qui complexifient le travail de former et évaluer des futurs médecins de famille.
À la lumière de ces deux éléments de contradiction, nous avons opté pour mettre à profit le concept de confiance pour suivre le progrès réalisé dans la maîtrise des compétences. La confiance fait appel à une mobilisation d’un questionnement propre à l’observateur, ce qui permet d’offrir une rétroaction opportune, nuancée et utile pour le développement du résident sur le terrain. Sachant que la confiance que suscite l’observation des capacités d’un résident évolue avec le temps, cette notion nous a permis d’aménager l’indépendance préconisée par une acception « puriste » de l’approche par compétences entre le temps et le développement de la compétence.
Finalement, il nous a été difficile de traduire dans la fiche d’évaluation la notion de standardisation des activités professionnelles et d’impartialité pour des fins d’évaluation. Nous témoignons ainsi une acception tacite de la relativité des observations qui fondent les jugements des évaluateurs. Les critères que nous avons développés portent sur des actions observables, récurrentes et familières aux membres du CP (ayant une longue expérience de pratique) et ils servent comme guides pour l’observation. Ils ne peuvent être compris comme des critères validés ou normatifs, mais seulement comme indicateurs pour orienter l’observation et la rétroaction.
Conclusion
Au terme d’un processus rigoureux sur le thème sensible de l’évaluation, nous avons produit une nouvelle fiche d’évaluation qui comporte les avantages suivants : elle est issue d’un processus de co-construction rigoureux et collégial ; elle est simple, facile d’utilisation et ancrée dans l’approche par compétences ; elle s’accompagne d’un guide d’utilisation pratique et concret que peuvent s’approprier les cliniciens enseignants sur le terrain et qui détaille la progression attendue du résident et permet une meilleure standardisation des jugements ; elle est adaptable à d’autres programmes de MF.
Nous retenons quatre conditions qui ont été essentielles à sa réussite : 1) l’importance de l’appui facultaire et départemental pour soutenir le travail à réaliser ; 2) l’élaboration par la direction du programme d’un mandat clair qui précisait bien les attentes et les besoins ; 3) la création d’un groupe de travail dédié à la réalisation du projet : le Conseil pédagogique ; 4) l’utilisation d’un processus de co-construction qui maximise les chances de faire les bons choix, favorise l’acceptation d’un nouvel outil par les enseignants et augmente la propension à l’utiliser.
Nous espérons que le processus que nous décrivons dans cet article puisse inspirer d’autres programmes de formation qui souhaitent adapter leur processus d’évaluation.
Contributions
Marie-Pierre Codsi et Nicolas Fernandez ont élaboré la version initiale du manuscrit. Gilbert Sanche, Louise Authier et Diane Robert ont participé aux révisions intermédiaires successives. Louis-Xavier D’Aoust et Rejean Duplain ont contribué de manière significative à la conception de la FASC et ont participé à la révision finale. Tous les co-auteurs ainsi que tous les membres du conseil pédagogique ont participé solidairement à la rédaction et à l’approbation de la version finale.
Membres du conseil pédagogique
Gilbert Sanche, Louise Authier, Marie-Pierre Codsi, Louis-Xavier D’Aoust, Diane Robert, Nicolas Fernandez
Approbation éthique
Non sollicitée car sans objet.
Liens d’intérêts
Aucun auteur ne déclare de conflit d’intérêt financier en lien avec le contenu de cet article.
Matériel supplémentaire
ANNEXE I : Grille d'appréciation de l'apc
ANNEXE II : Grille d'appréciation de la compétence collaboration
Access hereRemerciements
Les auteurs tiennent à remercier Dre Isabelle Gosselin, Dre Leyla Korany, Dr Samuel Gatien pour leur précieuse contribution.
Références
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Citation de l’article : Codsi M.-P., Sanche G., Authier L., Robert D., D’Aoust L.-X., Duplain R., Fernandez N. Elaboration d’une fiche d’évaluation du stage clinique en médecine de famille : processus et résultat. Pédagogie Médicale 2020:21;91-99
Liste des tableaux
Trajectoire attendue de développement des niveaux de confiance dans la délégation de responsabilité (NiCDeR) pour chaque activité professionnelle confiable (APC).
Niveaux de confiance dans la délégation de responsabilité (NiCDeR) du programme de résidence en médecine de famille.
Liste des figures
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Fig. 1 Démarche utilisée par le Conseil pédagogique (CP) pour produire la nouvelle fiche d’appréciation du stage clinique (FASC) de médecine de famille. En jaune : travaux du CP ; En bleu : consultations auprès du corps enseignant. APC : activité professionnelle confiable. |
Dans le texte |
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