Accès gratuit
Numéro
Pédagogie Médicale
Volume 20, Numéro 3, 2019
Page(s) 121 - 129
Section Recherche et Perspectives
DOI https://doi.org/10.1051/pmed/2020011
Publié en ligne 10 avril 2020

© SIFEM, 2020

Introduction

L’exercice de la médecine mobilise des ressources scientifiques et techniques dans le cadre d’une relation humaine entre médecin et patient. La relation médecin-malade ne se réduit pas à sa dimension communicationnelle. Celle-ci peut également être examinée au regard d’un éclairage sociologique, anthropologique et philosophique dans une perspective plus intégrative et contemporaine du soin. Plusieurs modèles de relation médecin-malade ont été décrits.

Le modèle de relation médecin-malade consensuel de Parsons postule que « la santé est nécessaire au bon fonctionnement de la société » [1]. La maladie constitue une déviance potentielle par rapport à l’ordre social initial. La médecine effectue alors un contrôle social, le médecin agissant comme régulateur social. Il s’agit d’un modèle asymétrique et consensuel : le médecin est actif, le patient passif. Le malade reconnaît le pouvoir du médecin et la relation thérapeutique est fondée sur une forte réciprocité. Le médecin porte le souci du bien-être du patient. Le patient possède deux droits : celui d’être reconnu comme malade et celui d’être soigné.

Dans le modèle de relation dit conflictuel, décrit par Freidson [2], il existe de nombreux conflits possibles. Le médecin perçoit le malade et ses besoins selon les catégories de son savoir spécialisé. Il est attaché à son autonomie professionnelle, il entend définir lui-même le contenu et les formes du service qu’il rendra. Le malade, en revanche, perçoit sa maladie en fonction des exigences de sa vie quotidienne et en accord avec le contexte culturel qui est le sien. Il voudrait que le médecin accepte sa propre définition de son problème. Dans ce modèle, le patient n’est pas passif, et il n’y a pas de consensus a priori entre le médecin et le malade.

Enfin, le modèle du partenariat de Strauss [3] met en avant un modèle négocié de relation médecin-malade. La relation n’est ni consensuelle ni conflictuelle mais relève d’une négociation. Ce modèle a quatre caractéristiques : une position hiérarchique non figée, un destin non écrit, un ordre non définitif entre les différents acteurs, le temps comme donnée essentielle de la négociation. L’accord obtenu ainsi que l’ordre qui se met en place sur cette base ne sont jamais définitifs.

De nombreuses études ont montré l’importance de la communication dans cette relation, cette dernière pouvant produire à elle seule des effets thérapeutiques [46]. Quand cette relation est ressentie comme « bonne », l’adhésion au traitement et son efficacité sont meilleures [7,8] et la satisfaction du patient et du médecin est plus grande [8].

Bismuth et al. rappellent que les étudiants en médecine souhaitent développer leur compétence communicationnelle au cours de leur formation [9]. Son apprentissage par l’expérience seule est long et aléatoire [10,11], mais elle peut être développée par l’exposition à des situations cliniques réelles, comme c’est le cas en contexte de stage, ou des situations simulées [5].

Dans le champ de l’éducation en santé, l’approche par compétences milite pour des dispositifs pédagogiques contextualisés, centrés sur la construction et la mobilisation de ressources pour résoudre des problèmes complexes [12,13].

Depuis 2014, la Faculté de santé de l’Université d’Angers expérimente le théâtre-forum comme outil pédagogique dans l’enseignement de la relation et de la communication médecin-patient en deuxième cycle des études médicales. Cette pratique « théâtrale » a été proposée dans le champ de l’éducation, notamment en France, à partir des années 1970–1980.

Le théâtre-forum est une méthode de réflexion collective ayant pour but de (re)jouer des situations conflictuelles non résolues. Il est au service du développement relationnel : relation avec soi-même, duelle, d’autorité et au groupe. Il a été développé dans les années 1960 par Augusto Boal, écrivain, metteur en scène et homme politique brésilien, qui a proposé un théâtre populaire et inventé le concept de « spect-acteur » [14,15].

Dans l’exercice du théâtre-forum, des comédiens jouent d’abord une scène inspirée de la réalité, se terminant de manière catastrophique. Le public est ensuite invité à remplacer un ou plusieurs comédiens. L’étudiant devient acteur à son tour et « entre en scène » pour imaginer une alternative, essayer de dénoncer ou remettre en cause le rapport de force qui est dévoilé. Le « spect-acteur » s’adapte aux variations des scénarios proposés. Le dispositif se poursuit par un débriefing collectif qui n’est pas directement centré sur les connaissances (qui seraient au service d’une performance spécifique) mais qui invite le participant à prendre conscience de son vécu professionnel [16].

Le théâtre-forum s’appuie sur trois principes de base : l’abord d’une problématique collective dans laquelle se retrouve un ensemble de personne, l’évolution de la manière dont est appréhendée la situation difficile et l’effet du groupe sur le développement individuel [17].

L’objectif est double pour les participants : développer leur capacité d’introspection pour mettre en lumière, sans honte ni culpabilité, les pensées, émotions et sensations qui les traversent et valoriser leur capacité de décentration (prise en compte du ressenti et du point de vue des autres). Le théâtre-forum peut ainsi constituer une alternative pédagogique innovante pour la formation des étudiants en santé.

L’objectif de ce travail est de présenter le dispositif de théâtre-forum mis en place à la Faculté de santé de l’Université d’Angers et d’en documenter l’intérêt pour la formation des étudiants en médecine à la communication et la relation médecin-patient, à partir d’une évaluation préliminaire.

Méthodes

Le dispositif de théâtre-forum mis en place à la Faculté de santé de l’Université d’Angers depuis 2014

Tous les étudiants en médecine inscrits en première année du diplôme de formation approfondie en sciences médicales (DFASM1) − qui correspond à la quatrième année des études médicales en France – ont été répartis en groupes de 18 à 20 étudiants et ont assisté à deux séances obligatoires d’enseignement de quatre heures : une séance sur une thématique « oncologie » divisée en trois séquences (attente des résultats d’une biopsie colique, annonce de cancer colique, annonce de soins palliatifs et fin de vie) et une séance sur une thématique « psychiatrie » divisée en trois séquences (refus d’hospitalisation après une chute à domicile, idées suicidaires, déni d’un diabète à l’adolescence). Tous les étudiants ont joué lors d’une séance (étudiant-acteur) et ont observé leurs collègues lors de l’autre séance (étudiant-observateur). Ils avaient reçu au préalable une information sur les objectifs de cet enseignement en théâtre-forum, centrés sur l’annonce d’une mauvaise nouvelle.

Les scénarios ont été conçus par des enseignants de la Faculté de santé et les comédiens semi-professionnels de la troupe de théâtre du centre hospitalier universitaire d’Angers. Les thématiques avaient été choisies sur des critères de prévalence et de gravité.

Pour chaque séquence, la scène était d’abord jouée uniquement par les comédiens, avec un médecin-acteur à l’attitude caricaturale (hautain, paternaliste, discours inapproprié) et un patient-acteur. Les étudiants étaient ensuite invités à intervenir pour proposer une attitude alternative. Ils jouaient leur propre rôle d’étudiant en stage avec le médecin, mais celui-ci prétextait une urgence pour s’absenter, laissant ainsi l’étudiant seul avec le patient. Le médecin-acteur revenait après cinq à sept minutes pour conclure la saynète. Trois étudiants intervenaient successivement sur une même séquence de scénario, contraints de s’adapter à l’évolution des scènes et des réactions des patients-acteurs.

Pour la séance « oncologie », un scénario évolutif a été mis en place :

  • séquence 1 : un patient inquiet consulte son médecin traitant. Il est dans l’attente des résultats de sa coloscopie, au cours de laquelle l’opérateur aurait évoqué une « lésion suspecte » ;

  • séquence 2 : le patient consulte un oncologue au CHU. Celui-ci lui annonce les résultats des biopsies, confirmant le diagnostic de cancer colique. Il lui propose un plan de soins (chirurgie, chimiothérapie). Plusieurs réactions du patient sont prévues : déni, pleurs, colère... ;

  • séquence 3 : le patient est hospitalisé dans un service de soins palliatifs, au stade terminal de la maladie. Le médecin a annoncé la fin des soins curatifs. Le patient exprime de l’incrédulité, de la colère, puis formule une demande d’euthanasie.

Pour la séance « psychiatrie », trois séquences indépendantes ont été mises en place :

  • séquence 1 : une femme âgée refuse une hospitalisation après une chute à domicile. Son aide-ménagère, arrivée sur les lieux, a appelé le médecin traitant. La patiente a probablement une fracture du col du fémur. Il faut lui expliquer le diagnostic et la nécessité d’une hospitalisation. La réticence de la patiente varie au cours des saynètes jusqu’au refus d’hospitalisation. L’aide-ménagère peut interférer dans la prise en charge ;

  • séquence 2 : une patiente souffrant de dépression consulte son médecin traitant. Son état de santé s’aggrave au fil des trois saynètes, jusqu’à exprimer des idées suicidaires ;

  • séquence 3 : un pédiatre annonce le diagnostic de diabète type 1 à un adolescent et à sa mère. Ceux-ci peuvent poser beaucoup de questions, manifester des inquiétudes ou au contraire une certaine indifférence.

Le débriefing était assuré par deux enseignants. Ils recueillaient les réactions des étudiants-acteurs et observateurs, et les invitaient à analyser la communication médecin-patient de la saynète à laquelle ils avaient participé ou qu’ils avaient observée.

À l’issue de chaque séance, des questionnaires étaient distribués aux étudiants afin de recueillir leurs réactions et avis sur l’enseignement.

Caractéristiques de l’étude

Cette étude rétrospective analysait les réponses à des questionnaires auto-administrés, remplis au cours des années 2014–2015 et 2015–2016. Un questionnaire « Acteur » et un questionnaire « Observateur », ont été remplis de façon anonyme par chaque étudiant. La première question demandait aux étudiants d’expliquer leurs réactions et ressentis face aux situations jouées, selon leur statut d’acteur ou d’observateur. À la question 2, les étudiants pouvaient choisir, parmi une liste d’objectifs pédagogiques, ceux auxquels ils estimaient avoir été sensibilisés. Les questions ouvertes 3 à 5 exploraient les impressions des étudiants sur l’enseignement, notamment ses avantages et ses inconvénients. La question 6, fermée, évaluait la satisfaction des étudiants par une note sur 10. Les questions ouvertes 7 à 9 exploraient les perspectives possibles de cet enseignement. Enfin, la motivation des étudiants par cet enseignement était évaluée, selon les critères développés par Viau [18]. L’analyse des réponses était donc mixte : quantitative pour les questions fermées et qualitative pour les questions ouvertes. Le critère de jugement principal quantitatif était le degré de satisfaction des étudiants, évalué par la note moyenne attribuée à l’enseignement, correspondant au premier niveau « réaction » de l’échelle de Kirkpatrick [19].

Résultats

Caractéristiques de la population

Il y avait 193 étudiants en DFASM1 en 2014–2015, et 195 en 2015–2016. Chacun a reçu deux questionnaires. Au total, 776 questionnaires ont été expédiés, dont 688 (88,7 %) ont été récupérés, soit respectivement 349 questionnaires « Acteur » et 339 questionnaires « Observateur ».

Parmi les étudiants ayant répondu au questionnaire, il y avait 56,3 % de femmes. L’âge moyen était de 22,1 ans (écart-type : 1,54 ans ; minimum : 20 ans, maximum : 38 ans). Le diagramme de flux est présenté sur la figure 1.

thumbnail Fig. 1

Diagramme de flux des participants à l’étude.

Évaluation du dispositif pédagogique

Satisfaction des étudiants

Les étudiants étaient globalement satisfaits de cet enseignement ; la note moyenne était de 7,79/10 (écart-type : 1,34 ; minimum : 1, maximum : 10).

On notait une satisfaction plus importante des étudiants-acteurs par rapport aux étudiants observateurs, les notes accordées étant respectivement de 7,92 et 7,65/10 (p = 0,009) (Tab. I)

Tableau I

Note (sur 10) attribuée par les étudiants au dispositif de type théâtre-forum, selon leur rôle et selon la thématique de l’enseignement.

Objectifs pédagogiques ciblés

L’évaluation par les étudiants de l’atteinte des objectifs pédagogiques au cours des séances de théâtre-forum est exposée dans le tableau II.

Tableau II

Objectifs pédagogiques visés par les dispositifs de théâtre-forum rapportés dans l’étude.

Intérêt du théâtre-forum perçu par les étudiants

Les avantages de la méthode pédagogique du théâtre-forum évoqués spontanément par les étudiants sont résumés dans le tableau III.

Le caractère réaliste de l’enseignement était le premier avantage cité par les étudiants. Il leur a permis de s’impliquer dans la situation : « réalisme des situations, très bon jeu des comédiens, cela permet d’être dans de réelles conditions d’exercice ».

Son caractère formateur était également mis en avant : « mise en situation, formation à la pratique », « seule “préparation” à la vraie vie », « très bien, cela évite que nous nous retrouvions dans ces situations pour la première fois avec de vrais patients ».

Les étudiants ont approuvé le choix des scénarios : « situations bien choisies », « fréquentes », situations qu’ils pouvaient réellement rencontrer en stage, provoquant des réactions variées, et suscitant des émotions.

Un débriefing a été proposé à chaque fin de séquence. D’une part, il s’attachait à relever des éléments du comportement des étudiants-acteurs (leur posture, la distance par rapport au patient, et des éléments de langage par exemple) et, d’autre part, il cherchait à vérifier que les participants n’avaient pas vécu cette expérience « comme trop stressante ». Les étudiants-acteurs ont apprécié la rétroaction sur leur participation, à la fois de la part des encadrants, des comédiens et de leurs camarades. Ils ont apprécié que leur prestation soit valorisée (« encourageant : nous permet de voir qu’on est capable »). Les étudiants ont apprécié de participer au débat en donnant leur avis et leur ressenti, et de réfléchir collectivement à propos de situations délicates : « dialogue avec plusieurs professionnels », « très intéressant, permet de répondre aux questions que l’on se pose et de décrypter les différentes réactions des patients et des étudiants ».

Les étudiants ont nettement souligné la pertinence réflexive sur leur pratique permise par ce dispositif d’enseignement. Ainsi, les étudiants-acteurs ont tenté de donner des informations claires et adaptées au patient, mais ont pu identifier leurs difficultés à y parvenir efficacement : « J’ai expliqué le diagnostic et les thérapeutiques (…). J’ai été gênée par le manque de temps, mais j’ai eu une certaine satisfaction en voyant que quelques informations étaient passées. »

D’autres indiquaient l’importance d’« être empathique, chercher à comprendre la demande, les interrogations, les peurs ; apporter une réponse à chacun de ces éléments, ou au moins essayer ».

La majorité des étudiants-acteurs a ressenti une différence entre ce qu’ils pensaient pouvoir jouer et ce qu’ils avaient effectivement fait : « j’étais venu avec un plan “établi” pour donner les informations. Or la mise en scène et la situation n’étaient pas si simples, je n’ai pas pu suivre mon plan et j’ai dû m’adapter ».

De nombreux étudiants ont éprouvé des émotions lors des scènes : « difficile de canaliser les émotions ressenties pour proposer une réponse aux attentes de la patiente », « j’ai senti mon affect touché, c’est-à-dire j’étais dans une situation d’empathie tout en essayant de trouver une solution à la situation à partir des connaissances que j’avais ».

Les étudiants-observateurs devaient noter les aspects à corriger dans la communication du médecin-comédien de la scène initiale, et les aspects positifs dans la communication des étudiants-acteurs : « on a bien vu l’empathie des étudiants, l’écoute et la nécessité de faire participer le patient à la compréhension de sa pathologie ».

Ils pouvaient ensuite expliquer comment ils auraient réagi : « expliquer par étapes en m’assurant de la compréhension du patient, lui demander s’il est d’accord, ce qu’il souhaite lui, ce que cela signifie pour lui, répondre à ses questions ».

D’autres étudiants ont avoué ne pas savoir ce qu’ils auraient fait, ou bien qu’ils auraient rencontré les mêmes difficultés que l’étudiant-acteur : « je ne sais pas quelles auraient été mes réactions, sûrement similaires à celles des autres étudiants, peut-être que je n’aurais pas su quoi dire ou faire, ou peut-être pas. Mes mots n’auraient sûrement pas été les mêmes mais mes émotions si ».

Dans l’ensemble, les étudiants ont bien saisi cet intérêt de réflexion sur leur pratique : « permet de s’interroger sur sa façon de faire » « pour progresser » « cela nous renvoie parfois directement à nos réactions et questions ».

Les étudiants semblent avoir perçu cet enseignement comme efficace et motivant. Ils ont apprécié son caractère innovant et original : « méthode alliant pratique et théorie, les messages rentrent mieux quand on les applique nous-mêmes et le côté ludique donne envie de s’investir plus ».

Ces résultats sont cohérents avec les données recueillies dans la partie du questionnaire qui évaluait la capacité de l’enseignement à susciter la motivation des étudiants, selon les critères de Rolland Viau (Fig. 2).

Le théâtre-forum a également permis aux étudiants d’identifier des besoins de formation.

De nombreux étudiants-acteurs ont rencontré des difficultés dans leur relation avec le patient-comédien : « j’ai eu du mal à lancer la conversation et faire face à la réaction du patient, parfois imprévue, pour rebondir dessus, ça a été compliqué dans les paroles et dans les gestes ».

Les étudiants ont trouvé difficile de déterminer les informations pertinentes et la manière de les délivrer au patient : « une fois dans la situation, il était compliqué de faire le tri parmi mes connaissances pour déterminer ce que je pouvais dire, ce dont j’étais sûr, ce que je devais dire avec prudence car j’avais un doute, ou encore ce que je ne pouvais pas dire car pas adapté à la situation ».

Ils ont eu des difficultés à énoncer certains diagnostics « difficiles », notamment de dépression et de cancer et à dire « je ne sais pas ».

Les étudiants ont par ailleurs eu du mal à se confronter à leurs propres émotions et à celles du patient : « difficultés face à la souffrance de l’autre, qu’il faut laisser s’exprimer tout en veillant à ne pas prendre la situation trop à cœur pour rester professionnel ».

Plusieurs étudiants ont eu l’impression d’être désarmés : « désemparée face à ce patient, malgré mes connaissances en médecine : manque de savoir-faire face aux situations difficiles ».

Des étudiants-acteurs ont noté qu’il avait été plus difficile de réagir que ce qu’ils s’étaient imaginé en tant qu’observateur : « quand on observe, c’est facile de se dire qu’on aurait agi différemment. Quand on joue, c’est plus spontané, moins assuré, moins consensuel ».

Cette prise de conscience d’une difficulté a permis aux étudiant de repérer un besoin de se former à la relation-communication médecin-patient : « la relation au patient s’apprend », « cette méthode devait vraiment manquer avant, elle répond vraiment à des attentes, des questions que j’avais jusque là et pour lesquelles notre formation n’apportait pas de réponse ».

Les étudiants ont cependant été rassurés de constater qu’ils étaient nombreux à rencontrer les mêmes difficultés, et qu’ils avaient des ressources pour dépasser ces difficultés.

Tableau III

Avantages de la méthode pédagogique du théâtre-forum évoqués spontanément par les étudiants par ordre décroissant d’occurrence.

thumbnail Fig. 2

Évaluation de la capacité du dispositif de théâtre-forum à susciter leur motivation, estimée par les étudiants selon les critères de Viau [18]

Inconvénients perçus par les étudiants

Les inconvenants de la méthode pédagogique du théâtre-forum évoqués spontanément par les étudiants sont résumés dans le tableau IV.

La présence d’un public pouvait être source de stress, déstabiliser certains participants et modifier leur réaction : « compliqué d’être soi-même devant des personnes qui vous regardent et vous jugent. ».

Le comportement du groupe influait sur le déroulement de la séance, qui pouvait être plus ou moins vivante : « nécessité d’un groupe dynamique ». Quelques étudiants ont regretté « l’attitude de certains étudiants en débrief, pas toujours appropriée ».

Plusieurs étudiants ont souligné les limites de la simulation : « perte de fidélité dans les émotions, environnement pas toujours réaliste », « risque de rester dans un rôle », « ne remplacera pas le fait d’être confronté à un vrai patient malgré tout ».

Certains étudiants ont estimé avoir manqué de temps pour jouer leur scène, plus courte qu’une consultation réelle. D’autres ont cité une perte de spontanéité au cours des trois scènes jouées pour un même scénario. Plusieurs étudiants ont exprimé leur volonté de jouer en premier afin de ne pas être influencés par les autres, ou au contraire de jouer en dernier afin de s’inspirer de ce qui avait déjà été proposé. Cela rejoint le caractère possiblement répétitif pointé par certains étudiants.

Enfin, plusieurs étudiants ont regretté le caractère chronophage de l’enseignement : « long : 4 h d’attention ».

Tableau IV

Inconvénients de la méthode pédagogique du théâtre-forum évoqués spontanément par les étudiants par ordre décroissant d’occurrence.

Discussion

Résultats principaux de l’étude

Cette étude cherchait à documenter l’intérêt du théâtre-forum dans la formation à la relation et à la communication médecin-patient pour la formation des étudiants en médecine, à partir d’une évaluation préliminaire, en recueillant notamment la satisfaction des étudiants, soit le niveau 1 de l’échelle de Kirkpatrick [19]. Elle a permis de recueillir l’avis de tous les étudiants de deux promotions consécutives, impliqués tour à tour comme acteurs et comme observateurs. La longueur des questionnaires a pu être une limite mais une force de cette étude réside dans son caractère exhaustif. Cette étude a mis en évidence un fort indice de satisfaction globale des étudiants, avec une note moyenne de 7,79/10. Les étudiants-acteurs ont attribué une note plus élevée à l’enseignement que les étudiants-observateurs, suggérant qu’il est plus formateur de faire que de voir faire. La littérature retrouve peu d’études évaluant l’intérêt du théâtre-forum dans la formation à la communication en santé. L’étude de Bonnaud-Antignac et al. évaluait la satisfaction d’un petit nombre d’étudiants, comme le faisait cette étude à plus grande échelle [20].

Cette étude ne permettait pas de mesurer la progression individuelle des étudiants dans la compétence communicationnelle. On constate cependant que de nombreux étudiants ont perçu la portée réflexive de cet enseignement. Plusieurs ont continué de réfléchir après la scène à leur manière de réagir. Certains ont indiqué qu’ils agiraient différemment s’ils rencontraient à nouveau une situation similaire. Ils ont souhaité refaire des séances plus tard pour vérifier qu’ils avaient amélioré leur pratique. L’évaluation de l’apprentissage réalisé lors du théâtre-forum, correspondant au niveau 2 de l’échelle de Kirkpatrick, serait une perspective d’ouverture intéressante.

Plusieurs étudiants ont éprouvé une difficulté à se confronter au regard des autres. Cependant, beaucoup ont apprécié le débriefing et voir faire les autres. D’autres études confirment l’importance de la rétroaction pédagogique au cours de la formation [21], alors même que le contexte actuel d’augmentation du nombre d’étudiants en stage ne semble pas permettre un feedback personnalisé satisfaisant.

Beaucoup d’étudiants ont apprécié le réalisme du dispositif. Ils ont cependant été nombreux à pointer son caractère simulé comme une limite. Cet enseignement risquerait d’entraîner une quête de performance chez certains étudiants, pour répondre à ce qu’ils pensent qu’on attend d’eux, sans empathie véritable. Il pourrait donner l’impression qu’il existe des procédures à appliquer pour bien communiquer avec les patients, alors qu’une sincérité dans la relation (authenticité) est indispensable [22]. En ce sens, les règles de la simulation et du théâtre-forum sont à repréciser au début des séances.

Ce dispositif exige un investissement temporel important pour les enseignants, étudiants et comédiens. Le coût financier du dispositif est aussi à considérer, puisque les comédiens sont rémunérés pour leurs interventions. Il a cependant l’avantage d’être réalisable pour toute une promotion d’étudiants, tout en leur apportant un retour individuel sur leur participation.

Théâtre-forum et jeux de rôle

La relation médecin-malade, par sa diversité de situations, par sa complexité et par son importance, appartient au domaine du « savoir-être ». Le jeu de rôle est une technique de mise en situation qui semble particulièrement adaptée à son enseignement. Le jeu de rôle est un outil reconnu dans les formations aux relations humaines définies comme des « exercices structurés en dynamique des groupes » [23]. Il représente une technique pédagogique d’apprentissage des habiletés relationnelles se basant sur la simulation d’une scène vraisemblable et en partie imprévisible entre deux ou plusieurs « acteurs » à partir d’un scénario pré-défini et représentant une situation réelle [24].

La séance de jeu de rôle se déroule en quatre étapes : énoncé des consignes de jeu/du cadre, temps de jeu, débriefing et temps de formalisation des acquis [16,25]. On distingue quatre types de jeux de rôle : de compétition, de vertige, de hasard et de simulation. Le jeu de rôle permet à l’étudiant de s’engager pour apprivoiser la réalité, de développer un savoir-être et des habiletés pour endosser ses futurs rôles sociaux et professionnels, dans des conditions virtuelles. Il ne s’agit pas d’un jouet ou d’un artifice d’apprentissage mais d’une mise en situation analogue à la réalité : le jeu comme apprentissage actif.

Le théâtre-forum permet, avec la participation de chacun, de parler et d’imaginer collectivement des solutions alternatives aux problèmes rencontrés. Il s’apparente à un jeu de rôle de simulation. Le théâtre-forum, par sa nature, ne permet pas de faire passer un « message prémâché ». Il questionne, fait prendre conscience, explore plusieurs solutions à un problème et les confronte, mais il n’impose en aucun cas une vérité ou une solution définitive. La première scène qui sert de « base », perd de sa force si elle est mal jouée. Les interprètes « originaux » doivent donc être suffisamment convaincants pour que le public y croit et soit attentif à ce qui se déroule. Ceci en fait un jeu de rôle particulier.

Conclusion

En conclusion, le théâtre-forum apparaît comme un dispositif pédagogique innovant très apprécié des étudiants en médecine. Il leur permet de repérer que la nature du problème posé peut évoluer au cours de la situation de soin, et ainsi mettre en lumière sa complexité. Ils prennent alors conscience de leur besoin de se former à la relation-communication, individuellement et en groupe. Ce dispositif encourage leur réflexivité vis-à-vis de leur pratique professionnelle.

Contributions

William Bellanger est l’auteur principal de l’article. Emmanuelle Saint Cricq, en tant qu’enquêtrice principale, a effectué le recueil des données et a participé à leur interprétation. Anne-Victoire Fayolle, Gaëlle Texier-Legendre et Jessica Guelff ont participé à la rédaction initiale du manuscrit. Charline Cade a participé à la rédaction initiale du manuscrit et de sa version révisée.

Approbation éthique

Non sollicitée.

Liens d’intérêts

Aucun auteur ne déclare de conflit d’intérêts en lien avec le contenu de cet article.

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Citation de l’article : Bellanger W., Saint Cricq E., Fayolle A.-V., Texier-Legendre G., Guelff J., Cade C. La pratique du théâtre-forum pour la formation à la relation en santé. Une expérience exploratoire. Pédagogie Médicale 2019:20;121-129

Liste des tableaux

Tableau I

Note (sur 10) attribuée par les étudiants au dispositif de type théâtre-forum, selon leur rôle et selon la thématique de l’enseignement.

Tableau II

Objectifs pédagogiques visés par les dispositifs de théâtre-forum rapportés dans l’étude.

Tableau III

Avantages de la méthode pédagogique du théâtre-forum évoqués spontanément par les étudiants par ordre décroissant d’occurrence.

Tableau IV

Inconvénients de la méthode pédagogique du théâtre-forum évoqués spontanément par les étudiants par ordre décroissant d’occurrence.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Diagramme de flux des participants à l’étude.

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Évaluation de la capacité du dispositif de théâtre-forum à susciter leur motivation, estimée par les étudiants selon les critères de Viau [18]

Dans le texte

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