Accès gratuit
Numéro
Pédagogie Médicale
Volume 19, Numéro 4, Novembre 2018
Page(s) 161 - 169
Section Recherche et perspectives
DOI https://doi.org/10.1051/pmed/2019024
Publié en ligne 17 octobre 2019

© SIFEM, 2019

Introduction

Les dispositifs pédagogiques d’enseignement et d’apprentissage recourant à la simulation sont fréquemment utilisés dans le milieu de l’éducation des professionnels de santé puisqu’ils permettent une immersion dans un contexte clinique reconstruit, proche de la réalité. Le patient n’étant pas un vrai malade, cela permet de gérer les erreurs sans risque de nuire à autrui. Dans de nombreuses facultés de médecine en Amérique du Nord, durant les deux années de pré-externat, les étudiants en médecine peuvent bénéficier de ces expériences de simulation pour avoir une interaction avec un patient et acquérir les habiletés relationnelles et de communication nécessaires à l’apprentissage des compétences cliniques.

Contexte

En lien avec ce contexte général, l’apprentissage de l’entrevue et de l’examen physique est ainsi souvent organisé en recourant à des patients simulés (PS). À la Faculté de médecine de l’Université d’Ottawa, le format choisi est celui d’un laboratoire expérientiel appelé « cliniques simulées », où la simulation se réalise dans le cadre d’une triade : un étudiant, un médecin et un PS qui joue le rôle du malade selon un scénario clinique. Chaque étudiant pratique durant une séance de 30 à 40 minutes, en étant observé par un médecin tuteur. Par la suite, le tuteur donne de la rétroaction formative en fonction des objectifs d’apprentissage ciblés par la situation clinique, tandis que le PS offre de la rétroaction sur son ressenti en lien avec les habiletés relationnelles et de communication de l’étudiant. Il s’agit d’une version simplifiée de la simulation telle que définie par Boet et al. [1].

Comme le rapportent Hudson et Ratnaplan [2], plusieurs chercheurs ont mis en lumière les effets bénéfiques d’une interaction avec un PS sur l’apprentissage des habiletés cliniques par les étudiants, particulièrement pour l’apprentissage de la communication. En effet, elle permet de faire face à un des défis des professionnels de la santé, à savoir être en contact avec un malade et non pas avec une maladie [3].

Cependant, cette méthode est très exigeante sur le plan des ressources humaines. En effet, l’apprentissage expérientiel n’a des retombées bénéfiques d’un point de vue pédagogique que s’il y a un débriefing après l’expérience [4]. Cela signifie que des médecins tuteurs doivent être présents à chaque séance. Le recrutement de ces derniers peut pourtant être problématique, notamment à cause de leur disponibilité. Le recours aux PS dans le rôle de tuteur se présente alors comme une alternative intéressante. Bien que peu de recherches rigoureuses sur le bénéfice réel de ce type de dispositifs aient été réalisées, l’implication des PS à des fins éducatives reste populaire et utile dans les études médicales [5]. La présente recherche sort alors des sentiers battus en s’intéressant au PS comme tuteur dans l’apprentissage des habiletés en entrevue médicale.

Problématique

Introduit par Barrows en 1993, le concept de patient simulé « fait référence à une personne qu’on a soigneusement encadrée pour qu’elle fasse semblant d’être un vrai patient, de manière à ce que cette simulation ne puisse pas être détectée par un clinicien compétent. Les patients simulés peuvent être des patients réels à qui on enseigne comment modifier leurs symptômes, des bénévoles du grand public, des membres du corps professoral, des étudiants, des acteurs formés. » [6] (p. 372). Depuis la mise en place des examens cliniques objectifs structurés (ECOS) en Amérique du Nord, le terme de patient simulé a été vite supplanté par celui de patient standardisé. Les deux étant souvent désignés par un acronyme identique (PS), on constate qu’ils sont parfois utilisés de manière interchangeable, la notion de comportement plus standardisé des PS étant cependant une préoccupation plus importante lorsqu’il s’agit d’un dispositif d’évaluation, notamment sommative. Étant donné que les cliniques simulées sont un milieu d’apprentissage et non d’évaluation sommative, nous choisissons d’utiliser le terme patient simulé tel que défini par Cleland [7].

Bien que le PS soit le plus souvent confiné au rôle du malade, certaines recherches se sont intéressées à la participation des PS en tant qu’enseignant ou évaluateur. Ainsi, Davidson et al. [8] ont comparé l’enseignement des examens physiques fait par des médecins à celui fait par des Physical Examination Teaching Associates (PETA). Les PETA sont des patients standardisés / simulés qui ont une expérience dans le domaine de l’enseignement et de la santé et un intérêt pour le développement de nouvelles compétences et connaissances relatives à l’examen physique. Ils ont reçu une heure de formation pour chaque heure de cours donnée. Les auteurs concluent à une acceptabilité de participation des PETA. Allen et al. [9] ont constaté que l’enseignement préclinique de l’examen physique fait par des PS formateurs modifiait peu le rendement des étudiants aux examens (les résultats étaient plus faibles de 2 % seulement).

McLaughlin et al. [10] ont quant à eux envisagé le PS dans le rôle d’évaluateur. Ils décrivent dans leur recherche des patients standardisés qui ont participé aux ECOS sommatifs comme examinateur pour des stations de recueil d’histoire médicale ou d’examen physique, toujours pour pallier les difficultés de recrutement des examinateurs. Bien que ce soit un ECOS sommatif, les examinateurs étaient appelés à fournir une courte rétroaction à la fin de la station. Ces chercheurs ont constaté que la majorité des étudiants étaient moins stressés dans les stations d’ECOS avec un PS examinateur, et que la rétroaction donnée par le PS examinateur était perçue comme juste et reflétant une bonne évaluation des habiletés cliniques. De plus, ils ont conclu que l’utilisation des PS à titre d’évaluateur semblait socialement acceptable par les étudiants en médecine. Par contre, ils s’interrogent sur l’habileté des PS examinateurs à reconnaître des normes professionnelles et à fournir une rétroaction adéquate ou appropriée aux étudiants. Ils n’ont pas décrit la formation qui leur a été donnée. Peu d’études à notre connaissance font état d’un consensus à propos des autres rôles que peuvent prendre les PS et peu de programmes ont utilisé des PS pour l’enseignement de l’anamnèse.

À la lumière des résultats de ces études, les PS apparaissent comme une population susceptible d’agir comme tuteur dans le cadre des cliniques simulées. Cependant, plusieurs questions demeurent : est-ce que le PS peut intervenir à titre de tuteur pour l’apprentissage de l’anamnèse ? Peut-il observer l’étudiant durant l’entrevue ? Peut-il remplir une grille d’observation et lui donner de la rétroaction formative ?

Objectif

Ces questions sont à la base du projet pilote dont nous rapportons l’expérience. Plus spécifiquement, notre objectif de recherche est d’examiner l’hypothèse que les PS ayant l’expérience du milieu médical universitaire peuvent agir à titre de patients simulés tuteurs (PST) pour : 1) consigner les données dans une grille d’observation clinique ; et 2) offrir de la rétroaction constructive et descriptive à l’étudiant de première année du pré-externat.

Méthodes

Approche générale

La méthode de l’étude de cas multiples nous a semblé répondre aux besoins de cette recherche puisque nous voulions rendre compte du caractère complexe d’un phénomène, à savoir décrire des interactions humaines en milieu d’apprentissage [11]. L’application de cette méthode supposait l’analyse de plusieurs sources d’information et, par conséquent, l’interaction organisée de plusieurs méthodes. La crédibilité de cette recherche est assurée grâce à l’utilisation de la technique de triangulation des sources et des méthodes [12]. La triangulation des données a été faite en comparant les données collectées auprès des PST, des étudiants et de la chercheure principale à partir d’une grille d’évaluation. Tout élément significatif, incident et certains aspects qualitatifs de la rétroaction comme le ton de la voix et le regard pouvaient être notés sous la rubrique « autres observations ou commentaires ».

La chercheure principale a été impliquée dans le processus de formation des futurs PST avec l’appui d’une conseillère pédagogique et dans celui d’évaluation des PST sur le terrain. Comme il était impossible de faire une mise en situation des PST en cliniques simulées à l’insu des étudiants, leur accord a été obtenu par courriel afin qu’ils autorisent le PST à agir à titre de tuteur lors d’une séance. De plus, le comité d’éthique de l’Université a imposé à la chercheure principale d’être présente lors des séances afin de s’assurer que les étudiants ne seraient pas pénalisés par une interaction inappropriée avec un PST. Il convient de noter qu’en aucun cas la chercheure principale n’est intervenue durant les séances.

Formation des patients simulés tuteurs

Une formation a été offerte aux PS et ciblait l’apprentissage des habiletés de base des patients simulés tuteurs (PST). Son contenu a été préalablement validé par deux experts en simulation, l’un médecin, directeur d’un laboratoire de simulation dans notre université et l’autre, conseillère en pédagogie médicale dans une autre université. Basée sur les tâches exigées des médecins tuteurs, la formation s’est déroulée sur trois séances hebdomadaires de trois heures. Le contenu s’inspirait du « Behavioral Observation Training » (BOT), une approche éducative utilisée dans la formation des médecins éducateurs qui comprend des mises en situation et de l’enseignement sur la rétroaction formative orale [13]. Selon la théorie du BOT, trois stratégies sont à privilégier pour entraîner à l’observation de comportements en situation clinique : 1) une exposition à des séances répétées de jeux de rôles et d’exemples vidéo ; 2) la fourniture de notions sur le respect de l’éthique et la mise en garde contre la subjectivité qui est inhérente à l’action d’observer ; enfin, 3) l’utilisation d’outils simples comme des grilles ou listes de vérification pour consigner les observations. Des exercices pratiques ont permis aux PST de remplir les grilles d’observation utilisées en première année de cliniques simulées, grilles composées des éléments de l’histoire médicale (identification et antécédents du patient, raison de consultation et histoire de la maladie). Durant les jeux de rôle, ils devaient donner de la rétroaction d’une manière constructive et descriptive. Une attention particulière a dû être portée à l’enseignement de notions de terminologie médicale, plus particulièrement les termes médicaux utilisés dans les grilles d’observation des scénarios de cliniques simulées. Des exercices de transcription sémantique ont été réalisés afin de permettre aux PST d’associer les termes vulgarisés aux termes médicaux lors d’une entrevue entre un patient et son médecin. Par exemple, lorsqu’un étudiant demande : « Est-ce que vous êtes essoufflé quand vous faites un effort ? », l’élément à cocher dans la grille est : « dyspnée d’effort ».

Population de l’étude

Pour recruter les participants, l’équipe a eu recours au collectif de PS qui participent habituellement aux cliniques simulées. Ce collectif comprend 150 PS dont 107 francophones. Certains participent depuis plusieurs années aux cliniques simulées. Un courriel d’invitation, accompagné d’une lettre de renseignements décrivant le projet pilote a été envoyé aux participants qui répondaient aux critères d’inclusion suivants : 1) être un patient simulé ayant au moins trois années d’expérience au sein des cliniques simulées ; 2) n’avoir fait l’objet d’aucune plainte de la part des étudiants ou des tuteurs par le passé ; 3) être ou avoir été un professionnel de la santé ou un enseignant. Un montant de 300 $ a été offert aux participants pour la formation. Parmi les intéressés, cinq PS étaient disponibles aux dates de formation proposées.

Les 20 étudiants de première année qui ont participé à l’étude répondaient à un échantillon de disponibilité, dès lors qu’il s’agissait des étudiants inscrits à l’horaire des cliniques simulées ciblées dans ce projet. Un consentement de participation a été obtenu.

Collecte des données

Elle a eu lieu durant cinq semaines de cliniques simulées qui se sont déroulées au cours de la session d’hiver 2018. Chaque semaine, un PST prenait la place du médecin tuteur et évaluait quatre étudiants dans l’après-midi. Les scénarios étaient différents d’une semaine à l’autre. Les séances ont été assignées aux PST selon leur disponibilité.

Instruments de collecte de données et analyse

La méthode de collecte de données utilisée était une enquête par questionnaire administré aux étudiants, à la chercheure principale et à chaque PST, sous forme de grille d’évaluation des PST (les PST s’autoévaluaient et n’évaluaient pas les autres PST). Cette grille est une adaptation du formulaire d’évaluation des médecins tuteurs de cliniques simulées par les étudiants, utilisé à la faculté de médecine dans le cadre du cours de développement des aptitudes cliniques. La grille d’évaluation utilisée par la chercheure principale avait trois éléments supplémentaires. Les données quantitatives ont été recueillies à l’aide d’une échelle de Likert en cinq points (Tab. I).

Pour chaque groupe de répondants (PST, étudiants et chercheure), la compilation s’est faite par fréquence des cotes attribuées à chaque élément. Au total, 60 grilles d’évaluation ont été compilées, permettant ainsi la triangulation : 20 grilles d’évaluation des PST ont été remplies par les étudiants, 20 par la chercheure principale et 20 grilles d’autoévaluation par les PST eux-mêmes.

Les données qualitatives ont été collectées dans les espaces de commentaires des questionnaires d’évaluation. Tout élément significatif, incident et certains aspects qualitatifs de la rétroaction comme le ton de la voix et le regard pouvaient être notés sous la rubrique « autres observations ou commentaires ». Ces données qualitatives ont été soumises à une analyse thématique de contenu afin de faire ressortir les occurrences de catégories.

Tableau I

Éléments du questionnaire d’évaluation des patients simulés tuteurs selon une échelle de Likert à cinq points (de « Totalement en désaccord » à « Totalement en accord »).

Résultats

Données sociodémographiques

Les cinq PST qui ont reçu la formation étaient tous de sexe féminin et leur moyenne d’âge était de 56,8 ans variant de 45 à 72 ans. Toutes sauf une participante avaient 10 ans et plus d’expérience à titre de PS (Tab. II).

Tableau II

Données sociodémographiques des patients simulés tuteurs.

Données quantitatives triangulées

La triangulation des données permet de constater que, dans l’ensemble, les trois populations d’évaluateurs sont en accord dans leurs évaluations (Tab. III). Les PST évaluent positivement leurs habiletés à agir comme tuteur en identifiant toutefois des nuances quant à l’utilisation des termes médicaux et la référence aux catégories de l’histoire de cas (Fig. 1). Cette tendance est confortée par l’évaluation des PST par les étudiants puisqu’ils identifient les mêmes forces et faiblesses (Fig. 2). Quant aux évaluations de la chercheure, l’identification d’un PST moins performant pour la qualité de la rétroaction modifie légèrement la fréquence des cotes Likert. L’utilisation de la grille d’observation clinique et la conformité entre ce qui est noté et partagé avec l’étudiant sont jugées positivement (Fig. 3).

Tableau III

Triangulation des fréquences des cotes des évaluations des patients simulés tuteurs selon une échelle de Likert à cinq points (de « Totalement en désaccord » à « Totalement en accord »).

thumbnail Figure 1

Fréquence des cotes de l’autoévaluation des PST selon une échelle de Likert à cinq points (de « Totalement en désaccord » à « Totalement en accord »). Hx : histoire de la maladie ; PST : patient simulé tuteur.

thumbnail Figure 2

Fréquence des cotes d’évaluation des PST par les étudiants selon une échelle de Likert à cinq points (de « Totalement en désaccord » à « Totalement en accord »). Hx : histoire de la maladie ; PST : patient simulé tuteur.

thumbnail Figure 3

Fréquence des cotes d’évaluation des PST par la chercheure selon une échelle de Likert à cinq points (de « Totalement en désaccord » à « Totalement en accord »). Hx : histoire de la maladie ; PST : patient simulé tuteur.

Données sur les habiletés de base

Pour les trois habiletés de base, soit : 1) la précision et l’objectivité de la rétroaction ; 2) la façon constructive de donner la rétroaction ; 3) la demande faite aux étudiants de s’autoévaluer, les étudiants, la chercheure et les PST se sont attribué des cotes de 4 et 5. En effet, les PST n’éprouvent aucune difficulté à demander à l’étudiant de s’autoévaluer. La rétroaction offerte est faite de façon constructive et précise. Un seul étudiant a dit avoir reçu plus de commentaires négatifs que de commentaires positifs de la part du PST, ce que la PST reconnaît dans ses commentaires.

« Le PST m’a très bien évalué et a aussi donné des commentaires constructifs très utiles. (ETU3/PST4)

Excellente rétroaction constructive. J’ai vraiment apprécié recevoir de la rétroaction de quelqu’un hors du domaine médical. (ETU4/PST1)

J’ai bien aimé l’attitude et le comportement calme du PST. Elle était très détendue et à l’aise et m’a donné de la rétroaction positive et des points à améliorer de façon respectueuse. (ETU1/PST5) ».

Données sur l’habileté à utiliser les termes médicaux et la capacité de faire référence aux catégories de l’histoire

Les PST ont souligné dans leurs commentaires avoir eu de la difficulté à utiliser les termes médicaux. En effet, les PST auraient souhaité avoir plus de formation sur le lexique médical et plus de mises en situation lors de la formation afin de les aider à bien intégrer ce nouveau rôle et augmenter leur confiance en eux.

« Pouvoir assister à une rétroaction silencieuse serait utile pour voir comment on fait et pourrait augmenter ma confiance. (PST2)

Il nous manque de la terminologie. (PST1) »

Cette tendance est appuyée par l’évaluation des PST par les étudiants puisqu’ils identifient les mêmes forces et faiblesses.

« … je trouve que la PST cherchait ses mots quand elle essayait de justifier ses commentaires et c’était un peu mélangeant… (ÉTU 4/PST4) ».

Les commentaires des étudiants sont majoritairement positifs quant à la rétroaction reçue. Cependant, des cotes plus basses ont été accordées par les étudiants aux PST sur la capacité de ces derniers à faire référence aux catégories de l’histoire. Quelques-uns précisent aussi qu’ils préfèrent un médecin tuteur qui peut partager son expérience professionnelle et parler de l’aspect clinique.

« Par contre je préfère la présence des médecins pour aborder le côté clinique de l’entretien. (ETU3/PST3)

Le PST m’a donné beaucoup de rétroaction par rapport aux détails spécifiques de l’anamnèse. Cependant, la médecin chercheure m’a donné une meilleure rétroaction par rapport à l’entretien en général (big picture). (ETU3/PST5)

C’est une séance comme normale. Peut-être si on fournit le diagnostic différentiel à la PST, ça serait mieux. (ETU4/PST4)

La PST était très axée sur les aspects sociaux, pas assez sur les aspects médicaux. Mais en tout, bonne expérience. (ETU2/PST5)

La PST a bien fait avec l’évaluation. M’a demandé des questions à propos de l’histoire émotionnelle, sociale plus que l’histoire médicale. (ETU2/PST4) ».

Discussion

Habiletés à observer et à donner de la rétroaction

Les PST ont démontré de bonnes habiletés techniques pour remplir la grille et offrir une rétroaction précise et objective qui inclut toutes les étapes du processus, dont l’autoévaluation. Cependant, la formulation de la rétroaction et ce sur quoi elle doit porter semblent difficiles. Lorsqu’il s’agissait d’utiliser les termes médicaux et de faire référence à l’histoire médicale, tous les participants s’accordent pour dire que les PST avaient plus de difficultés et se référaient à ce qu’ils connaissaient le mieux, c’est-à-dire les aspects psychosociaux et la communication. Dans le cas d’une personne non médecin qui donne de la rétroaction sur un sujet médical, la fluidité peut être entravée par le manque de connaissances. Wilkinson et Fontaine [14] ont étudié la validité de l’opinion des PS dans leur rôle de patient standardisé évaluateur lors de l’entrevue médicale. Ils concluaient qu’au-delà des habiletés de communication, les connaissances médicales sont fondamentales pour pouvoir donner de la rétroaction formative. Cependant, les opinions des PS étaient globalement fiables et valides à condition de contrôler le contexte et de cerner le bon objectif pour la rétroaction. Pour faciliter une rétroaction pertinente, il serait bien de préciser dans le scénario envoyé aux PST des points d’apprentissage essentiels pour la rétroaction pour chaque histoire de cas, en identifiant les défis possibles que pourrait rencontrer l’étudiant ainsi que des suggestions d’amélioration pour celui-ci. Ceci permettrait d’orienter davantage la rétroaction vers les aspects médicaux et de minimiser la tendance des PST à vite repérer les aspects psychosociaux, soit du fait de leur expertise en tant que PS à donner de la rétroaction sur leur ressenti, soit du fait de leur profession.

Médecin tuteur versus tuteur non-médecin

L’entrevue médicale fait appel à des habiletés de technique d’entrevue basées sur la communication et les connaissances médicales. Cependant, elle ne se limite pas à ces aspects, car dès le début de son apprentissage, l’étudiant doit apprendre à organiser ses connaissances et à développer son raisonnement clinique. Le processus de démarche clinique s’initie dès les premières questions avec le patient et même si l’objectif d’apprentissage est de recueillir une histoire médicale, l’étudiant bénéficiera davantage de sa clinique simulée si le tuteur peut déjà aborder le cas sous l’aspect d’une résolution de problème. Il est évident que des PST ne peuvent pas discuter de cet aspect dans leur rétroaction. Cela vient appuyer ce que Whelan et al. [15] suggèrent, à savoir que seuls les aspects de la communication sont mieux évalués dans le cadre des ECOS par le PS, tandis que les compétences en résolution de problèmes sont mieux évaluées par les experts en contenu, c’est-à-dire les médecins. Il apparaît que les PST ne peuvent pas aider l’étudiant à développer une représentation du problème clinique, étape d’apprentissage qui doit se faire dès le début des études médicales. Les PST pourraient cependant intervenir légitimement comme tuteur dans des séances de simulation axées sur la communication et la relation. Comme le suggèrent Allen et al. [9], les PST pourraient être responsables des apprentissages de niveau taxonomique bas et on pourrait ainsi réserver les médecins-tuteurs pour enseigner des tâches de niveau élevé.

Une formation à améliorer

Dans une telle perspective, nous constatons que la formation des PST devrait être révisée, et les commentaires laissés par les PST après la formation vont dans ce sens. Il est essentiel pour les PST de recevoir une formation plus longue et approfondie. Une intégration plus grande des connaissances procédurales pourrait être facilitée par l’emploi de plus d’exercices comme des jeux de rôles. Les scénarios des jeux de rôles devraient aussi s’approcher le plus possible des cas des cliniques simulées. Les commentaires des PST convergent d’ailleurs en ce sens. En effet comme le mentionnent Barbeau et al. [16], « une connaissance pratique doit être intériorisée pour assurer une certaine maîtrise et une aisance d’utilisation. Cela demande du temps. Acquérir un savoir-faire exige la connaissance de la procédure générale à suivre, l’adaptation de la démarche générale à un contexte donné et, surtout, des exercices répétés pour pouvoir la retenir et l’utiliser par automatisme. » (p. 409). Ainsi, filmer les PST en situation et leur remettre la vidéo afin qu’ils s’autoévaluent et puissent poursuivre leur apprentissage en dehors des heures de formation serait une activité d’apprentissage enrichissante.

Produire une vidéo d’une situation clinique « idéale » afin de la présenter aux participants dans le but de les amener à ressortir les éléments d’une rétroaction efficace serait un bon outil pédagogique. Cette activité de groupe s’inscrit dans la perspective de la théorie sociale cognitive de Bandura [17]. L’un des postulats à la base de l’apprentissage social est que les individus apprennent en observant des modèles compétents, efficaces et attirants dans l’environnement social. Les PST pourraient être jumelés avec un médecin tuteur, afin qu’ils puissent observer ce dernier lorsqu’il donne de la rétroaction formative ; ils pourraient s’exercer à pratiquer à partir de scénarios similaires à ceux des cliniques simulées. Cela aiderait à renforcer le sentiment d’efficacité personnelle nécessaire à l’engagement à long terme des PST.

Enfin, l’acquisition du langage médical reste un défi de taille, même pour les PST qui venaient du milieu de la santé. Des exercices de démystification de la terminologie médicale devraient être ajoutés à la formation. Ces constatations laissent supposer qu’une telle formation serait exigeante en termes de coûts et de temps.

Limites de ce projet pilote

Ce projet pilote comporte plusieurs limites. Tout d’abord, la présente étude a porté sur un nombre limité de participants. Les indicateurs choisis dans l’étude devaient s’apparenter le plus possible à ceux habituellement utilisés dans les cliniques simulées. Ainsi, les indicateurs pour évaluer la performance des PST sont des indicateurs d’opinion, en d’autres mots, des indicateurs s’appuyant sur la perception des étudiants (d’accord et pas d’accord).

Deuxièmement, les PST qui ont participé aux cliniques simulées avaient des scénarios différents, ce qui pourrait induire un biais de performance par rapport à la spécificité des scénarios. Cependant, le but n’était pas de comparer les PST entre eux et toutes les séances concernaient le recueil d’une histoire médicale. La structure de la grille d’observation était la même pour tous (identification, antécédents, raison de consultation, histoire de la maladie actuelle). Puisque le thème de la maladie (problème de douleur thoracique, de toux et de plainte génito-urinaire) changeait, les éléments médicaux de la grille étaient différents. Vu que la terminologie médicale a été identifiée comme un défi par les PST, il se peut que la spécificité langagière de chaque station ait eu un impact sur les PST.

Enfin, nous aurions pu utiliser une échelle validée pour évaluer la façon de donner de la rétroaction, telle que celle développée par Halman et al. [18]. Cette échelle qui reprend certains points de nos grilles d’évaluation (demander l’autoévaluation, être objectif et constructif) aurait peut-être permis de mettre en évidence des zones de faiblesse non identifiées dans notre grille, comme l’élément « donner un plan d’action pour amélioration de l’apprentissage ».

Implications futures

Les PST ne pourront pas remplacer complètement les médecins tuteurs dans le contexte de dispositifs d’enseignement et d’apprentissage, car ils ne pourront jamais avoir les connaissances d’un médecin tuteur, même si leur formation est améliorée. Ainsi, pour s’assurer que les étudiants peuvent avoir accès aux connaissances médicales, le format des cliniques simulées pourrait être modifié en ajoutant une séance de débriefing avec les étudiants après leur clinique simulée avec un PST. Cette séance serait dirigée par un tuteur médecin qui répondrait aux questions médicales que les PST n’auraient pas su aborder.

Par ailleurs, la rentabilité de ce projet ou le retour sur investissement doit être discuté. Comme mentionné précédemment, la formation doit être plus longue et par conséquent plus coûteuse. Se pose aussi le problème de fidélité des PST et de leur disponibilité. Le bassin de PS du programme de patient simulé / standardisé de la faculté de médecine est limité. Il faudrait établir un contrat de PST, où la formation serait offerte contre l’engagement à participer à un nombre précis de séances de cliniques simulées. Ce processus attractif est courant dans les programmes de formation des PS où ces derniers ne sont pas rémunérés pour la formation comme nous l’avons fait dans ce projet pilote, mais où ils peuvent être assurés d’être employés régulièrement comme PS. À la différence des PS qui ne peuvent être appelés pour une clinique simulée que s’ils correspondent au genre et à l’âge du personnage à jouer, les PST seraient admissibles en tout temps et avec l’expérience ; ils pourraient s’améliorer à condition que les expériences soient suffisamment nombreuses et rapprochées. Les premières expériences devraient cependant être supervisées par un médecin tuteur.

Conclusion

Bien que cette étude ait porté sur un nombre limité de participants, elle a démontré que les patients simulés (PS) pourraient agir à titre de patients simulés tuteurs (PST) dans les cliniques de pré-externat d’un programme d’études médicales de premier cycle à certaines conditions : 1) recruter des personnes venant du domaine et de la santé ou de l’enseignement ; 2) fournir à ces personnes une formation pratique approfondie en mettant l’accent sur la rétroaction et la terminologie médicale et 3) choisir des cliniques simulées dont l’objectif permet de développer le rôle de communicateur. Il y a un intérêt à continuer ce projet de recherche par des investigations plus approfondies et à mener une étude comparant la validité de la performance des PST à celle des médecins.

Contributions

Isabelle Burnier, chercheure principale, a contribué à la conception du protocole de recherche, préparé des documents pour le comité d’éthique sur la recherche, recueilli des données (observation des patients simulés formateurs et des cliniques de simulation, élaboration des scénarios et du matériel à l’intention des patients simulés formateurs, élaboration et offre de formation à l’intention des patients simulés formateurs), a participé à l’interprétation des résultats et à l’écriture du manuscrit. Diane Bouchard-Lamothe, a contribué à l’élaboration du devis de recherche (incluant la recension des écrits), a préparé des documents pour le comité d’éthique sur la recherche, a participé à l’élaboration et à l’offre de formation à l’intention des patients simulés formateurs, a révisé des grilles d’observation, a participé à l’interprétation des résultats et à la rédaction du manuscrit. Manon Tremblay a contribué à l’élaboration du devis de recherche (incluant la recension des écrits), a préparé des documents pour le comité d’éthique sur la recherche, a révisé des grilles d’observation, a participé à l’interprétation des résultats et à l’écriture du manuscrit.

Approbation éthique

Le projet de recherche rapporté dans cet article avait reçu un avis favorable préalable de la part du comité d’éthique de l’Université d’Ottawa. Ce comité avait imposé à la chercheure principale d’être présente lors des séances afin de s’assurer que les étudiants ne seraient pas pénalisés par une interaction inappropriée avec un patient simulé tuteur.

Liens d’intérêts

Aucune des auteures ne déclare de conflits d’intérêts en lien avec le contenu de cet article.

Références

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  18. Halman S, Dudek N, Wood T, Pugh D, Touchie C, McAleer S et al. Direct observation of clinical skills feedback scale: Development and validity evidence. Teach Learn Med 2016;28:385‐94. [PubMed] [Google Scholar]

Citation de l’article : Burnier I., Bouchard-Lamothe D., Tremblay M. Enseigner les habiletés de l’entrevue médicale à l’aide de patients simulés tuteurs : données d’un projet pilote. Pédagogie Médicale 2018:19;161-169

Liste des tableaux

Tableau I

Éléments du questionnaire d’évaluation des patients simulés tuteurs selon une échelle de Likert à cinq points (de « Totalement en désaccord » à « Totalement en accord »).

Tableau II

Données sociodémographiques des patients simulés tuteurs.

Tableau III

Triangulation des fréquences des cotes des évaluations des patients simulés tuteurs selon une échelle de Likert à cinq points (de « Totalement en désaccord » à « Totalement en accord »).

Liste des figures

thumbnail Figure 1

Fréquence des cotes de l’autoévaluation des PST selon une échelle de Likert à cinq points (de « Totalement en désaccord » à « Totalement en accord »). Hx : histoire de la maladie ; PST : patient simulé tuteur.

Dans le texte
thumbnail Figure 2

Fréquence des cotes d’évaluation des PST par les étudiants selon une échelle de Likert à cinq points (de « Totalement en désaccord » à « Totalement en accord »). Hx : histoire de la maladie ; PST : patient simulé tuteur.

Dans le texte
thumbnail Figure 3

Fréquence des cotes d’évaluation des PST par la chercheure selon une échelle de Likert à cinq points (de « Totalement en désaccord » à « Totalement en accord »). Hx : histoire de la maladie ; PST : patient simulé tuteur.

Dans le texte

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