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Editorial
Numéro
Pédagogie Médicale
Volume 22, Numéro 2, 2021
Page(s) 53 - 55
Section Éditorial
DOI https://doi.org/10.1051/pmed/2021018
Publié en ligne 15 juin 2021

L’intelligibilité des leviers et interactions en jeu dans le processus de professionnalisation des étudiants en santé au cours de leur parcours de formation constitue désormais une problématique de recherche incontournable. En lien avec ce thème émergent, un remarquable article de Laetitia David et ses collègues, publié dans ce numéro de la revue, s’intéresse plus particulièrement à la problématique de la construction de l’identité professionnelle des étudiants sages-femmes [1]. En recourant à une étude qualitative inscrite dans une approche analytique inductive, ils tentent de saisir l’identité qui s’est construite chez les membres d’un collectif en fin de cursus, au cours des cinq années de leur formation initiale.

En ayant comme objectif la compréhension de la construction de l’identité professionnelle, les auteurs se penchent sur ce concept en l’explorant sur un terrain soumis à fortes pressions professionnalisantes. Les étudiants décrivent trois principales étapes chronologiques du développement de leur identité professionnelle : la période en relation avec leur identité passée, la phase en lien avec leur formation en cours et enfin celle qui touche la projection dans l’avenir. L’approche choisie illustre par ailleurs une construction identitaire pour soi, soulignant notamment le poids massif de l’histoire individuelle de vie, s’accompagnant d’introspection et de changements conceptuels majeurs, à laquelle vient s’ajouter une construction de l’identité professionnelle pour autrui, au travers des nombreux rapports qu’elle sous-tend, parmi lesquels le développement des compétences professionnelles s’inscrit comme fil directeur dans le rapport à la formation. Les auteurs tentent de mettre à jour les facteurs influençant le processus de construction de l’identité professionnelle pendant la formation. Le risque que surviennent des périodes de dissonance identitaire voire de désengagement n’étant pas nul, une guidance apprêtée à travers des interventions pédagogiques pertinentes est fortement conseillée afin de contribuer à une meilleure compréhension par l’étudiant des attentes sociétales et du système de santé. Il s’agit là de pointer le rôle majeur de l’environnement d’apprentissage bienveillant et de l’accompagnement compréhensif par l’équipe pédagogique.

Les questions soulevées par les auteurs autour de la construction de l’identité professionnelle sont légitimes et pointent très justement un manque criant d’espaces institutionnels dédiés à l’édification de cette identité professionnelle et à son accompagnement au sein des structures de formation des professionnels de santé.

L’identité professionnelle d’un individu ne commence-t-elle pas avec sa propre identité personnelle ? Peut-on parler, s’agissant de tous les praticiens, d’une même et unique identité professionnelle, homogène et reconnaissable au sein d’une communauté de pratique ?

Les étudiants sages-femmes, souvent très – trop ? – jeunes à l’entrée dans les études, sont projetés dans le monde de la parentalité, découvrant parfois brutalement certains aspects de l’intimité du corps de la femme, tout en étant confrontés très tôt sur les terrains de stages à des situations parfois complexes, alors qu’ils n’ont pour la plupart aucune expérience personnelle dans ce domaine. Il s’agit parfois d’un moment clé, dans ce qui se construit chez l’apprenant, qui, sans accompagnement pédagogique adapté, peut laisser des traces traumatiques.

L’identité professionnelle de la sage-femme a toujours été de nature fragile [2]. Exercer en toute rationalité une profession née d’un mythe n’est pas une simple affaire. En l’absence d’une stratégie collective et faute d’une vision commune, l’intérêt des sages-femmes a souvent été fragmenté. Toutefois, le processus de professionnalisation des sages-femmes a poursuivi bon an mal an le mouvement de scientifisation et de médicalisation de la naissance, pour se concentrer plus que jamais sur un accompagnement plus humaniste dans un système de santé davantage orienté vers la prévention et la promotion de la santé. Tantôt profession « médicale » juridiquement, tantôt profession « paramédicale » sur bien des aspects administratifs et organisationnels, la sage-femme française peine à asseoir son statut médical et à jouir d’une reconnaissance sociale légitime eu égard aux responsabilités qui lui incombent. L’obscurité de cette situation professionnelle inconfortable, de surcroît exacerbée par une absence d’uniformité de reconnaissance académique au niveau européen voire mondial [3], ne facilite pas le processus de construction d’une identité professionnelle franche, sinon pour les praticiens en exercice, au moins pour ceux en devenir.

Aujourd’hui les femmes accouchent différemment, au sens où les conditions de « mettre au monde » sont rigoureusement normées dans les sociétés modernes. Bien que l’évènement reste en soi naturel et physiologique, il n’est pas exempt de complications et de facteurs de risque, ce qui a fait poser un regard nouveau et exigeant sur « l’accompagnement de la naissance ». Ainsi, la place et le rôle des praticiens formés et compétents auprès des futures mères ne sont plus discutés ni discutables. En maïeutique, comme dans bien d’autres formations de santé, plusieurs changements significatifs ont été opérés dans le déroulement de la formation initiale. Outre l’allongement progressif des études et l’accroissement du niveau de recrutement, le passage d’un curriculum basé sur une approche par objectifs vers un modèle nouveau qui valorise l’approche par compétences a clairement constitué un tournant pédagogique considérable. Ce changement tend à accentuer, au-delà notamment des enjeux professionnels, « des enjeux épistémiques de l’acte d’apprendre qui nécessite des conditions requises à un apprentissage intelligent » [4].

Chaque groupe social est confronté à la nécessité de préserver son identité tout en permettant son évolution [5]. Dans le processus de la professionnalisation, il paraît naturellement inutile pour chaque individu de revivre l’expérience collective pour agir. Selon Astier, « professionnaliser c’est d’abord pouvoir mettre à disposition des « nouveaux venus » le patrimoine des acquis des générations antérieures » en précisant que « cela suppose toutefois que les acquis de l’expérience des générations antérieures soient pertinents pour les générations suivantes et que l’expérience de l’un puisse, d’une façon ou d’une autre, inspirer l’action d’autrui » [5]. Les travaux de didactique professionnelle [5] insistent sur le fait que « si l’expérience est patrimoine, elle n’est pas qu’enregistrement d’évènements, recettes, procédures, mais aussi organisation de l’action par une conceptualisation… qui permet leur ajustement en cours d’action ». La professionnalisation engage le sujet dans ses agissements et ses réflexions en lien étroit avec son histoire personnelle. Il y a donc la singularité des situations et celle des sujets et leurs façons d’agencer les processus d’action alors que les compétences peuvent être identiques. La professionnalisation serait donc l’outil de « fabrication » d’un professionnel par la formation [6,7].

Le mécanisme de la professionnalisation des individus se joue tout autant au plan des améliorations de connaissances, de postures, d’activités cognitives qu’au plan de l’émotionnalité, des affects ou de la construction identitaire [8]. Le savoir construit collectivement est approprié par le sujet. Cela n’est possible, selon Charlot, que si le sujet s’installe dans le rapport au monde que suppose la constitution de ce savoir ; autrement dit, un savoir n’a de sens et de valeur qu’en référence aux rapports qu’il suppose et qu’il produit avec soi-même, avec les autres et avec le monde [9].

Le passage à l’université marque une évolution dans la logique du travail intellectuel étudiant et des changements doivent survenir dans ses modes d’apprentissage [1012]. Ceci entraîne habituellement des modifications importantes dans le rapport au savoir de l’apprenant, lui faisant adopter progressivement une nouvelle posture, voire de nouvelles conceptions. Ainsi, dans le concept de la construction de l’identité professionnelle pour soi comme autrui et les rapports qu’il sous-tend, tel que décrit par David et al., il convient d’ajouter le rapport au savoir qui comprend deux dimensions [13] : la dimension épistémique qui concerne le rapport de l’individu à la nature même de l’acte d’apprendre et la dimension identitaire qui correspond à une mise en relation avec les autres en apprenant. Finalement, ces deux dimensions ne peuvent ignorer l’aspect social du rapport au savoir, si l’on admet le principe selon lequel le sujet est avant tout un sujet social vivant dans une société structurée [9].

Les individus en formation vivent les situations d’apprentissage à partir de leurs perceptions et de leurs représentations [14,15]. Chaque apprenant possède une forme de conscience par rapport à ses engagements, à son degré d’implication et il s’avère que cette forme de conscience construite (ou plutôt « co-construite ») guide son action sur le terrain. Contrairement à une formation universitaire généraliste, les étudiants qui entrent dans une formation médicale professionnalisante se représentent une certaine idée de départ de la nature même de la formation à suivre et intériorisent précocement l’image de l’identité professionnelle à construire. L’univers de ces étudiants engagés dans une filière médicale est centré, du point de vue de l’apprendre, sur les apprentissages disciplinaires qui accaparent une part importante de leur attention et de leur motivation. L’identité personnelle de l’individu influence incontestablement son modèle d’identité professionnelle, dans le sens où son attrait pour développer davantage telles ou telles compétences se déclare très tôt dans le cursus et oriente le futur professionnel vers un secteur d’activité qui correspond mieux à son modèle d’exercice recherché en cohérence avec son identité personnelle. Il est démontré par ailleurs que les compétences professionnelles visées chez le même collectif d’étudiants varient d’un individu à l’autre et que tous les diplômés d’un même parcours ne présentent pas la même identité professionnelle [16].

Alors que la professionnalisation est une finalité attendue des programmes en alternance en santé, l’étude de la portée ou scoping study de Bélisle [17] sur la nature des écrits à travers notamment le prisme des trois dimensions de la professionnalisation (développement des compétences, appropriation de la culture professionnelle, construction identitaire) des étudiants dans les programmes de formation initiale ne manque pas de susciter des questionnements. Hormis le fait que la construction de l’identité professionnelle est très peu évoquée sur le plan curriculaire et ne présente pas réellement de définition claire dans les écrits analysés, les résultats mettent en évidence des lacunes importantes dans les programmes de formation en alternance axés sur une logique de professionnalisation. En effet, le profil de sortie attendu au terme de la formation est exclusivement centré sur le développement de compétences, qui ne permet pas d’établir des attentes explicites au regard du niveau de développement attendu des étudiants aux différentes étapes de la formation.

Le sentiment d’identité professionnelle peut surgir à tout moment, et en particulier vers la fin du cursus, avec la construction d’un « je » apprenant. Les connaissances théoriques et pratiques, les expériences vécues sur les terrains de stages peuvent donner à l’étudiant une confiance en lui qu’il n’avait pas avant, ce qui l’autoriserait à exprimer ses idées et donner son avis médical même devant des professionnels expérimentés. En parallèle d’une construction de compétences, soit d’une activité d’appropriation d’un savoir que l’étudiant ne possède pas dans un premier temps et cherche à posséder in fine, la dimension identitaire rentre également en ligne de compte, car se sentir appartenir à une communauté professionnelle ou/et scientifique détermine aussi le rapport à la formation. L’individu valorise cette appartenance en fonction du sens qu’il lui confère [9].

Aussi, nous semble-t-il sévère et utopique de demander aux jeunes générations de vivre en totale autonomie une révolution culturelle et identitaire en l’absence de modèle à suivre et de balises institutionnelles mises à leur disposition. Le développement d’approches pédagogiques novatrices telles que l’inclusion, dans le programme de formation, d’un cadre conceptuel comprenant les dimensions et les principes sous-jacents à la professionnalisation et l’emploi d’outil d’analyse adapté [17] permettraient aux étudiants de se construire une identité professionnelle objective et explicite. L’avantage substantiel que nous voyons dans ce modèle consiste en une réelle incitation au changement conceptuel en faveur d’un apprentissage holistique.

Références

  1. David L, Franck E, Paris S, Delacour C. Construction de l’identité professionnelle des étudiants en maïeutique : une étude exploratoire qualitative. Pédagogie Médicale 2021;22:55‐63. [Google Scholar]
  2. Knibiehler Y. Accoucher : femmes, sages-femmes et médecins depuis le milieu du XXe siècle. Rennes : Éditions de l’École nationale de la santé publique, 2007. [Google Scholar]
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  16. Bélisle M. Perceptions de diplômés universitaires quant aux effets d’un programme professionnalisant et innovant sur leur professionnalisation en contexte de formation initiale. [Thèse de doctorat en éducation]. Sherbrooke (QC) : Université de Sherbrooke, 2011. [Google Scholar]
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