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Numéro
Pédagogie Médicale
Volume 22, Numéro 1, 2021
Page(s) 5 - 13
Section Recherche et perspectives
DOI https://doi.org/10.1051/pmed/2020063
Publié en ligne 2 avril 2021

© SIFEM, 2021

Introduction

Contexte et enjeux

Dans le sillage des accords de Bologne (1999), organisant un espace européen de l’enseignement supérieur, et en lien avec la stratégie de Lisbonne (2000), obligeant les structures d’enseignement supérieur à optimiser leurs dispositifs pédagogiques, se développe une réflexion qui remet largement en cause l’enseignement transmissif [1], considéré par un grand nombre comme inadapté aux étudiants actuels [2]. Poteaux [3] affirme que ce système pédagogique n’est plus en « phase » avec « l’évolution des techniques » contemporaines. L’organisation de l’enseignement supérieur au niveau européen met en place les contours d’une stratégie d’optimisation pédagogique [4]. Dans ce cadre, de nombreuses initiatives voient le jour pour l’innovation pédagogique en formation initiale, en réponse aux nouveaux enjeux de l’enseignement et de la santé publique.

Les techniques d’information et de communication éducatives (TICE) deviennent incontournables vis-à-vis de la révolution numérique et de l’évolution sociologique des apprenants. La stratégie pédagogique s’oriente inéluctablement autour de l’optimisation et de l’utilisation des TICE. Les TICE regroupent un ensemble d’outils conçus et utilisés pour mettre en place une organisation des ressources numériques à des fins d’enseignement et d’apprentissage. Dès 2011, les travaux de Raby [5] témoignent d’une nécessaire participation active de l’apprenant autour des outils pédagogiques numériques. Le e-learning ou apprentissage en ligne, avec la démocratisation des accès à internet, amène à promouvoir de nouvelles approches technologiques. Favier définit le e-learning comme un « processus d’apprentissage par lequel les individus acquièrent de nouvelles compétences ou connaissances grâce à des technologies de l’information et de la communication » [6]. Les outils numériques en ligne se développent, notamment dans le domaine de l’apprentissage en santé [7]. Plusieurs formats et dispositifs numériques sont disponibles, parmi lesquels les jeux sérieux (serious game – SG).

Problématique

L’idée d’utiliser des applications ludo-éducatives n’est pas nouvelle, mais les enjeux des SG, au sens où on l’entend aujourd’hui, ont dépassé la simple idée de coupler divertissement et apprentissage. Ce n’est que très récemment (2002) que l’on considère le SG comme un véritable objet de recherche et que le domaine a pris son essor. Zyda [8], directeur du laboratoire GamePipe, ayant collaboré à la réalisation d’un des SG les plus populaires (America’s army) donne cette définition : « Un défi cérébral, joué avec un ordinateur selon des règles spécifiques, qui utilise le divertissement en tant que valeur ajoutée pour la formation et l’entraînement dans les milieux institutionnels ou privés » (Traduction de Alvarez [9]).

En effet comme le décrivent Michel et Namara [10] : « Les jeux sérieux sont des technologies dont l’objectif dépasse le simple cadre ludique ». Deux principaux aspects sont au service de l’apprentissage :

  • l’aspect ludique, en lien avec la mise en place d’une véritable conception de jeu (game design), au regard de laquelle on retrouve des notions de compétition, curiosité, collaboration ou encore de défi ;

  • l’aspect motivationnel, lié à l’utilisation d’un support de jeu immersif permettant la mise en situation (du plateau de jeu « physique » jusqu’à un environnement 3D virtuel), qui va impliquer le joueur-apprenant en le poussant « à s’engager dans des tâches jugées complexes ou rébarbatives » [10].

Les SG vont donc au-delà de l’utilisation du simple divertissement au service de l’apprentissage mais utilisent la conception de jeu (game-design) et ses concepts au service du développement de différents aspects de l’apprentissage. Sous certaines conditions, les effets bénéfiques sont nombreux, notamment dans l’implication, la motivation, la coopération, les stratégies de résolution des problèmes ou l’intégration des informations du joueur-apprenant [11]. La tendance générale promeut déjà l’utilisation des TIC dans l’enseignement supérieur (arrivée de la génération Y dans les universités, contrainte budgétaire, volonté de développement de certaines compétences…) [7]. Le concept d’apprentissage par le jeu vidéo (digital game-based learning) permet la mise en place de nouvelles formes et approches pédagogiques, et notamment dans le domaine de la santé. L’engouement pour ce genre d’approche se manifeste en France et notamment depuis la tenue à Nice en 2012 du premier colloque exclusivement consacré à la ludification, aux jeux sérieux et à la simulation en santé (SEGAMED).

Les travaux de recherches consacrés à l’évaluation des jeux sérieux appliqués à la médecine et à la santé se multiplient mais, à notre connaissance, il n’existe pas d’étude présentant la mise en place d’un SG dans le domaine de la masso-kinésithérapie (ou physiothérapie) pour l’apprentissage des étudiants.

Présentation du jeu sérieux PETRHA

Le projet Physiotherapy E-training Re-Habilitation (PETRHA) est un projet européen centré autour de la création du premier jeu sérieux d’apprentissage à destination des étudiants physiothérapeutes. Nous avons soumis ce jeu aux étudiants physiothérapeutes en cours de formation initiale dans un institut de formation en masso-kinésithérapie.

PETRHA est constitué de deux outils :

  • un didacticiel dont les auteurs affirment que « le but est d’aider les utilisateurs, enseignants et apprenants, à bien s’approprier PETRHA pour créer des cas cliniques et jouer » ;

  • une interface de jeu à proprement parler, que les créateurs présentent comme : « un serious game qui permet l’entraînement des étudiants européens en physiothérapie au raisonnement clinique en gériatrie ».

Ce SG est en accès libre sur le site http://PETRHA.eu Une version comportant 10 cas cliniques de démonstration (« cas démo ») permet selon les créateurs : a) un entraînement au raisonnement clinique en gériatrie ; b) une évaluation de la pertinence de cet outil par l’utilisateur.

L’étudiant-utilisateur ouvre une fenêtre qui permet de découvrir un patient (cas clinique) fictif, bien qu’inspiré d’une situation réelle. Dans cette fenêtre, trois onglets permettent d’investiguer le patient. Le premier ouvre l’opportunité d’interroger le patient et de consulter son dossier médical. Cet onglet offre la possibilité d’effectuer un examen clinique. Le deuxième s’intitule « diagnostic » et permet d’établir un bilan-diagnostic masso-kinésitherapique à partir des informations collectées dans l’onglet précédent. Le troisième et dernier onglet « objectifs » permet d’établir et de prioriser les objectifs initiaux, intermédiaires et finaux à mettre en œuvre avec le patient et pour le traiter. En haut de la page un chronomètre informe l’utilisateur du temps consacré et du pourcentage des points d’actions restants. Cette indication est disponible en permanence. L’interactivité autour d’un scénario déterminé à l’avance permet de se rapprocher des situations réelles.

Objectif

L’objectif principal de cet article est de rapporter un retour d’expérience préliminaire à partir du recueil du ressenti des étudiants physiothérapeutes (masseurs-kinésithérapeutes) lorsqu’ils ont utilisé le SG PETRHA pour la première fois, dans le cadre d’un projet pilote.

Méthodes

Collecte des données

Le SG PETRHA a été soumis aux étudiants d’un institut de formation en masso-kinésithérapie, dont le curriculum est réparti en quatre niveaux d’études. Préalablement, nous nous sommes assurés que les 175 étudiants en formation initiale de cet établissement n’avaient pas eu connaissance de cet outil d’apprentissage, qui est en accès libre en ligne. Le consentement des répondants a été obtenu en amont de la collecte des données. Cette recherche a été conduite en suivant les exigences éthiques en vigueur en France et en Europe [12].

Le recueil des données a été initié le 19 décembre 2017 en adressant à 19 h 30 un courrier électronique groupé aux 175 étudiants. Ce message initial demandait explicitement aux étudiants de répondre en exprimant : « leur sentiment, leur analyse, leurs remarques, leurs réactions... sur l’intérêt de ce serious game PETRHA en regard l’apprentissage du métier de physiothérapeute (masseur-kinésithérapeute) ». Il n’y a pas eu de relance concernant ce message initial.

Tous les répondants ont été contactés une deuxième fois par un courriel individuel qui sollicitait de nouvelles informations visant à savoir plus précisément si le SG leur avait permis l’appropriation des données théoriques et pratiques nécessaires au traitement masso-kinésithérapeutique (MK) des patients dont ils auront la charge.

Analyse des données

L’intégralité des réponses reçues a été archivée et numérotée. L’analyse de leur contenu a été menée par deux méthodes complémentaires : lexicale et thématique.

Analyse lexicale

Une analyse lexicale (lexicométrie), assistée par le logiciel libre Iramuteq développé par Ratinaud (http://www.iramuteq.org/), a été effectuée.

Après nettoyage du corpus des courriels (fautes d’orthographes, fautes de frappe, abréviations, formules de politesse) et mise en forme, il a été procédé à une analyse statistique fréquentielle (redondance des mots utilisés) et à une analyse par classification descendante hiérarchique (CDH), selon la méthode dite de Reinert [13]. La méthode par CDH permet de représenter graphiquement les éléments semblables de la verbalisation des étudiants. Salone [14] explicite cette méthode en indiquant que « La CDH […] propose une approche globale du corpus. Après partitionnement de celui-ci, la CDH identifie des classes statistiquement indépendantes de mots (de formes). Ces classes sont interprétables grâce à leurs profils, qui sont caractérisés par des formes spécifiques corrélées entre elles. La CDH résume cela par un dendrogramme. »

Analyse thématique

Une analyse thématique a été effectuée en regard du cadre thématique catégoriel de Lang et al. [15]

Ces auteurs définissent trois catégories afin de rendre compte « des critères pédagogiques pour évaluer les apports et les éventuelles faiblesses [du SG] dans le cadre de l’enseignement du management des processus métiers. » [15]. Bien que développés pour un autre domaine d’utilisation, ces objectifs sont identiques à nos préoccupations et il nous a semblé pertinent de réutiliser ce cadre théorique déjà éprouvé. Les trois catégories sont définies comme suit :

  • « Jouabilité (immersion et motivation induite par le SG) : l’apprenant est motivé par les aspects ludiques, graphiques, sonores. Il s’investit complètement dans son personnage (avatar) et est immergé dans le monde virtuel qui l’entoure. Il ressent du plaisir en naviguant à travers le jeu. Ses sens s’en trouvent mobilisés, et sa motivation accrue. Sa concentration atteint alors des niveaux élevés. » ;

  • « Apprentissage (connaissance acquise via le SG) : les informations et concepts concernant la thématique abordée dans le jeu […] sont clairement explicités. L’apprenant apprend des éléments relatifs au sujet traité tout au long du scénario. Il peut analyser des tableaux de bord, des modèles, des graphiques qui vont l’aider à mémoriser des connaissances sur le domaine étudié » ;

  • « Mise en situation (réalisme des situations décrites dans le SG) : le scénario décrit dans le jeu correspond à une situation entrepreneuriale qui pourrait être réelle. L’apprenant s’implique dans la mission qui lui est proposée, car elle évoque des mises en situation réalistes. L’apprenant s’en trouve davantage motivé que la problématique exposée est en lien avec des activités professionnelles, qu’il sera amené à réaliser dans sa future carrière ».

Les occurrences énoncées en regard des trois catégories d’analyse retenues ont été dénombrées. Une fois les occurrences classées, une analyse des convergences et des divergences en regard du cadre catégoriel retenu a été effectuée. Lorsque les données sont en accord avec les critères du cadre théorique, l’occurrence énoncée est qualifiée de « convergente » et marquée par le signe positif « + ». À l’inverse, lorsque l’occurrence énoncée diffère des critères du cadre théorique, elle est qualifiée de « divergente » et marquée par le signe négatif « − ». L’analyse thématique a été effectuée par deux évaluateurs, masseurs-kinésithérapeutes diplômés d’Etat de même âge et de même genre, le test κ (kappa) de Cohen [16] permettant de tester leurs accords lors du codage qualitatif. Une mesure de la fidélité (stabilité lors d’évaluations répétées) des catégories a été effectuée.

Résultats

Données brutes de l’étude

Treize étudiants parmi les 175 sollicités ont répondu, soit un taux de participation de 7 %. L’utilisation moyenne du SG est de 33 minutes avec un écart à la moyenne de 10 minutes. Les 13 étudiants participants ont tous répondu aux deux questions proposées. Les textes des courriels des 13 étudiants ont été regroupés dans un document de traitement de texte, sans aucune modification. Seule une numérotation ligne à ligne a été effectuée afin de faciliter l’analyse. Le tableau I présente la répartition des étudiants en fonction de leur promotion, leur sexe et leur temps moyen d’utilisation du SG.

Tableau I

Résumé de la répartition des participants à l’expérimentation du jeu sérieux PETHRA.

Analyse lexicale des données

Le corpus présente 3891 occurrences. Après l’opération de nettoyage puis de lemmatisation (regroupement des mots) 598 formes actives (noms, verbes, adjectifs, adverbes, formes non reconnues) et 404 hapax (formes apparaissant une seule fois dans le corpus) ont été identifiés et analysés. Les hapax représentent 10,38 % des occurrences. Le logiciel a découpé l’ensemble des textes en 109 segments avec une moyenne d’environ 36 formes par segment. Le nom « jeu » est la forme active la plus relevée, comptabilisé 47 fois. Les formes les plus utilisées sont regroupées sous forme de tableau.

L’analyse par CDH a permis de classer 79 segments sur 109 (72,48 %), faisant apparaître six classes terminales, représentées sur la figure 1 sous forme de dendrogramme (diagramme illustrant l’arrangement généré par le regroupement hiérarchique). On observe que les branches font émerger deux mondes lexicaux différents, qui se répartissent chacun en trois classes qui mettent en évidence les formes statistiquement liées. Les « segments caractéristiques » de chaque classe (somme des Chi2 des formes repérées du segment) sont une aide à l’interprétation des classes lexicales. Elles permettent de replacer dans son contexte les formes actives extraites du corpus analysé.

La classe 1 inclut 16,5 % des formes actives analysées. Elle fait apparaître les informations en lien avec le patient, avec des formes telles que « patient / vrai / rééducation ». Un des segments caractéristiques est par exemple : « avoir un vrai patient en face de nous avec des photos des vidéos des tests de vrais bilans c’est immersif ».

La classe 2 inclut 13,9 % des formes actives. Elle se réfère au langage employé dans le SG, avec des formes telles que « anglais / comprendre / vocabulaire ». Des segments caractéristiques de cette classe sont par exemple : « il m’est un peu difficile de tout comprendre » ou « lorsque le vocabulaire est trop spécifique c’est impossible à lire ».

La classe 3 inclut 15,2 % des formes actives. Elle est en lien avec la difficulté et la variété des cas cliniques que l’on peut rencontrer lors de la navigation sur la plateforme PETRHA avec des formes telles que « choisir / niveau / difficulté ». Des segments caractéristiques de cette classe sont par exemple : « je pense qu’avec une plateforme adaptée à notre niveau d’étude l’apprentissage serait plus ludique et bénéfique » ou « ce serious game est sûrement très utile quand le joueur possède suffisamment de connaissances ».

La classe 4 inclut 13,9 % des formes actives. Elle concerne la verbalisation du locuteur autour de l’interrogatoire du patient, avec des formes telles que « question / interrogatoire / diagnostic ». Un des segments caractéristiques de cette classe est par exemple : « avoir un avant-goût d’un interrogatoire ou d’un diagnostic en détail est très intéressant même si je pense ne pas cerner actuellement les subtilités et l’importance de certaines informations lors du diagnostic par exemple ».

La classe 5 inclut 16,5 % de formes actives analysées. Elle se rapporte au temps investi et à la dimension de notation propre au jeu, avec des formes telles que « joueur / score / minute ». Des segments caractéristiques de cette classe sont par exemple : « bref ce serious game est à l’heure actuelle très frustrant pour un étudiant de première année ; 40 minutes coupées par de nombreuses recherches pour interpréter des tests interminables pour finalement avoir un score de moins de 50 sans aucune piste d’amélioration » ou encore « on se retrouve à devoir taper dans la barre de recherche des lettres au hasard pour espérer trouver un nom de test une fois qu’on en a trouvé un on passe 10 minutes à faire des recherches sur le test en lui-même pour pouvoir l’interpréter ».

La classe 6 inclut 24,1 % des formes actives analysées. Elle concerne la mobilisation des connaissances, avec des formes comme « données / pratique / théorique ». Des segments caractéristiques de cette classe sont par exemple : « je pense que le SG peut me permettre de m’approprier les données théoriques et pratiques nécessaires au traitement MK mais ces données seraient plus importantes si le jeu développait un système d’évaluation et de bilan » ; « je ne pense pas que cela suffise à l’appropriation des données pratiques ».

En termes d’interprétation qualitative, deux approches émergent à partir des classes proposées par le logiciel au vu des éléments exposés précédemment : une première approche que nous avons qualifié de « clinique » qui regroupe les classes 1, 4 et 6 et une deuxième qualifiée de « logicielle » qui regroupe les classes 2, 3 et 5 (Fig. 2).

thumbnail Fig. 1

Dendrogramme issu de la classification descendante hiérarchique.

thumbnail Fig. 2

Interprétation qualitative du dendrogramme issu de la classification descendante hiérarchique.

Analyse catégorielle des données

Au regard de l’étude de la variabilité interindividuelle du cadre catégoriel d’analyse, le coefficient κ (kappa) de Cohen a été mesuré à 0, 70, attestant une concordance satisfaisante entre les deux évaluateurs lors du codage qualitatif [17]. La fidélité de la catégorisation (stabilité lors d’évaluations répétées) s’est également révélée satisfaisante.

La catégorisation issue de l’analyse thématique des occurrences comptabilisées dans les verbatim communs est représentée graphiquement sur la figure 3. La répartition des occurrences par étudiant ainsi que le calcul des moyennes de verbalisation des catégories par étudiant ont aussi été réalisées.

Les 13 participants de cette étude ont répondu massivement en regard de la catégorie « jouabilité ». Un total de 46 occurrences a été individualisé. On comptabilise 16 occurrences positives contre 30 négatives (par exemple : « aucune information nous est donnée pour comprendre le fonctionnement du jeu » (ligne 5) ou « c’est impossible à suivre » (ligne 207) ou « c’est laborieux » (ligne 188) ou « aucun moyen de changer de langue sans quitter la partie » (ligne 212) ou encore « je ne pouvais plus consulter certaines données » (ligne 300).

Les 28 occurrences relevées dans la catégorie « apprentissage » sont partagées entre 14 occurrences positives (par exemple: « ce serious game peut effectivement me faire progresser » ligne 160) et 14 occurrences négatives (par exemple : « on ne voit pas où on s’est trompé … donc c’est difficile de s’améliorer » ligne 21).

La catégorie « mise en situation » est la moins représentée avec 16 occurrences, dont 10 positives (par exemple : « s’entraîner sur des patients fictifs afin de moins appréhender l’interaction avec le vrai patient » ligne 46) et six négatives (par exemple : « il n’y a pas de possibilité de demander le ressenti du patient directement [...] ça néglige les sphères psychosociales » lignes 232 à 233).

thumbnail Fig. 3

Histogramme de la répartition des occurrences en regard du cadre thématique catégoriel.

Discussion

Limites méthodologiques

Le faible taux de participation (7 %) constitue l’une des faiblesses de ce travail. Trois facteurs permettent de le justifier.

Le délai imparti de réponse de trois semaines peut être considéré comme trop court. En effet, de nombreuses analyses ont été déposées après cette période.

La fenêtre de participation se situait pendant une période de congés de fin d’année, période qui précède les évaluations semestrielles du cursus initial. Il est dès lors possible de considérer que plusieurs étudiants aient pu percevoir cette participation comme une perte de temps au cours de leurs plannings prévisionnels de révision.

Les réponses souhaitées devaient parvenir au chercheur par écrit (retour d’e-mail). L’investissement d’un étudiant pour un exercice non obligatoire pourrait aussi justifier le faible taux de participation. Cependant, cette forme de réponse libre laisse l’entière liberté aux étudiants de mentionner ce qu’ils retiennent spontanément de la pratique de ce jeu.

Le biais de représentation de l’échantillon des répondants constitue une deuxième faiblesse du travail. Une nette majorité (10 sur 13) est en effet issue de la promotion de première année du cursus, ce qui peut expliquer la tendance des commentaires à souligner le manque de connaissances comme étant à l’origine des difficultés rencontrées dans l’utilisation de la plateforme PETRHA.

Les limites induites par ces biais sont réelles mais, selon nous, elles ne discréditent pas l’intérêt didactique et pédagogique des informations très significatives recueillies dans le cadre d’une étude exploratoire fondée sur un retour d’expérience d’un projet pilote, qui était l’objet de notre travail.

Discussion de l’analyse lexicométrique

L’approche clinique est subdivisée en deux et regroupe 44,5 % des formes actives.

On observe premièrement que les classes 1 et 4 sont liées et représentent 20,4 % des formes actives analysées. La discussion s’oriente autour de la mise en situation avec le patient. En regard des segments analysés dans ces deux classes, le réalisme des cas proposés semble avéré, le sentiment d’immersion est présent ; en revanche la difficulté ne semble pas adaptée à tous les niveaux d’étude. Les étudiants en début de cursus paraissent en difficulté avec « les subtilités et l’importance de certaines informations ».

On note, deuxièmement, que la classe 6, la plus importante individuellement (24,1 %), met en avant les dires relatifs à la mobilisation des connaissances. L’outil technologie semble être un bon support d’apprentissage ; cependant l’apprentissage des informations pratiques fait débat. Le manque de rétro-action et d’un bilan détaillé de la tâche effectuée par les étudiants ne facilitent sans doute pas une pleine appropriation.

Dans l’approche logicielle, qui regroupe 45,6 % des formes actives analysées, on retrouve dans la classe 3 la notion de difficulté et la souffrance liée au manque de choix en fonction de son niveau d’étude ou de ses préférences. La plateforme n’est pas adaptée pour tous les étudiants et elle comporte une difficulté d’accessibilité des cas cliniques aux personnes qui manquent de connaissances. Outre cette classe, on retrouve également la classe 2 relative à la langue. Les retours sont plutôt négatifs pour des étudiants francophones. Les verbatim rattachés à cette classe montrent bien l’obstacle que rencontrent les étudiants face à la langue.

La dernière classe de l’approche logicielle (classe 5), qui évoque le temps investi et la dimension de notation propre au jeu, comporte également des retours négatifs, la balance temps investi / récompenses semblant frustrer les joueurs.

Discussion de l’analyse catégorielle

À la lumière des résultats obtenus, nous pouvons faire plusieurs constats.

Nous observons que la catégorie « jouabilité » est une catégorie où 12 étudiants sur 13 se sont exprimés en verbalisant le plus, avec une moyenne d’environ 3,5 verbatim par courriel. C’est la catégorie qui relève le plus d’occurrences au total avec 46 occurrences ; 30 d’entre elles sont considérées comme négatives et 16 comme positives. Les interviewés semblent montrer un intérêt particulier pour cet aspect et le perçoivent de manière négative. Ils relèvent aussi de nombreux problèmes lors de la navigation. La jouabilité, facteur prépondérant dans un SG, semble ainsi faire défaut à la plateforme PETRHA, aux dires des étudiants. Une adaptabilité en fonction du niveau des étudiants pourrait être un des axes d’amélioration.

Pour la catégorie « apprentissage », on note une répartition égale entre les occurrences positives et négatives, au nombre de 14. Les avis sont partagés sur cette notion. La notion d’apprentissage, centrale dans le développement du jeu sérieux PETRHA, est perçue de manière ambivalente par les étudiants. En effet, les étudiants sont partagés à propos des connaissances qu’ils peuvent développer, lors de la découverte de l’outil SG PETRHA.

La catégorie « mise en situation » est la catégorie où les étudiants se sont le moins exprimés. Présente dans 10 e-mails pour les 13 répondants avec une moyenne d’environ 1,2 verbatim par étudiant et un total de 16 occurrences. Nous avons comptabilisé 10 occurrences positives et 6 occurrences négatives. Cela nous amène à penser que les étudiants semblent voir cet aspect de manière positive. L’objectif de mise en situation semble partiellement atteint. Les ressources mises à disposition pour l’étude des cas cliniques semblent être pertinentes pour ceux initiés aux bases du bilan diagnostique kinésithérapique, mais restent toutefois perfectibles. L’objectif de PETRHA étant de coconstruire la base de données de cas cliniques avec les instituts de formation, il semble que cet aspect devrait s’améliorer par l’étoffement progressif des cas proposés.

Il semble que la définition de PETRHA comme SG soit remise en question par les étudiants. En effet, au vu de leurs retours, confirmés par les différents indicateurs d’analyse où les éléments de jouabilité sont rapportés de manière négative, ce logiciel s’apparenterait plutôt à un simulateur virtuel centré sur les problèmes [15]. Les utilisateurs ne trouvent pas que le logiciel soit adapté à tous les étudiants. Le « principe sémiotique », de compréhension d’un environnement, fait défaut, pourtant crucial dans l’élaboration d’un SG [18].

Approche critique et perspectives

L’intention explicite des promoteurs du projet PETRHA est que ce dispositif pédagogique à type de SG constitue une ressource pertinente et efficiente pour favoriser l’apprentissage du raisonnement clinique par les étudiants en formation initiale en physiothérapie. Les données réunies dans le cadre de la présente étude ne permettent évidemment pas de conclure à cet égard et n’autorisent pas à attester si le SG PETRHA facilite ou non l’apprentissage de capacités reliées au raisonnement clinique, les méthodes mises en œuvre n’étant pas appropriées pour documenter de tels effets.

Nos résultats permettent en revanche d’identifier un certain nombre de conditions d’utilisation qui devraient être satisfaites pour favoriser effectivement un tel objectif. Amadieu et Tricot font remarquer que l’effet à long terme sur la motivation des utilisateurs de l’innovation pédagogique que représentent les SG peut être compromise ou limitée, en raison d’un manque de posture « active » réelle [19]. Il faut donc mettre en garde contre l’écueil que constituerait le fait d’envisager cet outil comme une finalité en soi, lorsque l’on vise des résultats significatifs en termes d’apprentissage et d’appropriation de connaissances. Par exemple, adopter une posture de simple utilisateur de la plateforme sans prendre part à l’élaboration collective de scénarios, comme cela est prévu dans le projet pédagogique de PETRHA, ne semble pas être pertinent.

Partant de ce constat, certains principes primordiaux de la conception d’un SG semblent en l’occurrence faire défaut. D’après Bulander, « l’apprentissage actif » (axé sur l’apprenant), « l’apprentissage engagé » (motivation) et « l’amplification du principe d’entrée » (rétro-actions et récompenses) devraient être mis en exergue [18]. La relation entre pédagogie, apprentissage et amusement est une alchimie complexe pour réussir un SG. Des auteurs réfléchissent à ce sujet et proposent des modèles tels que le Learning Mechanics – Game Mechanics (LM-GM). Proposé par exemple par Arnab et al. [20], ce type de modèles, qui s’appuie sur les données probantes de la littérature en lien avec la pédagogie et les jeux vidéo, permettrait d’optimiser l’analyse et la conception des SG.

Conclusion

Malgré certaines limites méthodologiques et sans préjuger de l’impact réel que le dispositif étudié pourrait avoir sur les apprentissages, le travail rapporté, en tant que retour d’expérience à partir d’un projet pilote, a permis d’identifier un certain nombre de conditions didactiques et pédagogiques minimales à satisfaire lorsque l’on souhaite exploiter la ressource que constitue le SG PETRHA pour favoriser l’apprentissage du raisonnement clinique en formation initiale de kinésithérapie. Cette étude a aussi été une occasion d’illustrer l’intérêt de certaines méthodes d’analyse lexicale et de catégorisation thématique de discours d’étudiants dans le cadre d’une évaluation pragmatique de dispositifs pédagogiques.

Contributions

Arnaud Choplin a conçu le projet de recherche, effectué la revue de littérature, conduit le recueil et l’interprétation des données et élaboré les différentes versions du manuscrit. Louis Barbier et Thibaut Cintas ont effectué l’analyse lexicométrique des données. Gilles Maignant a assuré l’analyse statistique. Jean-Paul Fournier et Pascal Stacini ont contribué à la relecture du manuscrit et à l’élaboration de sa version définitive.

Approbation éthique

Le projet de recherche a été examiné par les conseils scientifique et éthique de l’Institut de formation en masso-kinésithérapie niçois (Laboratoire Rétines), qui n’a pas formulé de réserve.

Liens d’intérêts

Aucun auteur ne déclare de conflit d’intérêts en lien avec le contenu de cet article.

Références

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Citation de l’article : Choplin A, Barbier L, Cintas T, Maignant G, Fournier J-P, Staccini P. Le jeu sérieux au service de l’apprentissage des physiothérapeutes : retour d’expérience et étude pilote à propos du dispositif PETRHA. Pédagogie Médicale 2021:22;5-13

Liste des tableaux

Tableau I

Résumé de la répartition des participants à l’expérimentation du jeu sérieux PETHRA.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Dendrogramme issu de la classification descendante hiérarchique.

Dans le texte
thumbnail Fig. 2

Interprétation qualitative du dendrogramme issu de la classification descendante hiérarchique.

Dans le texte
thumbnail Fig. 3

Histogramme de la répartition des occurrences en regard du cadre thématique catégoriel.

Dans le texte

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