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Numéro
Pédagogie Médicale
Volume 20, Numéro 1, 2019
Page(s) 3 - 11
Section Recherche et Perspectives
DOI https://doi.org/10.1051/pmed/2020004
Publié en ligne 10 mars 2020

© SIFEM, 2020

Introduction

La formation en santé par la simulation, qu’elle utilise des ressources humaines (patient standardisé, jeux de rôles), synthétiques (simulateurs procéduraux ou patients) ou électroniques (environnement 3D, jeux sérieux, réalité virtuelle, réalité augmentée), est actuellement en plein développement et attire l’attention des chercheurs [1]. Sous certaines conditions, la simulation, d’après ce qui émerge des expériences passées ou en cours, permet d’acquérir et de réactualiser des connaissances et des compétences « techniques » et « non techniques » (travail en équipe, communication entre professionnels, etc.) et d’analyser de manière réflexive ses pratiques professionnelles en faisant porter un regard nouveau sur soi-même lors du débriefing. En tout cas, c’est la promesse formulée dans les recommandations de bonne pratique [2,3] et les visées sous-jacentes à de nombreux programmes de formation élaborés récemment en France, ces derniers prenant le pas des pays d’Amérique du Nord considérés comme pionniers en la matière [4].

Les applications concrètes de la simulation pour soutenir le développement des compétences dites non techniques en médecine générale sont multiples. On peut citer notamment l’apprentissage de la relation médecin-patient, l’annonce d’une mauvaise nouvelle [5], ou encore l’acquisition des compétences dans le domaine de la collaboration interprofessionnelle [6]. De plus, une adhésion et une satisfaction importantes à l’égard des séances de simulation proposées [7] sont fréquemment observées chez les étudiants. Cet enthousiasme se confirme également dans plusieurs travaux de recherche dans différentes universités [8,9].

Cependant, ces études préliminaires n’ont pas permis d’explorer l’impact de la simulation en milieu professionnel sur le ressenti des étudiants, notamment en ce qui concerne l’organisation du travail en équipe interprofessionnelle. La simulation a été développée comme une approche permettant possiblement d’opérationnaliser la formation à la collaboration interprofessionnelle commune aux professionnels de santé, souvent laissée pour compte dans les curriculums conventionnels, alors qu’ils sont pourtant destinés à collaborer quotidiennement à la prise en charge des patients dans le contexte de travail clinique.

L’objectif principal de la présente étude est d’évaluer l’impact sur les pratiques de travail interprofessionnel des étudiants en médecine et en soins infirmiers six mois après avoir participé à une séance de simulation au département de médecine générale de la Faculté de médecine de Rennes. Nous chercherons donc à savoir si les deux groupes d’étudiants de troisième cycle – en médecine et en soins infirmiers – ont perçu une modification dans leurs pratiques concernant le travail interprofessionnel.

L’objectif secondaire était de recueillir le ressenti des étudiants concernant les dispositifs de simulation auxquels ils avaient eu accès, en recueillant les points positifs et les points qui seraient, selon eux, à améliorer, dans la perspective d’affiner éventuellement le contenu de la formation.

Méthodes

Pour explorer les conséquences de ces formations, nous avons choisi de réaliser une étude qualitative basée sur des groupes de discussion focalisée [10] composés d’étudiants infirmiers et d’internes en médecine générale. Le chercheur principal est un interne en médecine générale dans le cadre de son travail pour la thèse d’exercice, qui est en France l’une des exigences requises pour la certification professionnelle.

Échantillonnage

Ce travail a été réalisé à partir de sessions de simulation, organisées du 2 au 13 mars 2015, basées sur des situations cliniques simulées demandant une collaboration entre étudiants infirmiers en cours de diplôme d’État (EIDE) et internes en médecine générale (IMG). Les groupes étaient composés de six à huit étudiants infirmiers et un à deux internes. Au cours de chaque demi-journée, deux scénarios ont été joués mettant en scène deux EIDE et un IMG, où chacun joue son propre rôle : douleur thoracique atypique en établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) que nous appellerons simulation 1 (S1) et trouble de vigilance à domicile, que nous appellerons simulation 2 (S2).

Deux groupes de discussion concernant respectivement les IDE et deux concernant les IMG ont été réalisés entre le 16 septembre et le 10 novembre 2015. Les effectifs sont présentés dans les Tableaux I et II.

L’animation des groupes de discussion a été assurée par des personnes ayant de l’expérience dans la formation des étudiants en simulation.

Dans un souci d’interprofessionnalité et pour éviter une éventuelle inhibition face à leurs formateurs, les groupes d’IMG ont été animés par deux cadres formatrices à l’institut de formation en soins infirmiers (IFSI) et les groupes d’EIDE par un enseignant maître de conférences associé au département de médecine générale.

À la fin de chaque séance de simulation reprenant les étapes classiques de celle-ci, à savoir briefing, déroulement du scénario et débriefing, une présentation brève du projet et de la fiche de renseignements (nom/prénom/études et année d’étude/téléphone/mail) a été distribuée aux participants afin de présenter le projet et de recueillir leur accord concernant la participation à ce travail de recherche. Les coordonnées de 109 EIDE et de 21 IMG ont ainsi pu être collectées afin de permettre l’organisation des groupes de discussion.

Les étudiants ciblés étaient en fin de cursus dans la plupart des cas.

Un des critères de sélection des volontaires participant à un groupe de discussion a été la diversité des profils (sélection d’un échantillonnage raisonné à variation maximale), à savoir des étudiants ayant participé à des séances de simulation différentes, des internes de médecine générale à des stades de formation différents et des étudiants infirmiers ayant été acteurs ou observateurs des simulations. Ces critères ont pu être respectés, en sachant que l’ensemble des volontaires pour participer à ces groupes a finalement été retenu.

Tableau I

Effectifs des groupes de discussion focalisée des internes en médecine générale.

Tableau II

Effectifs des groupes de discussion focalisée d’étudiants infirmiers.

Collecte et analyse de données

La totalité des entretiens, d’une durée d’une heure chacun, conduits à l’aide d’un guide d’entretien fourni aux animateurs (cf. annexe 1), a été retranscrite en verbatim sur logiciel Word, fidèle à l’enregistrement, mot à mot et sous couvert d’anonymat.

La méthode d’analyse utilisée pour réaliser ce travail s’est adossée aux principes de la théorisation ancrée, formalisés par Glaser et Strauss et adaptés par Paillé [11] ; les thèmes communs et les plus pertinents ont été développés dans la partie résultats après une analyse longitudinale de chaque groupe de discussion, puis transversale, pour rendre compte de la cohérence thématique inter-entretiens.

Résultats

Le but de la recherche était de documenter une modification des pratiques professionnelles suite à la simulation et de décrire le ressenti des étudiants ayant participé à la simulation. Nous aborderons d’abord le ressenti de chaque groupe d’étudiants sur le plan individuel et collectif.

Ressenti des étudiants infirmiers en cours de diplôme d’État

Tout d’abord, on peut remarquer que la présence d’un interne a donné le sentiment aux EIDE d’ « aller plus loin dans le scénario, en mettant en œuvre plus de choses » (E1), avec des interactions plus authentiques (situations de prescriptions orales, orientations diagnostiques inattendues...) que lors des simulations monoprofessionnelles réalisées auparavant, au cours desquelles la simulation s’arrêtait à l’arrivée du médecin. L’interprofessionnalité a donc permis d’accentuer l’authenticité perçue de la simulation.

Concernant la modification de leurs pratiques, les EIDE ont tout d’abord insisté sur le fait que cette rencontre a modifié la représentation et les relations qu’ils pouvaient avoir avec des médecins, et en particulier des internes : « je constate qu’après cette expérience mon rapport avec les internes était différent » (E7). Les EIDE ont en effet évoqué des situations lors de leurs différents stages où ils ont eu l’impression d’un échange privilégié avec un interne.

Désacralisation et humanisation du médecin

Opinions antérieures à la simulation

D’une part, certains étudiants évoquent une forme d’admiration et d’intimidation vis-à-vis du corps médical : « être en visite avec le grand médecin », « avant, pour moi, parler à l’interne, c’étaitwaouh » (E3), « c’est compliqué d’aller vers lui » (E1), « cette position du PH (praticien hospitalier) inatteignable » (E7).

Le médecin est décrit comme une « personne sûre d’elle...qui peut gérer la situation. » (E1). C’est « quelqu’un qui sait, qui fait figure d’autorité hiérarchique,... qu’on peut même avoir tendance à déifier » (E7).

D’autre part, ils regrettent parfois l’attitude de ces derniers : « dans les services, ce n’est pas rare qu’il y en ait qui nous prennent de haut, nous imposent des choses, nous parlent à peine... » (E1) ainsi que leur manque de disponibilité : « je n’ai jamais eu l’occasion de débriefer d’une situation avec un médecin » (E5).

Les EIDE font le souhait d’échanges plus fréquents avec le corps médical dans leur vie professionnelle, pour effacer cette impression de « se retrouver dans la même pièce par la force des soins » ! (E7).

On observe donc des représentations préalables basées sur le rapport asymétrique à l’autorité.

Un changement des représentations professionnelles suite à la simulation

Certains étudiants avouent avoir modifié l’image négative qu’ils avaient du corps médical : « ça casse des a priori qu’on peut avoir » (E6), allant même jusqu’à évoquer le terme de « réconciliation » (E7).

L’ensemble des EIDE se réjouit que cette rencontre ait permis de rendre les internes plus abordables. L’impression générale de l’effondrement d’un préjugé est unanime : « on a tout de suite vu que c’était des gens comme nous » (E6).

Les étudiants infirmiers se sont donc rendu compte à cette occasion qu’il était possible que le médecin ou l’interne soit faillible, qu’il lui arrive d’avoir des doutes voire d’être débordé par la situation, constatation à l’origine d’un soulagement pour le moins paradoxal : « les internes étaient relativement aussipaumésque nous, ce qui était rassurant » (E7).

Cette idée de démystification est d’ailleurs ce qui a été évoqué en premier par les EIDE comme ce qui les a le plus marqués concernant cette formation.

L’organisation d’une rencontre pour une fois dans un cadre universitaire et non hospitalier a également permis un rapprochement de statut, à savoir celui d’étudiant : « j’ai vraiment réalisé qu’ils étaient étudiants comme moi » (E8).

Ces notions d’identification ont également permis de développer un sentiment rassurant d’égalité face à la situation d’urgence proposée : « on s’est rendu compte qu’on avait tous les mêmes réactions face au stress » (E8).

Le passage du recours à la collaboration

D’une relation d’aide...

Dans un premier temps, l’arrivée de l’interne est perçue comme rassurante : « on éprouve un soulagement à l’arrivée du médecin » (E8).

Sa présence permet « d’avoir des solutions de prise en charge auxquelles on n’avait pas pensé » (E5), ainsi qu’une « vue plus globale de la situation » (E4), du fait de son champ de compétences, comme par exemple avoir pensé à réaliser une glycémie dans la situation de troubles de la vigilance.

La collaboration permet aussi une prise de recul, afin de se ménager des temps d’observation dans l’action et d’agir par la suite de façon plus efficace, en évitant notamment les erreurs de fixation : « le fait de travailler ensemble permet de se dire à un moment donné de la situationje prends du recul,...ça m’a servi même dans la vie de tous les jours. » (E1).

… à une relation d’entraide

Lors de la discussion, les élèves infirmiers ont aussi mis en avant le fait qu’ils pouvaient être également une personne ressource pour le médecin : « il peut avoir besoin de nous pour élargir ses connaissances par rapport au patient » (E2), « on peut éventuellement aider le médecin » (E1).

Les étudiants étaient ravis et même parfois étonnés de la qualité du dialogue qui s’est instaurée : « il prenait en compte nos propositions et ne refusait pas tout ce qu’on disait » (E3), « j’ai apprécié l’humilité de l’interne qui nous a vraiment questionnées » (E8).

Ainsi, l’idée d’une réflexion partagée plutôt qu’imposée d’autorité par le médecin concernant le diagnostic a pu aboutir, permettant une meilleure efficacité, en passant d’une addition à une co-construction dans la prise en charge.

La notion de complémentarité a été souvent citée de même que celle de la dynamique de l’interaction infirmier/médecin : « on n’est plus dans l’attente mais dans la construction d’une marche à suivre avec l’interne » (E7).

L’exercice de la simulation a permis d’accentuer la notion de collaboration alors que jusqu’alors, on avait plutôt la notion de simplement « faire appel » au médecin. Cela constitue une modification des pratiques et des rapports vis-à-vis de la profession médicale.

Une affirmation de son identité professionnelle

Un impact sur la confiance et la communication

La liberté imposée par la technique de simulation a également permis aux EIDE de gagner en assurance : « on ose plus facilement faire les choses, prendre des décisions, ou se laisser penser des choses » (E5). Les situations auparavant vécues comme un dialogue unilatéral du médecin vers l’infirmier sont désormais abordées comme un échange.

Selon plusieurs étudiants, la séance leur a permis d’être plus à l’aise concernant la communication avec un médecin ou un interne sur les terrains de stage, en osant beaucoup plus facilement aller les questionner sur les prises en charge des patients (E1, E3, E6, E7, E8).

Cette « relation à l’autre plus facile et plus efficace » (E3) a aussi été considérée comme apportant « une réponse plus spontanée à la demande des patients » (E6) rendant in fine les soins plus efficients. On a donc l’idée d’une amélioration de la qualité des soins en collaboration interprofessionnelle.

Un sentiment de reconnaissance et un apprentissage des compétences de chacun

Les EIDE évoquent également une « forme de gratification de leur rôle » (E2), ils « ont eu le sentiment d’être valorisés » (E8) et de ne pas être simplement« l’exécutant des médecins » (E1). Ils ont mis en avant l’importance d’être reconnu aux yeux du médecin, afin de gommer la « hiérarchie péjorative » (E1).

On constate une clarification du domaine de compétences de chaque profession : « ça affirme la place de chacun et ça conforte aussi chacun dans son rôle » (E4).

D’un point de vue personnel, cela a amené les étudiants à se questionner sur leur rôle et leurs limites afin « de ne pas rester seul devant une situation qui pourrait les mettre en difficulté » (E4) et « de ne pas avoir de scrupules àdérangerl’interne ou le médecin » (E2), tout en « sachant filtrer ce qu’on peut aller demander » (E7) et en sélectionnant « les bonnes informations à retransmettre » (E1).

Les EIDE ont aussi apprécié que les internes aient partagé avec eux leur raisonnement clinique et ont ainsi pu se rendre compte de l’importance que pouvait avoir leurs propres transmissions de données médicales orales ou écrites, ainsi que les conséquences négatives de l’oubli de communication de certains éléments.

Ils ont également émis l’hypothèse d’une réciprocité de cet apprentissage concernant les internes sur leur façon de travailler : « ça permet à l’interne de se rendre compte de ce qu’est vraiment notre métier » (E1).

Ressenti des internes en médecine générale

Aspects négatifs

Un manque sur le plan médical

Les internes ont à l’unanimité exprimé le regret que l’aspect médical de la prise en charge n’ait pas pu être discuté lors du débriefing : « ça aurait été bien d’avoir un débriefing du côté médical et de ne pas rester que sur la communication car l’objectif reste de savoir s’en sortir et d’avoir une prise en charge ». (I2).

Ainsi, certains auraient souhaité un débriefing avec un retour plus important concernant les erreurs commises du côté médical (gestion de l’urgence) comme du côté infirmier (transmission des constantes), grâce notamment à l’utilisation de la vidéo lors du débriefing : « il serait intéressant de se revoir en situation, ça permettrait d’avoir un peu de recul sur soi-même, sur la manière dont on se positionne face au patient ou autres soignants... » (I3).

Un enseignement déséquilibré et trop peu développé

Un sentiment général que l’enseignement était plus adapté aux élèves infirmiers a été repris plusieurs fois lors de la discussion.

Sur la forme tout d’abord, où un ou deux internes faisaient face à huit EIDE : « on se sentait un peu seule au milieu de tous ces élèves infirmiers » (I3). Un sentiment prolongé par le fait d’aller attendre « seule au bout du couloir » (I1,I2) avant d’intervenir pour la simulation.

Concernant le débriefing, cela a pu également transparaître : « on s’orientait plus du côté infirmier que du côté médical, même dans la communication » (I4), accentuant une inégalité voire un sentiment de malaise : « je me suis sentie plutôt invitée à la simulation que participant intégrante...c’étaitleurtroisième séance » (I1).

Les étudiants ont émis certaines réserves quant à l’importance des apprentissages réalisés du fait du nombre trop restreint de séances : « Une fois en trois ans d’étude, c’est quand même très peu. Je pense que pour vraiment se rendre compte des effets de ces choses-là, il faudrait soit en rediscuter comme on le fait là à chaque fois, soit plus souvent le vivre. » (I1), « je trouve que ça manque dans notre formation...c’est aberrant qu’on en ait pas plus que ça » (I7).

Il a également été difficile pour les IMG de statuer sur les enseignements tirés de la simulation, concomitants des progrès réalisés sur les terrains de stage durant six mois : « est-ce que c’est cette demi-journée qui a changé quelque chose, ou est-ce notre ancienneté d’étudiant qui fait qu’on est plus à l’aise, je ne saurais pas dire. » (I6). Néanmoins, cela semble complémentaire : « entre deux, il y a quand même eu un semestre aux urgences, donc ça a probablement encore plus renforcé cette idée qui avait germé avec la simulation » (I8). Les étudiants mettent ainsi en évidence l’intérêt d’intégrer cette séquence d’apprentissage au curriculum.

Un rôle de composition

Les internes ont aussi été déstabilisés d’avoir été présentés en tant que médecin plutôt qu’interne, ce qui selon eux n’était pas en accord avec le principe de la simulation d’endosser son propre rôle : « j’avais l’impression d’arriver comme le médecin (I8)...on était présentés comme ça (I9) ».

Cela a contribué à créer une retenue chez des EIDE « inhibés, très impressionnés et accrochés à nos paroles » (I1).

Les internes ont pris conscience de l’image qu’ils véhiculent : « elles attendaient beaucoup trop de moi...j’avais l’impression d’être un peu le messie...d’être mise sur une espèce de piédestal » (I8), « j’étais la référente, j’ai trouvé cette position assez difficile » (I4). Cette représentation professionnelle de « tout-sachant » a été ressentie aussi bien dans la simulation que lors du débriefing.

Aspects positifs

Des échanges constructifs ou instructifs lors de la simulation

Certains participants ont loué « le plaisir d’avoir vu qu’on pouvait bosser ensemble » (I1) et le « partage de compétences » (I5), en étant « confronté à expliquer ma prescription » (I8).

Une participante se rappelle d’« une bonne communication avec les deux étudiantes qui avaient pris des initiatives...je ne me suis pas sentie la seule à devoir travailler » (I3). Un travail d’apprentissage des codes de la communication interprofessionnelle a pu être réalisé.

Ils ont pu également exprimer ce qu’ils attendaient des infirmiers, qu’ils soient « force de proposition » (I10), ne devant pas hésiter à « remettre en cause un diagnostic » (I6) si besoin.

Ils voulaient faire passer le message qu’ils pouvaient être « aussi en difficulté qu’eux voire plus, qu’ils n’avaient pasla science infuse » (I3).

À l’inverse, d’autres internes ont eu des problèmes sur le plan de la communication, notamment sous l’effet du stress induit par la situation d’urgence : « j’ai mal communiqué parce que normalement communiquer c’est écouter, parler et être entendu » (I1), « j’ai le souvenir que ça a été le chaos...je n’ai rien entendu... je ne sais pas ce qu’ils ont fait » (I4), « comme j’étais en difficulté, je n’étais pas ouvert au travail en équipe » (I10).

Les étudiants ont eu le sentiment d’avoir appris sur la façon d’améliorer leur communication à l’avenir, afin d’être « le plus efficace et le plus fluide possible » (I3).

Un retour sur sa pratique lors du débriefing

L’exercice du débriefing a permis aux internes d’avoir un regard extérieur et une réflexion sur leur propre pratique sur plusieurs aspects, la communication et le leadership notamment : « on se rend compte de la manière dont on peut dire les choses...qui peuvent être mal perçues » (I3).

Ils ont déploré que cela n’ait été que peu ou pas le cas lors de leur cursus universitaire antérieur concernant un des aspects primordiaux de leur métier : « personne n’a jamais pris l’habitude de nous critiquer sur notre manière de faire...c’est rare qu’on ait des retours sur la manière dont on pratique la médecine » (I3), « je ne me suis pas souvenu dans mes études qu’on m’ait appris à me poser, à prendre une décision, à me mettre en avant » (I9).

Des apprentissages et une modification concrète semblent avoir eu lieu dans certains cas de figure : « en EHPAD, j’interroge plus les infirmiers et les aide-soignants qu’avant, sur les jours précédant le problème aigu, sur leur sentiment par rapport à la situation » (I10), concernant la prise de recul, le sang-froid et la méthode en situation d’urgence, « la nécessité de se mettre à distance de la pièce, de la scène et/ou de faire appel à quelqu’un d’extérieur si besoin » (I8), « de faire les choses dans l’ordre pour que ça se passe le mieux possible » (I2).

Une prise de confiance et une professionnalisation à long terme

Les situations de simulation vécues ont également permis à certains internes de s’affirmer, de gagner en confiance et en assurance, « d’incarner un peu plus le statut de médecin » (I8), forts de cette expérience.

Ils ont pu prendre conscience de la nécessité d’avoir une capacité de leadership dans certaines situations : « les infirmiers quand ils nous appellent, ont besoin de passer la main et qu’on leur dise quoi faire...il faut que quelqu’un prenne les décisions et c’est à toi » (I4).

La séance de simulation a d’ailleurs parfois été un révélateur de ces habiletés : « il faut bien répartir les tâches, que chacun ait un rôle et c’est au médecin de le donner...je me suis rendue compte que j’avais cette capacité de gestion, de coordination, qui était supérieure à celle que je pensais » (I7).

Les internes ont aussi pu, grâce à la simulation, se projeter vers leur activité future, notamment de la nécessité de formation sur certains gestes techniques et « de ce qu’engendre une prescription pour l’infirmier en termes de matériel, de temps et de complexité » (I8) ou encore de solliciter de façon plus régulière une aide extérieure comme l’appel à la régulation du SAMU pour l’aide à la prise de décision en situation urgente.

Dans cette optique professionnalisante, la simulation a été jugée conforme aux attentes : « c’était exactement les situations que je pouvais rencontrer dans mon stage » (I2), certains retrouvant « une appréhension qu’on a toujours en situation réelle aussi » (I3) ; d’autres n’ayant jamais été seuls en visite étaient satisfaits d’avoir pu se projeter et être mieux armés au moment où ils auront à gérer une situation semblable.

Discussion

Synthèse des apprentissages réalisés

Cette formation par simulation a représenté une technique novatrice pour la totalité des IMG y ayant pris part. Une revue de la littérature n’a pas retrouvé d’expérience préalable, à l’exception de simulations procédurales sur mannequin. Celle-ci modifie les habitudes de formation des étudiants en médecine et semble plus adaptée à la pratique réelle, ainsi que celles des formateurs qui devront avoir recours à de nouveaux référentiels d’apprentissage interprofessionnel par compétences, pour pouvoir notamment réaliser un débriefing avec des étudiants issus de l’autre profession [12]. Dans ce cadre, l’enseignement par la simulation pourrait être un des moyens de développer ces compétences non techniques jusqu’ ici non enseignées [13,14].

Cette étude a permis aux deux groupes d’étudiants d’accéder à de nouvelles notions dans le domaine de la collaboration interprofessionnelle. L’analyse réalisée permet de montrer que les apprentissages des EIDE et des IMG présentent de nombreux points communs malgré leurs niveaux de formation et d’expériences antérieures de simulation différentes.

Nous pouvons donc conclure à un ressenti positif vis-à-vis de ces séances de simulation de l’ensemble des étudiants interrogés. Ces séances leur ont parfois permis de modifier leurs pratiques antérieures.

On peut néanmoins regretter que la prise de conscience de l’interprofessionnalité et la reconnaissance de l’autre professionnel n’aient amené que trop peu d’exemples concrets de modification des pratiques à la suite de la formation, en tout cas tels qu’ils ont été relatés lors des groupes de discussion focalisée.

Cette expérience a aussi permis de faire évoluer les représentations des IMG et des EIDE vis-à-vis de l’autre groupe d’étudiants. Le fait de prendre un temps de formation ensemble en dehors des lieux de stage a permis de mieux connaître les compétences et les limites de chacun. Par exemple, lorsque certains IMG ont fait part de leurs doutes aux EIDE durant la simulation, cela a paradoxalement rassuré ces derniers, créant ainsi une relation plus équilibrée basée sur une confiance mutuelle.

L’interprofessionnalité de cet enseignement a permis à chaque profession de former l’autre et de l’interroger sur ses habitudes d’apprentissage. Le fait de partager ses domaines de compétences a permis à chaque groupe d’étudiants de renforcer sa propre identité professionnelle et a amené une réflexion sur leur statut de futur professionnel de santé. Au-delà des objectifs propres de formation par la simulation, des étudiants de ces deux filières ont eu tout simplement l’occasion de s’asseoir autour d’une table pour se parler de leurs pratiques, ce qui est rare autant en contexte de formation qu’en contexte de travail.

Limites de l’étude

Biais de puissance

La taille trop réduite de l’échantillon ne permet pas une généralisation des résultats à l’ensemble des étudiants formés.

Biais de recrutement

Le recrutement des étudiants basé sur le volontariat, associé au fait que les étudiants ont manqué de disponibilité n’a pas permis de réunir davantage de groupes de discussion focalisée, de sorte que la saturation des données n’a pas pu être vérifiée.

Biais d’induction

La réalisation de cette étude par un interne en médecine générale a possiblement rendu plus difficile l’expression des élèves infirmiers. Nous avons cherché à minimiser ce biais par une animation réalisée par un formateur de l’autre branche (cadre de l’IFSI pour les IMG et enseignant associé au Département de médecine générale pour les EIDE) et par des interventions de l’enquêteur réduites au minimum, uniquement lorsqu’une idée n’était pas audible ou manquait de clarté.

Biais de confusion

La réalisation des groupes de discussion plus de six mois après la formation a parfois posé un problème de mémorisation de la part des étudiants, notamment pour détailler certaines discussions ayant eu lieu ce jour-là.

Biais d’analyse

Pour des raisons logistiques, les phases de recueil de données, de retranscription des entretiens et d’analyse des données ont été faites par une seule personne. Une analyse parallèle par un autre chercheur aurait renforcé la validité des résultats obtenus ; en l’occurrence, il n’y a pas eu de triangulation des chercheurs, ni des méthodes.

Conclusion et perspectives

Au total, le recueil et l’analyse du ressenti des étudiants infirmiers et des internes en médecine générale ont permis de documenter que la simulation a contribué favorablement au développement d’un processus favorisant la collaboration interprofessionnelle chez ces étudiants, réalisant ainsi un apprentissage professionnalisant complémentaire de ceux induits par les enseignements déjà existants. L’analyse des conséquences d’une telle formation encourage à la pérenniser et à la développer.

Afin de confirmer les impressions positives retenues lors de ces groupes de discussion et de pouvoir conclure à l’intérêt de la généralisation d’un tel enseignement à tous les étudiants, il pourrait être intéressant de réaliser auprès d’étudiants français une étude quantitative à partir du RIPLS (Readiness For Interprofessional Learning Scale), dont une version française a récemment été validée [15].

Une revue de la littérature anglophone retrouve de nombreuses échelles de mesure d’amélioration des pratiques interprofessionnelles, comme l’IEPS (Interprofessionnal Education Perception Scale) [16], notamment utilisée dans une étude belge pour démontrer l’amélioration des représentations des étudiants vis-à-vis de la collaboration interprofessionnelle à la suite d’une formation interprofessionnelle, ce qui est en accord avec les résultats de notre étude [17].

À plus long terme, une étude sur l’amélioration de l’aptitude à collaborer chez les praticiens ayant été formés en interprofessionnalité durant leurs études à Rennes est également envisageable et serait là aussi novatrice. En effet, d’après les méta-analyses de Zwarenstein [18], il n’y a pas à ce jour d’étude recourant à des méthodes suffisamment fiables concernant un impact de ces formations sur la pratique ultérieure des étudiants formés à la simulation devenus praticiens.

Contributions

Ce travail a été élaboré dans le cadre du travail académique de thèse pour l’obtention du diplôme d’État de docteur en médecine d’Antony Le Lan. Ce dernier a participé à la conception du protocole de recherche, au recueil des données, à l’interprétation des résultats et à l’écriture du manuscrit. Emmanuel Allory a participé à l’écriture du manuscrit, Pascale Mancheron et Hélène Boudet ont participé à la conception du protocole de recherche. Agnès Banatre a participé à la relecture du manuscrit. Pierric Renaut était directeur du travail de thèse et a participé à la conception du protocole de recherche et à l’écriture du manuscrit.

Liens d’intérêts

Aucun auteur ne déclare de conflit d’intérêts en lien avec le contenu de cet article.

Approbation éthique

Non sollicitée.

Annexe : Guide d’entretien des groupes de discussion focalisée

1°) Racontez-moi ce qui vous a marqué pendant cette demi-journée de formation.

  • Aspects positifs/négatifs

  • Difficultés

  • Réalisme

  • Patient(s) simulé(s)

  • Présence des caméras

  • Coopération EIDE/IMG et apports des étudiants d’une autre filière

  • Confiance en soi

2°) Comment avez-vous vécu les différentes phases de la session (Enseignement/Difficultés) ?

  • Briefing

  • Simulation proprement dite

  • Débriefing

3°) a) Pour IMG : Aviez-vous déjà fait une ou plusieurs séances de simulation en santé dans votre formation ?

Si oui, en quoi est-ce différent avec des étudiants infirmiers ?

Si non, cela correspond-il à l’idée que vous en aviez avant de l’expérimenter ?

b) Pour EIDE : En quoi cette séance de simulation avec un IMG a été différente de celles que vous aviez réalisées auparavant, entre EIDE ?

4°) Que vous a apporté cette séance que vous appliquez dans votre pratique quotidienne ?

  • Gestion de situations similaires vécues

  • Relations interprofessionnelles

  • Leadership/Gestion des conflits

  • Coordination des soins/Partage d’informations

  • Domaines de compétences des autres soignants

5°) Quels sont les points positifs de la session de formation que vous avez suivie ?

6°) Quels sont les points qui seraient à améliorer concernant cette session de formation ?

7°) Selon vous, à quel moment durant votre formation serait-il opportun d’introduire ce type d’enseignement, et à quelle fréquence ?

Références

  1. Devillaine V. Formation en santé : l’essor de la simulation. Concours Med 2012;134:347‐54. [Google Scholar]
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Citation de l’article : Le Lan A., Allory E., Mancheron P., Boudet H., Banatre A., Renaut P. Influence ressentie d’un dispositif de formation interprofessionnelle par simulation pour des étudiants infirmiers et des internes de médecine générale. Pédagogie Médicale 2019:20;3-11

Liste des tableaux

Tableau I

Effectifs des groupes de discussion focalisée des internes en médecine générale.

Tableau II

Effectifs des groupes de discussion focalisée d’étudiants infirmiers.

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