Numéro |
Pédagogie Médicale
Volume 18, Numéro 3, Août 2017
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Page(s) | 139 - 149 | |
Section | Références | |
DOI | https://doi.org/10.1051/pmed/2018011 | |
Publié en ligne | 19 octobre 2018 |
Diagnostic et prise en charge des difficultés de raisonnement clinique. Guide AMEE n° 117 (version courte)★
Seconde partie : gestion des difficultés et stratégies de remédiation
Diagnosis and management of clinical reasoning difficulties AMEE Guide no 117 (short version)
Part II. Clinical reasoning difficulties: management and remediation strategies
1
Faculté de médecine, Université de Genève,
Genève, Suisse
2
Faculté de médecine, Université de Montréal,
Montréal, Canada
3
Centre d’éducation médicale, McGill University,
Montréal, Canada
4
Centre académique de médecine générale, Université catholique de Louvain,
Bruxelles, Belgique
* Correspondance et offprints : Marie-Claude AUDÉTAT, unité des internistes généralistes et pédiatres (UIGP), unité de développement et de recherche en éducation médicale (UDREM), centre médical universitaire, rue Michel-Servet 1, 1211 Genève 4, Suisse. Mailto : marie-claude.audetat@unige.ch ; mcaudetat@sympatico.ca.
Contexte : il existe de nombreux obstacles à l’identification précoce des difficultés de raisonnement clinique dans la formation des professionnels de santé. Objectif : la seconde partie de ce guide propose une description détaillée des principales difficultés de raisonnement clinique, des indices observables de ces difficultés (en supervision clinique), de leurs potentielles causes, et enfin des stratégies de remédiation ciblées pour chacune d’elles. Les enjeux relatifs à la gestion des difficultés de raisonnement clinique et quelques pistes de solution sont également abordées.
Abstract
Context: there are many obstacles to the timely identification of clinical reasoning difficulties in health professions education. Objective: part II of this AMEE Guide provides a detailed overview of the main difficulties in clinical reasoning, including the cues to look for in clinical supervision, the root causes of each difficulty and targeted remediation strategies. Specific challenges and issues related to the management of clinical reasoning difficulties will also be discussed.
Mots clés : raisonnement clinique / difficultés de raisonnement clinique / stratégies de soutien
Key words: clinical reasoning difficulties / remediation / clinical reasoning / remediation / strategies
Cet article est la traduction française d’un travail original élaboré en tant que guide de l’Association for Medical Education in Europe (AMEE), qui a fait l’objet d’une publication princeps en anglais : Audétat MC, Laurin S, Dory V, Charlin B, Nendaz MR. Diagnosis and management of clinical reasoning difficulties: part II Clinical reasoning difficulties: management and remediation strategies. Med Teach 2017;39,797-801 et d’une version plus longue, disponible en anglais sur le site : https://amee.org/publications/amee-guides. Sa publication s’inscrit dans le cadre d’un partenariat institutionnel entre l’Association for Medical Education in Europe (AMEE) et la Société internationale francophone d’éducation médicale (SIFEM), et leurs organes officiels d’expression respectifs, les journaux Medical Teacher et Pédagogie Médicale. À partir de l’article princeps, la traduction en français a fait l’objet d’une première version, élaborée par Thomas Fassier et Marie-Claude Audétat. La version finale résulte d’un processus de révision collégiale développé ultérieurement par le collectif des auteurs, en lien avec le comité de rédaction. Choix éditoriaux : nous avons convenu d’utiliser les termes de superviseur clinique, et d’étudiant ou de stagiaire, en accord avec les usages terminologiques les plus courants dans le monde francophone.
© EDP Sciences / Société Internationale Francophone d’Education Médicale, 2018
Introduction
La seconde partie de ce guide a pour objectif de proposer des ressources aux superviseurs cliniques, pour les aider à développer leurs compétences pour diagnostiquer les difficultés de raisonnement clinique chez leurs étudiants/stagiaires et mettre en œuvre des stratégies de soutien adaptées aux difficultés les plus fréquentes. Nous allons aussi souligner les défis particuliers relatifs à la prise en charge de ces difficultés de raisonnement clinique.
Messages clés
Les difficultés de raisonnement clinique devraient être identifiées et un soutien devrait être mis en place le plus tôt possible, pour éviter qu’elles ne deviennent plus graves et moins facilement corrigeables.
Les indices permettant de reconnaître ces difficultés diffèrent selon le mode de supervision adopté (observation directe, discussion de cas, révision du dossier du patient).
Le choix des stratégies de soutien devrait tenir compte des causes de difficultés, du contexte dans lequel ces difficultés surviennent et des besoins de chaque étudiant/stagiaire.
Un soutien organisationnel du milieu d’enseignement clinique et des instances facultaires est essentiel à la mise en œuvre des interventions envisagées, en raison de la complexité du contexte clinique et des multiples tâches des cliniciens superviseurs.
Dans beaucoup de cas, les remédiations permettent aux étudiants/stagiaires de poursuivre leur cheminement académique et professionnel avec succès.
Interventions de remédiation efficaces : à quelles conditions ?
Peut-on corriger les difficultés de raisonnement clinique ?
En écho au fait que les études dédiées aux erreurs diagnostiques en sciences de la santé divergent quant aux stratégies à adopter pour les éviter [1–7], la littérature en éducation médicale ne fournit pas de cadre conceptuel communément accepté pour la prévention et la remédiation des difficultés de raisonnement clinique. Même si davantage de données sont encore nécessaires sur ces sujets, en nous référant aux résultats des recherches sur la remédiation des difficultés de raisonnement clinique, nous allons proposer quelques stratégies de soutien adaptées à chacune des difficultés déjà identifiées dans la première partie de ce guide.
Les recherches actuelles soulignent l’importance pour les apprenants en difficulté de faire des exercices spécifiques sur le raisonnement clinique. Le fait de revoir des vidéos avec un superviseur et de recevoir un feedback ciblé a également fait ses preuves [8,9]. De récentes recherches ont également démontré que des plans de remédiation conduisent très souvent à une réussite académique [10,11]. Mais, pour ce faire, il faut que les difficultés de raisonnement clinique des étudiants/stagiaires soient identifiées rapidement et que des stratégies de soutien soient mises en place avant que ces difficultés ne s’aggravent. En conséquence, cette identification et cette prise en charge rapide devraient être considérées comme la norme dans les pratiques de supervision [12,13].
Difficultés de raisonnement clinique fréquentes et stratégies d’intervention ciblées
« Va lire sur… » Cette recommandation est probablement celle que les superviseurs donnent le plus souvent à leurs étudiants/stagiaires… Elle est basée sur le postulat que c’est le manque de connaissances qui est responsable de la plupart des problèmes de raisonnement. Mais est-ce bien le cas ?
Les difficultés de raisonnement clinique peuvent être associées à un manque de connaissances mais, contrairement à ce que croient souvent les enseignants, les erreurs de raisonnement clinique sont plus souvent attribuables à une incapacité de l’étudiant/stagiaire à appliquer ses connaissances dans la pratique clinique, plutôt qu’à un déficit réel de connaissances médicales [14].
Une taxonomie des difficultés de raisonnement clinique à chaque étape du processus de raisonnement clinique
Des difficultés peuvent se présenter à chaque étape du processus de raisonnement clinique et le superviseur se doit de les identifier et de les préciser avant de proposer une stratégie de soutien. La taxonomie que nous présentons ici est le résultat d’une recherche-action participative [15], qui a été conduite avec des superviseurs cliniciens expérimentés [16]. Elle ne prétend pas être exhaustive, mais elle illustre les principales difficultés fréquemment observées et diagnostiquées lors des supervisions. Afin de pouvoir identifier l’une ou l’autre de ces difficultés, les superviseurs doivent pouvoir reconnaître et interpréter les éléments clés ou les indicateurs de ces difficultés, tels qu’ils se manifestent au cours des supervisions. Ces indicateurs peuvent d’ailleurs varier selon le type de supervision adopté, que ce soit la discussion de cas, l’observation directe ou encore la révision du compte-rendu de la consultation rédigé dans le dossier médical [16].
Difficulté à se faire une représentation initiale du problème
Une représentation incomplète du problème peut résulter d’une caractérisation insuffisante des symptômes du patient. Cette potentielle incapacité du clinicien à élaborer une représentation mentale correcte du problème dès le début de la consultation peut nuire à sa reconnaissance d’un tableau clinique (selon un processus intuitif, non analytique), ou à son processus analytique de vérification des hypothèses pertinentes et adaptées au problème. La représentation initiale du problème peut aussi être affectée si le clinicien reste trop focalisé sur chaque élément d’information, sans prendre le recul nécessaire à l’élaboration d’une perspective plus globale et plus abstraite du problème [17,18] ou encore sans intégrer d’autres aspects déterminants du problème tel que, par exemple, le contexte psycho-social du patient. L’encadré 1 présente les indices de cette difficulté de raisonnement clinique telle qu’elle se manifeste dans les différents contextes de supervision (observation directe, discussion de cas, notes dans le dossier du patient).
Difficulté de représentation initiale du problème clinique.
Indices clés observables lors de l’observation directe
L’étudiant/stagiaire :
-
s’engage tout de suite dans un recueil de données spécifiques dès que le patient a exprimé sa plainte ;
-
ne prend pas en compte la complexité de la situation ;
-
questionne chaque symptôme isolément ;
-
ne s’intéresse pas au contexte psycho–social du patient.
Indices clés observables en supervision indirecte ou lors de discussions de cas
L’étudiant/stagiaire :
-
n’arrive pas à présenter un résumé global et structuré de la situation initiale en identifiant les éléments clés ;
-
raconte l’histoire avec les mots du patient ;
-
a tendance à proposer tout de suite un diagnostic ou des examens complémentaires à prescrire ;
-
n’intègre pas la perspective du patient dans sa présentation.
Le superviseur n’arrive pas à se faire une représentation claire de la situation.
Indices clés observables dans le dossier médical
-
Le résumé du cas est uniquement descriptif, narratif, sans synthèse.
-
La liste de problèmes du patient est longue, les problèmes sont présentés les uns à la suite des autres, isolément et sans liens.
Difficultés dans la génération d’hypothèses et le recueil ciblé de données
À cette étape du processus de raisonnement clinique, il peut arriver que l’étudiant/stagiaire peine à envisager une ou plusieurs hypothèses diagnostiques, qu’il envisage des hypothèses non pertinentes, ou encore qu’il ne prenne pas en compte les caractéristiques du problème pour y ajuster son recueil de données. Des études ont démontré que le fait d’avoir d’emblée les bonnes hypothèses pour orienter le recueil de données est en lien direct avec la pertinence des données recueillies et la capacité à poser un bon diagnostic [19,20]. Un étudiant /stagiaire peut rencontrer des difficultés à cette étape, par exemple parce qu’il pose mécaniquement une liste de questions au patient, plutôt que d’orienter son anamnèse de manière à tester l’une ou l’autre de ses hypothèses, ou encore parce qu’il a besoin de suivre un processus de vérification systématique de toutes les hypothèses possibles pour s’assurer de ne rien négliger. L’encadré 2 présente les indices de cette difficulté de raisonnement clinique telle qu’elle se manifeste dans les différents contextes de supervision (observation directe, discussion de cas, notes dans le dossier du patient).
Difficulté dans la génération des hypothèses et le recueil ciblé de données.
Indices clés observables lors de l’observation directe
L’étudiant/stagiaire :
-
ne sélectionne pas les éléments clés ;
-
ne pose pas les questions clés précocement ;
-
pose des questions dont on ne comprend pas la pertinence ou persiste dans une séquence de questions non pertinentes ;
-
le recueil d’informations peut être exhaustif, stéréotypé et non ciblé selon la plainte du patient ;
-
l’examen clinique peut être exhaustif, stéréotypé et non ciblé selon la plainte du patient ;
-
l’entrevue est rigide, ne s’ajuste pas à de nouveaux indices ou aux informations données par le patient ;
-
le recueil d’informations est désorganisé, sans fil conducteur, parfois trop court et souvent trop long.
Indices clés observables en supervision indirecte ou lors des discussions de cas
L’étudiant/stagiaire :
-
présente de façon exhaustive ou trop succincte la situation et ne fait pas ressortir les éléments clés ;
-
présente de façon déstructurée la situation, sans fil conducteur ;
-
a des difficultés à formuler et à justifier les hypothèses qui ont guidé son entrevue ;
-
a des difficultés à faire une transformation sémantique.
Indices clés observables dans le dossier médical
-
Les éléments clés sont présents mais pas organisés.
-
Les éléments clés qui servent à exclure d’autres hypothèses que celle retenue sont absents (éléments pertinents négatifs).
-
Il existe un excès de détails non pertinents.
Difficultés dans le raffinement, l’évaluation des hypothèses, et l’interprétation des données.
Fermeture prématurée
La fermeture prématurée survient lorsque le clinicien adopte un diagnostic avant de l’avoir suffisamment vérifié [21]. L’encadré 3 présente les indices de cette difficulté de raisonnement clinique telle qu’elle se manifeste dans les différents contextes de supervision (observation directe, discussion de cas, notes dans le dossier du patient).
Fermeture prématurée.
Indices clés observables lors de l’observation directe
L’étudiant/stagiaire :
-
recherche seulement les informations qui confirment son unique hypothèse diagnostique ;
-
n’explore pas les indices ou les éléments qui peuvent mener à d’autres hypothèses diagnostiques ou qui invalident son hypothèse principale ;
-
ne remarque pas de nouveaux indices qui pourraient apparaître ;
-
ne clarifie ou ne vérifie pas les plaintes du patient.
Indices clés observables en supervision indirecte ou lors des discussions de cas
L’étudiant/stagiaire :
-
élabore peu à propos d’autres hypothèses diagnostiques ;
-
ne retient ou n’identifie pas certains éléments qui auraient pu soulever d’autres hypothèses.
Indices clés observables dans le dossier médical
-
Absence d’éléments clés qui servent à exclure d’autres hypothèses que celle retenue (pertinents négatifs).
-
Absence d’éléments qui pourraient remettre en question l’hypothèse principale.
-
Absence de diagnostic différentiel.
Difficultés de priorisation
L’interprétation des données est une étape majeure dans le processus de raisonnement clinique car elle donne sens aux différentes informations recueillies. Le clinicien choisit d’accorder une priorité et une importance aux différentes données selon leur pertinence pour résoudre le problème. Ainsi, un poids ou une valeur inadéquate attribuée par le clinicien à l’une ou l’autre information pourrait le conduire, par exemple, à accorder trop d’attention à une hypothèse moins pertinente, ou encore à en éliminer, à tort, une autre.
On peut aussi parler de difficulté de priorisation lorsque l’étudiant/stagiaire peine à identifier ou à se focaliser sur le problème principal à évaluer, notamment devant un patient avec de multiples plaintes.
L’encadré 4 présente les indices de cette difficulté de raisonnement clinique telle qu’elle se manifeste dans les différents contextes de supervision (supervision directe, discussion de cas, notes dans le dossier du patient).
Difficulté de priorisation.
Indices clés observables lors de l’observation directe
-
Structure et plan d’entrevue rigides ou inappropriés.
-
Parmi plusieurs plaintes du patient, pas d’identification du problème prioritaire, ni d’orientation de l’entrevue dans cette perspective.
-
Le stagiaire consacre beaucoup trop de temps à explorer un élément secondaire.
-
Pas de caractérisation détaillée de la plainte principale.
-
Entrevue qui « ne se passe pas bien », mauvaise gestion, insatisfaction du patient, difficultés de communication.
-
Besoin pour le superviseur, d’intervenir pour réorienter l’entrevue.
Indices clés observables en supervision indirecte ou lors des discussions de cas
-
conclusions, diagnostic ou plan d’intervention qui ne correspondent pas à ce que l’on attend (trop ou pas assez).
-
impression de « perdre le fil conducteur » à l’écoute du stagiaire, difficulté pour le superviseur à se représenter la situation (incapacité du stagiaire à faire une intégration ou une synthèse des éléments recueillis).
-
tendance chez le superviseur à vouloir prendre le contrôle, retourner voir le patient, etc. pour se faire une idée de la situation clinique.
Indices clés observables dans le dossier médical
-
impression de lire un ouvrage de référence avec de nombreuses hypothèses non reliées/non pertinentes par rapport au cas clinique.
-
manque de détails pour caractériser le problème prioritaire et/ou excès de détails sur des éléments secondaires.
-
la priorisation des hypothèses n’est pas ajustée au cas clinique.
Difficulté dans la représentation globale du problème, l’élaboration d’un diagnostic de présomption et le développement d’un plan de prise en soins
Au moment de procéder à une synthèse du problème et à la prise de décisions pour sa gestion, le clinicien doit pouvoir se faire une représentation globale de la situation clinique, en intégrant les éléments clés de cette situation et en arrêtant son choix sur les hypothèses diagnostiques les plus pertinentes.
Il peut arriver que l’étudiant/stagiaire rencontre des problèmes à ce stade, en omettant ou minimisant une hypothèse diagnostique pourtant importante, ou au contraire en privilégiant une autre hypothèse beaucoup moins pertinente. Sa représentation globale du problème peut aussi être affectée par une difficulté à relier et organiser les différents éléments recueillis pour en faire un portrait, le conduisant par exemple, à élaborer une liste trop succincte ou, à l’inverse, trop détaillée de problèmes, de diagnostics ou d’interventions à suggérer, qui ne reflètent pas de façon intégrative la situation clinique. L’encadré 5 présente les indices de cette difficulté de raisonnement clinique telle qu’elle se manifeste dans les différents contextes de supervision (supervision directe, discussion de cas, notes dans le dossier du patient).
Difficulté à se faire un portrait global de la situation clinique.
Indices clés observables lors de l’observation directe
-
Entrevue où les problèmes et les traitements sont abordés « en silo » (isolément, à la suite).
-
Structure de raisonnement figée et peu ouverte aux spécificités du patient.
-
Plan de traitement ou d’investigation irréalistes compte tenu des caractéristiques du patient.
-
Application trop rigide des guides de pratique.
Indices clés observables en supervision indirecte ou lors des discussions de cas
-
Perspective stéréotypée ou simpliste de la situation.
-
Absence de perceptions du patient dans sa globalité et sa complexité bio-psycho-sociale.
-
Pas de perspective longitudinale dans sa compréhension de la situation clinique.
Indices clés observables dans le dossier médical
-
Aucune mention sur le statut et les perceptions du patient. À la lecture, on ne voit pas « qui » est le patient.
-
Pas de liens entre les différentes données cliniques pour l’élaboration d’un diagnostic.
Il va sans dire que tout défaut de raisonnement clinique à l’une ou l’autre des étapes précédentes risque d’avoir un impact sur l’aboutissement de la démarche et sur le plan de prise en soins. Notons toutefois que certains étudiants/stagiaires, particulièrement ceux qui sont plus avancés dans leur formation, peuvent procéder à un recueil des données adéquat, retenir les hypothèses diagnostiques les plus probables, mais rencontrer néanmoins des difficultés dans l’élaboration et la mise en œuvre d’un plan d’examens complémentaires, d’un plan de traitement, ou encore dans l’orientation du patient vers les ressources appropriées en tenant compte des spécificités de la situation et du patient. L’encadré 6 présente les indices de cette difficulté de raisonnement clinique telle qu’elle se manifeste dans les différents contextes de supervision (supervision directe, discussion de cas, notes dans le dossier du patient).
Difficulté à élaborer un plan d’intervention.
Indices clés observables lors de l’observation directe
-
Le plan d’intervention est absent ou déficient : trop exhaustif, stéréotypé, ambigu, vague, qui ne règle rien ou qui repousse sans cesse la prise de décision.
-
Le plan d’intervention est insatisfaisant, inapproprié pour la situation, ou ne tient pas compte des préoccupations du patien.
-
Il y a absence de discussion avec le patient du plan d’intervention en fonction de l’évolution du problème.
-
L’étudiant/stagiaire a de la difficulté à expliquer le plan d’intervention au patient.
-
Le suivi est inapproprié.
Indices clés observables en supervision indirecte ou lors des discussions de cas
-
L’étudiant/stagiaire est incapable ou a de la difficulté à faire une intégration ou une synthèse des éléments.
-
L’étudiant/stagiaire est incapable de justifier son plan d’intervention.
-
L’étudiant/stagiaire ne prend pas en considération la disponibilité ou le coût des ressources, la prévalence, ou l’urgence des problèmes, ou encore les contraintes ou préoccupations du patient dans son plan d’intervention.
-
Le plan d’intervention est déficient : trop exhaustif, stéréotypé, ambigu, vague, qui ne règle rien ou qui repousse sans cesse la prise de décision.
-
Le plan d’intervention n’intègre pas l’anticipation de l’évolution du problème clinique (se limite à une seule étape par exemple).
-
Le plan de traitement est insatisfaisant, inapproprié pour la situation.
-
Le suivi est inapproprié.
Indices clés observables dans le dossier médical
-
Le plan d’intervention est absent.
-
Le plan d’investigation est déficient : trop exhaustif, stéréotypé, ambigu, vague, qui ne règle rien ou qui repousse sans cesse la prise de décision.
-
Il y a absence de cohérence entre la démarche de raisonnement diagnostique et le plan d’intervention proposé.
-
Le plan de traitement ne traduit pas les étapes subséquentes envisageables en fonction de l’évolution du problème.
-
Le plan de traitement est insatisfaisant ou inapproprié pour la situation.
-
Le suivi est inapproprié.
Stratégies de remédiation spécifiques à chaque difficulté de raisonnement clinique
Après avoir identifié et précisé la difficulté rencontrée par l’étudiant/stagiaire, le superviseur doit s’interroger sur les causes sous-jacentes à cette difficulté, sur les facteurs contextuels pouvant avoir un impact sur cette difficulté, ainsi que sur les besoins de l’étudiant/stagiaire, afin de pouvoir lui proposer des interventions de soutien ciblées et personnalisées.
Même s’il peut être parfois difficile pour les superviseurs de distinguer une « maladresse » de raisonnement, que l’on peut considérer comme normale au regard du niveau de l’étudiant/stagiaire, d’une difficulté à corriger, la reconnaissance précoce des forces et des difficultés de raisonnement clinique, ainsi que l’application de stratégies individualisées assez tôt dans la formation peuvent éviter que de petites difficultés ne se cristallisent et n’évoluent vers une impasse pédagogique. Les stratégies que nous proposons dans ce guide sont concrètes et tiennent compte des différentes causes des difficultés identifiées. Certaines de ces stratégies de remédiation peuvent être utilisées pendant les supervisions effectuées lors de la prise en soins des patients, d’autres en dehors de cette période de soins lorsqu’il y a un peu plus de temps disponible. Il faut noter que l’efficacité de ces différentes stratégies dépend de leur répétition, voire de leur intégration dans un plan de remédiation plus vaste qui a du sens pour l’apprenant.
Le tableau I présente les causes potentielles de chaque difficulté de raisonnement clinique, ainsi que des propositions de stratégies de remédiation ciblées [16,22].
Les causes potentielles des difficultés et des propositions pour des stratégies de remédiation ciblées.
Les enjeux et les défis de l’identification et de la prise en charge des difficultés de raisonnement clinique
Nous voudrions maintenant souligner certains enjeux ou écueils qui sont à considérer dans la mise en œuvre d’un processus d’identification et de gestion des difficultés de raisonnement clinique.
Des enjeux relatifs aux superviseurs
Au même titre que le raisonnement clinique, le raisonnement pédagogique s’enrichit et se développe au cours d’exercices pratiques répétés dans un contexte authentique, en générant et en testant les hypothèses pédagogiques lors des supervisions. Les superviseurs développent ainsi progressivement leurs scripts pédagogiques (teaching scripts) en intégrant des connaissances et expériences issues de leur supervision d’un raisonnement clinique efficace, et de manifestations de difficultés de raisonnement clinique des étudiants/stagiaires. Ces scripts pédagogiques leur permettront de poser plus aisément un diagnostic pédagogique pertinent sur la qualité du raisonnement clinique de leur étudiant/stagiaire [23,24].
Des enjeux relatifs aux processus institutionnels
Les travaux de Hauer [25] ont mis en évidence la paucité de la littérature concernant les meilleures pratiques de remédiation en éducation médicale, les quelques interventions rapportées étant appliquées localement et implantées sans soutien ou reconnaissance facultaire. Les expériences d’interventions pédagogiques se font souvent à l’initiative d’équipes d’enseignement clinique et restent très dépendantes des capacités et des volontés pédagogiques de ces enseignants ou de leur service clinique. Il nous paraît nécessaire de développer les pratiques de diagnostic et de remédiation des difficultés de raisonnement clinique dans le cadre d’un système plus organisé et plus stable émanant des instances facultaires ou institutionnelles.
Kalet et al. [26] ont publié récemment des recommandations issues de leur dix années d’expérience de soutien aux étudiants/stagiaires en difficulté. Ces recommandations s’adressent aux directeurs et responsables de programmes dans une perspective d’implantation de meilleurs processus de diagnostic et de remédiation des difficultés au sein de leurs institutions.
Conclusion
En s’engageant dans un processus pédagogique d’identification des forces et des faiblesses de leurs étudiants/stagiaires, les superviseurs pourront favoriser le développement de leur raisonnement clinique et leur proposer des stratégies de soutien applicables au quotidien, lors des supervisions. Devenir un superviseur efficace malgré les aléas du contexte clinique est possible, mais c’est un processus au long cours [27]. Les superviseurs doivent être soutenus et avoir accès à des formations continues leur permettant de développer progressivement leurs connaissances et compétences pédagogiques en lien à la fois avec le raisonnement clinique des étudiants/stagiaires, avec les diagnostics pédagogiques et avec les processus documentés de remédiation. Nous sommes convaincus que ce soutien et ces formations augmenteront non seulement la confiance des superviseurs dans leurs interventions pédagogiques mais également leur satisfaction dans leur rôle d’enseignant.
Note sur les auteurs
Marie-Claude Audétat est professeure associée à la Faculté de médecine de Genève. Elle est aussi professeure associée au Département de médecine de famille et de médecine d’urgence à l’Université de Montréal, où elle a été directrice de la formation professorale de 2010 à 2014. Depuis mai 2014, elle est en charge de l’axe de recherche en éducation dans l’Unité des internistes généralistes et pédiatres (UIGP) à l’Université de Genève (Suisse). Elle est aussi impliquée dans des projets innovants sur le raisonnement clinique et la formation des enseignants à l’Unité de développement et de recherche en éducation médicale (UDREM).
Suzanne Laurin est médecin de famille, professeure agrégée de clinique, et leader en raisonnement clinique au Département de médecine de famille et de médecine d’urgence à l’Université de Montréal (Canada). Elle est aussi professeure invitée à la Faculté de médecine de Liège (Belgique). Elle a une expérience approfondie en supervision clinique, diagnostic pédagogique et remédiation, et est consultante en pédagogie pour les enseignants de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal
Valérie Dory est experte en évaluation et chercheure en éducation médicale. Elle est professeur adjointe, précédemment à l’Université McGill et désormais à l’Université catholique de Louvain, au Centre académique de médecine générale.
Bernard Charlin est professeur au Département de chirurgie à l’Université de Montréal. Il a une formation de chirurgien de la tête et du cou à Montpellier (France). Il est membre du Centre de pédagogie appliquée aux sciences de la santé (CPASS). Son domaine de recherche est le raisonnement en contexte d’incertitude (théorie, acquisition, évaluation).
Mathieu Nendaz est médecin interniste aux hôpitaux universitaires de Genève (Suisse). Il s’est formé en éducation médicale à l’Université de l’Illinois à Chicago (USA). Il est actuellement directeur de l’Unité de développement et de recherche en éducation médicale (UDREM) et professeur à la Faculté de médecine de l’Université de Genève (Suisse). Ses domaines de recherche concernent la médecine interne et l’éducation médicale.
Conflits d’intérêts
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
Approbation éthique
Sans objet.
Remerciements
Nous remercions Thomas Fassier pour sa contribution à la traduction en français de ce guide.
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Citation de l’article : Audétat M.-C., Laurin S., Dory V., Charlin B., Nendaz M., Diagnostic et prise en charge des difficultés de raisonnement clinique. Guide AMEE n° 117 (version courte). Pédagogie Médicale 2017:18;139-149
Liste des tableaux
Les causes potentielles des difficultés et des propositions pour des stratégies de remédiation ciblées.
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