Contexte

Depuis mars 2020, toutes les activités académiques à la Faculté de médecine dentaire de l’Université de Montréal ont été suspendues en raison de la crise sanitaire de la COVID-19. La pandémie et les mesures de confinement imposées par le gouvernement sont sans précédent, ce qui a forcé les universités, incluant la Faculté de médecine dentaire de l’Université de Montréal, à développer de nouvelles stratégies d’enseignement à distance. En effet, la médecine dentaire expose tout particulièrement à un risque de transmission de maladies infectieuses, par sa proximité avec la cavité orale et aux sécrétions des patients, et par la nature des traitements dentaires avec des instruments qui génèrent souvent des aérosols biologiques [1]. Bien que nous ne sachions pas si le virus SARS-CoV-2 peut se transmettre par les aérosols dentaires, il était d’une importance primordiale d’assurer la santé et sécurité des patients, des étudiants, du personnel et du corps professoral. Nous avons donc arrêté immédiatement les activités académiques en présence et avons fait la transition rapide de l’enseignement vers des plateformes numériques.

Problématique

La médecine dentaire, contrairement à plusieurs autres professions, est un domaine ayant une composante technique importante. En effet, il y a de nombreuses compétences manuelles à acquérir. Ceci pose un défi pour l’enseignement, car les horaires doivent planifier à la fois le temps pour l’enseignement théorique et celui permettant aux étudiants de développer les habiletés manuelles nécessaires à leur formation. Le programme de médecine dentaire de l’Université de Montréal comporte cinq cohortes, chacune d’environ 90 étudiants. Le défi est donc de tenir compte des contraintes de distanciation sociale tout en assurant l’enseignement théorique, l’enseignement préclinique en laboratoire de simulation et l’enseignement clinique, où les étudiants traitent des patients sous supervision. De plus, lors de l’arrêt des activités à l’université, la Faculté de médecine dentaire avait une responsabilité déontologique envers ses patients ayant des traitements en cours et envers ceux avec des urgences dentaires requérant une attention immédiate.

Ce qui a été fait

Les cours théoriques ont immédiatement été transférés sur des plateformes en ligne. La plupart ont été donnés de façon synchrone et enregistrés sur les plateformes Zoom et Teams, afin de permettre aux étudiants ne pouvant assister au cours en direct de pouvoir les consulter plus tard. Les étudiants présents pouvaient suivre les présentations à l’écran et poser des questions par clavardage ou par microphone. Certains professeurs ont choisi le mode asynchrone et ont rendu disponibles des présentations PowerPoint préenregistrées sur la plateforme Studium. Puisque les évaluations théoriques ne pouvaient pas être effectuées en présence, certains professeurs ont remplacé leurs évaluations qui recouraient à des questions à choix multiples par des travaux écrits en équipe ou des présentations orales virtuelles.

Au niveau préclinique et clinique, les activités ont dû cesser immédiatement, y compris les stages des étudiants en milieu clinique qui ont été annulés ou reportés au mois de septembre 2020. La faculté a formé des comités afin d’élaborer des protocoles permettant un retour sécurisé respectant les règles sanitaires recommandées par le Ministère de la santé et des services Sociaux et l’Ordre des dentistes du Québec (ODQ) en préclinique et en clinique pour la rentrée de septembre 2020. Les séances précliniques et les examens pratiques s’y rattachant, qui ont été suspendus depuis mars 2020, ont été rattrapés de façon condensée au cours de deux semaines intensives précédant la rentrée scolaire en septembre 2020. Pour ce qui est des exigences cliniques, elles ont été revues discipline par discipline, et au cas par cas, afin de distinguer les étudiants qui avaient acquis les compétences nécessaires et ceux qui auraient été en situation d’échec même si la session n’avait pas été écourtée. De façon générale, l’atteinte de 80 % des exigences cliniques était ciblée. Pour assurer une continuité dans les traitements et la gestion d’urgences bucco-dentaires, les professeurs de la faculté se sont rendus disponibles bénévolement au courant des mois de juin et juillet pour voir les patients, en utilisant les équipements de protection personnelle appropriés.

Ce que nous avons observé

En mai 2020, tous les étudiants de la cohorte de cinquième année ont été diplômés et des séances d’assermentation virtuelles des finissants de la Faculté de médecine dentaire de l’Université de Montréal par l’ODQ se sont déroulées le 17 juin dernier sur Zoom. Toutefois, la collation des grades sera reportée à l’an prochain.

Points forts

Depuis le début de cette pandémie, nous avons vu une mobilisation rapide de tout le corps professoral vers des solutions d’enseignement à distance. La transition vers un curriculum théorique en ligne a été un succès et le soutien technique de la part du Centre de pédagogie universitaire très apprécié. Malgré les nombreuses enquêtes dans la littérature dentaire rapportant une satisfaction généralement positive des étudiants pour les cours en ligne, il existe encore plusieurs barrières à l’intégration d’un format en ligne, entre autres : la maîtrise des technologies nécessaires, le manque de ressources et la résistance au changement [2,3]. La pandémie aura certainement accéléré le potentiel d’innovation et le format de la classe inversée serait une option à considérer pour le futur.

Le temps libéré par l’arrêt forcé des activités précliniques et cliniques a aussi ouvert la porte à plusieurs opportunités de recherche, ainsi qu’à des collaborations multidisciplinaires. Des webinaires extracurriculaires et des présentations de cas cliniques ont été organisés afin de tenter de compenser le temps d’expérience pratique dont ont été privés les étudiants. Ce fût très apprécié par ceux-ci, avec un taux de participation impressionnant.

Points faibles et limites

Même si la transition vers les plateformes en ligne est possible pour les cours théoriques, l’acquisition des habiletés manuelles à distance n’est pas envisageable, car la technologie ne le permet pas encore. Bien que la télédentisterie soit possible pour des consultations, il n’est pas possible d’exercer la médecine dentaire exclusivement de cette façon. Comme dit le vieux dicton : « c’est en forgeant que l’on devient forgeron ». La présentation de cas cliniques en ligne peut certainement être complémentaire à la formation pour développer le sens critique et le cheminement intellectuel, depuis l’examen clinique jusqu’au plan de traitement. Cependant, la dextérité requise pour exécuter les traitements sur le patient nécessite une courbe d’apprentissage exigeante, incluant une rétroaction d’une autorité en présence, non seulement pour l’étudiant, mais pour la sécurité du patient. Cependant, l’exploration d’une supervision à distance pourrait être envisagée en préclinique. En effet, nous avons observé depuis la pandémie un changement du format des cours de formation continue pratique dans notre profession : tout le matériel nécessaire est envoyé aux participants qui suivent la vidéo d’un instructeur en ligne de façon synchrone. Une perspective pour le futur pourrait inclure ce format avec possibilité de rétroaction via des photos ou des vidéos de haute qualité, le défi demeurant toujours les ressources disponibles en milieu universitaire et les frais de scolarité qui augmenteraient exponentiellement.

D’autre part, l’élaboration et la mise en pratique de nouveaux protocoles dans le contexte actuel ont été plutôt difficiles, la situation étant en constante évolution et les recommandations changeant presque quotidiennement. Avec les nouveaux protocoles de contrôle des infections, les étudiants doivent se présenter en préclinique et en clinique une heure avant leur séance afin d’appliquer le protocole de désinfection et les mesures préventives qui ont été élaborés par le comité de la faculté et approuvé par la haute direction. Ce temps était anciennement réservé aux cours théoriques en présence. Les étudiants ont donc moins de temps à consacrer à l’apprentissage théorique et nous craignons un manque de temps libre, un épuisement et une baisse de motivation à moyen terme. La gestion des horaires sera donc un enjeu central dans la conception d’un curriculum futur.

Pour plusieurs, la pandémie est une source d’anxiété, de stress et d’inquiétudes pour la santé et la sécurité, ainsi que pour le futur de la profession [4,5]. Un sondage explorant les effets de la pandémie sur les étudiants en médecine dentaire, ainsi que leur niveau de satisfaction quant à l’enseignement en ligne, a été distribué à l’ensemble de nos étudiants. Nous avons obtenu un taux de réponse de 48 %. Les résultats sont en cours d’analyse et devraient être publiés sous peu.

Conclusion

Cette pandémie nous a forcés à nous adapter rapidement. Malgré les défis, tous les étudiants de la cohorte de cinquième année ont été diplômés. Les professeurs ont fait une transition rapide vers l’enseignement théorique en ligne, qui continuera à court terme, et les résultats préliminaires démontrent une appréciation générale de la part des étudiants. La gestion des horaires précliniques et cliniques demeure difficile mais les plans pour la session de septembre 2020 sont prometteurs. Les cours théoriques demeureront en majeure partie à distance et les étudiants pourront retourner sur le campus pour les cours précliniques et cliniques avec les équipements de protection personnelle appropriés en respectant les mesures de distanciation sociale. Malgré toutes les inconnues et toutes les difficultés associées à une crise sanitaire mondiale, cette pandémie nous a permis de faire preuve de notre capacité d’adaptation et de notre persévérance, pour atteindre notre objectif ultime de former les futurs dentistes qui serviront notre communauté.

Références

© SIFEM, 2020