Numéro |
Pédagogie Médicale
Volume 21, Numéro 4, 2020
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Page(s) | 195 - 198 | |
Section | Tribune | |
DOI | https://doi.org/10.1051/pmed/2020054 | |
Publié en ligne | 23 décembre 2020 |
Pandémie COVID-19 : le défi de la responsabilité sociale des facultés de médecine
COVID-19: The challenge of social accountability of Faculties of Medicine
1
Faculté de médecine, Université de Montréal,
Montréal, Canada
2
Centre hospitalier universitaire de Rouen, Département d’épidémiologie et de promotion de la santé,
Rouen, France
3
Centre académique de médecine générale, Université Catholique de Louvain,
Bruxelles, Belgique
4
Ancien coordonnateur du programme OMS des ressources humaines pour la santé,
Genève, Suisse
5
Unité de formation et de recherche des sciences de la santé, Université de Thiès,
Thiès, Sénégal
6
Faculté des sciences de la santé, Université de Bangui,
Bangui, République Centrafricaine
7
Réseau international francophone pour la responsabilité sociale en santé (RIFRESS),
Montréal, Canada
8
Unité de formation et de recherche Santé-Médecine-Biologie humaine, Université Sorbonne Paris Nord,
Bobigny, France
9
Conférence internationale des doyens et des facultés de médecine d’expression française (CIDMEF),
Paris, France
* Correspondance et offprints : Ahmed MAHERZI. Faculté de médecine, Université de Montréal. Pavillon Roger-Gaudry, Bureau N-501, 2900 Boulevard Edouard-Montpetit, Montréal (Québec) H3T1J4, Canada. Mailto : ahmed.maherzi@umontreal.ca.
Reçu :
27
Avril
2020
Accepté :
18
Novembre
2020
commentaires éditoriaux formulés aux auteurs le 5 juin et le 12 novembre 2020
Contexte et problématique : Du fait de son ampleur et de sa brutalité, la pandémie COVID-19 interroge les facultés de médecine sur leur préparation et capacité à faire face efficacement à une crise sanitaire. Les leçons à en tirer et les opportunités à saisir pour renforcer la mission de responsabilité sociale des facultés de médecine sont explorées. Exégèse : La pandémie COVID-19 a eu un impact sur la formation médicale en perturbant fortement le fonctionnement académique, elle constitue néanmoins pour la faculté de médecine une opportunité unique dont les leçons doivent être tirées pour mieux se préparer à répondre aux prochains défis de santé, notamment par son anticipation, son engagement, sa solidarité et ses partenariats. Conclusion : La crise sanitaire COVID-19 constitue une expérimentation pour la préparation des équipes décanales, des enseignants, des chercheurs et des étudiants pour adopter une démarche partagée de responsabilité sociale.
Abstract
Context and background: Due to its magnitude and brutality, the COVID-19 pandemic questions medical schools about their preparation and capacity to effectively face a health crisis. The lessons to be learned and the opportunities to be seized to strengthen the social accountability mission of medical schools are explored. Analysis: The COVID-19 pandemic has had an impact on medical training by strongly disrupting academic functioning, it nevertheless constitutes for the faculty of medicine a unique opportunity from which the lessons must be learned to better prepare to respond to the next health challenges, in particular through its anticipation, its commitment, its solidarity and its partnerships. Conclusion: The COVID-19 health crisis is an experiment to prepare decanal teams, teachers, researchers and students to adopt a shared approach of social accountability.
Mots clés : responsabilité sociale / facultés de médecine / COVID-19
Key words: Social accountability / medical schools / COVID-19
© SIFEM, 2020
Introduction
En mandarin, le mot « crise » est constitué de deux idéogrammes signifiant « danger » et « opportunité ». À travers l’épreuve traversée par les systèmes de santé au cours de la pandémie à COVID-19, un double enjeu stratégique est apparu pour les facultés de médecine. Le premier est celui de l’adaptation de l’institution académique face à la crise pour la bonne continuité de l’année universitaire, complétée par l’adaptation des offres de formation pour remplir la mission éducationnelle. Le second enjeu est de saisir l’opportunité de mobiliser les ressources des facultés de médecine vers un renforcement de leur mission de responsabilité sociale.
Ainsi, cette pandémie à COVID-19 a conduit les facultés de médecine à examiner les deux questions stratégiques suivantes : comment adapter au mieux leur mission de formation ? Comment renforcer la politique de responsabilité sociale des facultés de médecine ?
Une adaptation de la mission de formation des facultés de médecine
Bien que l’urgence ait immédiatement porté sur les soins aux patients et aux communautés, la pandémie COVID-19 a eu un impact sur la formation médicale en perturbant fortement le fonctionnement académique [1]. Face au confinement, et devant l’impossibilité des étudiants de se rendre en stage et en cours, l’intégralité des programmes et de leur validation a basculé vers des dispositifs à distance. Cette démarche a permis dans l’immédiat d’éviter un arrêt de la formation. L’avenir dira la pertinence de ces adaptations par des évaluations appropriées ; dans l’immédiat l’année universitaire a été sauvée [2].
De même, l’enseignement pratique au « lit du malade » dans les terrains de stages a été très affecté, un grand nombre de facultés de médecine ayant opté pour la suspension des stages cliniques. Les raisons évoquées étaient liées au risque que les étudiants puissent propager le virus lorsqu’ils sont asymptomatiques, au manque de tests et d’équipement de protection individuelle adéquat et à la diminution des terrains de stage dans les hôpitaux, ces derniers ayant modifié leur offre de soins vers une prise en charge quasi-exclusive des patients infectés par le SARS-Cov-2 [1,2].
La pratique clinique des étudiants ainsi réduite, des initiatives novatrices ont été mises en œuvre, parfois de façon très ingénieuse pour pallier cette situation, telles que l’usage de techniques d’apprentissage en ligne basées sur des problèmes, des cas cliniques virtuels, ou encore l’implication des étudiants dans la télé-santé [3]. Chacun est conscient que rien ne pourra se substituer à la formation pratique dans les terrains de stage pour la formation de l’étudiant.
Des alternatives ont été développées selon les niveaux de disponibilité et de compétences des étudiants. Certains étudiants ont eu des démarches sociales communautaires vers des populations vulnérables (personnes âgées, personnes en situation de précarité, sans domicile fixe, etc.). Comme l’a rapporté un étudiant en médecine de l’Université de Montréal, « durant cette crise, nous avons compris que notre premier rôle n’était pas celui d’étudiant en médecine mais plutôt celui de citoyen mais c’est grâce à nos valeurs d’étudiants en médecine que nous avons pu réaliser de nombreuses initiatives citoyennes ». Certaines facultés ont accéléré le processus de formation en permettant à leurs étudiants de dernière année de médecine de travailler en tant que soignants dans les hôpitaux ou dans des structures de soins de première ligne.
Quelle place pour l’étudiant en médecine en pareilles circonstances ? Peut-être eût-il fallu donner aux étudiants l’opportunité d’utiliser leurs compétences, s’ils avaient davantage été formés aux soins de santé primaires pour y être utiles. On perçoit l’importance des changements à réaliser dans différents champs, tels la formation à la prise d’initiatives, le leadership et l’engagement social.
Un objectif fondamental de la formation médicale est d’aider les apprenants à forger leur propre identité professionnelle, souvent influencée par celle des enseignants [4]. Cette dimension d’identité professionnelle a sûrement été perturbée au cours de la crise sanitaire liée à la COVID-19. La perception des modifications liées à la crise, concernant l’engagement des enseignants, permettrait de comprendre leur propre influence sur l’identité professionnelle des étudiants.
Les leçons apprises durant la pandémie COVID-19 doivent être l’occasion de repenser et de réviser le profil du futur médecin pour adapter le contenu de sa formation et les approches pédagogiques à un contexte de crise.
Un renforcement de la responsabilité sociale des facultés de médecine
Cette crise sans précédent doit nous conduire à définir la contribution qu’une faculté de médecine doit être en mesure d’offrir à travers ses missions de formation, de recherche, de prestation de services et de collaboration avec les différents partenaires. Il s’agit de sa responsabilité sociale.
La responsabilité sociale encourage l’institution universitaire à recentrer ses programmes vers les besoins de la population pour montrer explicitement l’impact qu’elle pourrait avoir sur la population qu’elle dessert. Cette approche est fondée notamment sur un partenariat mutuellement bénéfique avec les acteurs clés : décideurs politiques, responsables de la santé, autres professionnels de santé et représentants de la société civile [5,6].Certaines facultés de médecine anglophones et francophones ont démontré leur engagement en obtenant la reconnaissance internationale ASPIRE [7] en responsabilité sociale. Cette reconnaissance reste exceptionnelle. Une explication serait que, historiquement, les facultés de médecine pourraient ne pas être suffisamment ouvertes sur les besoins de santé de la société [8]. La pandémie COVID 19 constitue pour la faculté de médecine une opportunité unique et une expérience dont les leçons doivent être tirées pour mieux se préparer à répondre aux prochains défis de santé, notamment par son anticipation, son engagement, sa solidarité et ses partenariats.
Anticipation
La pandémie de COVID-19 nous a pris au dépourvu. L’insuffisance de préparation et d’anticipation a rendu cette pandémie encore plus difficile à gérer. À l’avenir, comment l’institution académique prendra-t-elle part dans la prévention et la gestion d’une crise sanitaire et sociétale d’une telle intensité, qu’il soit infectieux ou d’une autre nature ? Elle le pourra en observant l’évolution de la société, en analysant et suivant mieux les déterminants de santé, en anticipant les changements à conduire dans le système de santé, avec une implication sur l’évolution de nos pratiques, tant comme professionnels de santé que comme citoyens. Ce faisant, elle contribuera à mieux identifier les priorités de santé de la société vis-à-vis d’une crise sanitaire. En sachant anticiper et adapter ainsi ses missions de formation, de recherche et de pratique des soins, elle affirmera sa responsabilité sociale.
Engagement
Lors de cette pandémie, des actions spontanées et solidaires ont été initiées confirmant l’engagement à servir, l’humanisme des professionnels de santé et des étudiants en santé en dépit des risques et contraintes [9]. La faculté de médecine devra dorénavant s’appuyer davantage sur son potentiel humain, très diversifié et « expert » (enseignants, chercheurs, étudiants, etc.) pour que tous participent activement, selon leurs compétences, à l’effort de toute une communauté, région ou pays. Cet engagement ne doit pas être réduit à un événement exceptionnel, tel que la pandémie actuelle, mais il doit être institutionnalisé en cohérence avec l’engagement de la faculté à prévenir les risques en santé.
Solidarité
Parmi les défis à relever est celui de la solidarité, plus spécifiquement l’équité en santé. La faculté de médecine doit y contribuer, notamment en intégrant plus de diversité sociale dans les critères d’admission aux études, en développant une stratégie territoriale en synergie avec d’autres acteurs de santé du territoire. Un autre grand défi est le renforcement des soins de santé primaires dans la gestion de pandémie. Ils sont le fondement de tout système de santé efficace, avec comme corollaire l’encouragement des diplômés à s’engager en soins de santé de première ligne, l’acquisition de compétences en santé publique, promotion de la santé, engagement communautaire et professionnalisme. La responsabilité sociale incite aussi la faculté à insister sur l’éthique professionnelle et des soins, le respect de la personne humaine, le travail interdisciplinaire pluri-professionnel, le leadership en santé [5].
Partenariat
Le partenariat est un marqueur important de responsabilité sociale, il est un élément clé pour un changement du système de santé [6]. Dans le cas de la pandémie actuelle et de toute autre crise sanitaire prochaine (infectieuse ou autre), telle que celle qui pourrait résulter de l’impact du changement climatique sur la santé, l’institution académique s’associera aux différents partenaires de santé dans son territoire, voire au-delà. Ce partenariat sera d’autant plus efficace qu’il aura été officiellement institué, signant un engagement institutionnel à être un acteur déterminé en faveur d’un système de santé efficace, équitable et pérenne.
Conclusion
Une des premières leçons apprises de la pandémie COVID-19 est qu’une faculté de médecine doit être mieux préparée pour faire face à de nouveaux et brutaux défis de santé. Cette pandémie a mis en évidence le potentiel que possède chaque faculté de médecine, notamment sa réactivité pour adapter ses missions dans des circonstances très particulières. Pour que cette disposition devienne pérenne et constitue une stratégie partagée de développement de l’institution, il conviendra que cette dernière examine comment optimiser son organisation et sa stratégie pour devenir plus « socialement responsable ». Elle pourrait s’appuyer sur l’ouverture d’un service spécifiquement dédié à promouvoir la politique de responsabilité sociale au sein de la faculté. La crise sanitaire COVID-19 nous offre une opportunité à saisir pour réfléchir à la future préparation des équipes décanales, des enseignants, des chercheurs et des étudiants pour adopter une démarche partagée de responsabilité sociale.
Contributions
Les différents auteurs ont contribué de façon solidaire à l’élaboration du manuscrit.
Liens d’intérêts
Aucun auteur ne déclare de conflit d’intérêts en lien avec le contenu de cette article.
Approbation éthique
Non sollicitée car sans objet.
Références
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- COVID-19: learning from experience. The Lancet 2020;395:1011. [CrossRef] [Google Scholar]
Citation de l’article : Maherzi A., Ladner J., de Rouffignac S., Boelen C., Sylla C., Gresenguet G., Dumas J.-L. Pandémie COVID-19 : le défi de la responsabilité sociale des facultés de médecine. Pédagogie Médicale 2020:21;195-198
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