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Numéro
Pédagogie Médicale
Volume 24, Numéro 2, 2023
Page(s) 129 - 133
Section Littérature Commentée
DOI https://doi.org/10.1051/pmed/2022043
Publié en ligne 22 février 2023

© SIFEM, 2023

Introduction

Il existe tout un panorama des approches concernant les dispositifs d’enseignement et d’apprentissage, depuis le cours ex cathedra jusqu’à l’apprentissage en ligne synchrone ou asynchrone, en passant par des activités en petits groupes ou en milieu clinique. On note également des activités mobilisant une approche interprofessionnelle ou impliquant les patients comme instructeurs. Cet article se focalise sur l’enseignement par les pairs, à un niveau prégradué (équivalent au cursus de formation générale de premier et deuxième cycle, ou au programme de licence – bachelier – et master, selon les dénominations utilisées dans différents pays), prenant avantage de récentes publications à ce sujet qui seront présentées et commentées.

L’apprentissage assisté par les pairs (peer-assisted learning) est prodigué par des personnes issues de groupes sociaux similaires qui ne sont pas des enseignants professionnels mais qui s’entraident pour apprendre, y compris en enseignant. Il s’agit d’un terme général englobant diverses méthodes d’enseignement et incluant également la notion d’apprentissage par les presque-pairs (neer-peer teaching), c’est-à-dire des étudiants de niveaux de formation différents, ou encore celle d’apprentissage entre pairs (peer-to-peer teaching) où des étudiants de même niveau assument indifféremment parfois le rôle de tuteur, parfois celui d’apprenant [1].

On retrouve dans diverses publications plusieurs exemples d’enseignement par les pairs, ce dans diverses disciplines et divers domaines [26] : médecine, éducation médicale, chirurgie dentaire, podologie, ou examens cliniques objectifs structurés (ECOS). Au-delà de ces rapports d’expériences ponctuelles, y a-t-il des données probantes d’efficacité de cette approche ?

Efficacité de l’enseignement par les pairs

Bien que ce type d’enseignement ait été utilisé dans l’enseignement universitaire depuis le début des années 1990, les recherches sur son impact se sont limitées à des études de perception et de suivi de courte durée. On note une amélioration de la confiance des étudiants et de la perception de leurs compétences. Une revue systématique de 2016 comparant des groupes d’étudiants entraînés par leurs pairs ou par les membres facultaires n’a pas mis en évidence de différences, mais l’approche par les pairs a été considérée comme une entité uniforme [7].

Brierley et al. [1] ont conduit récemment une revue systématique avec méta-analyse apportant des éléments nouveaux et utiles. Il s’agissait d’analyser des études randomisées sur l’efficacité de l’enseignement assisté par les pairs sur la performance académique d’étudiants en médecine. Ces études devaient offrir des mesures d’effets, indépendantes et objectives, utiliser un comparateur ou fournir des données quantitatives d’efficacité, et avoir été publiées dans des journaux à politique éditoriale.

Au total, 21 études ont ainsi été sélectionnées, dont la méta-analyse démontre une efficacité globale avec une taille modérée de l’effet à 0,52 (0,18–0,85). On note cependant une grande hétérogénéité entre les études (I2 = 93 %) avec un probable biais de publication.

On relève que l’efficacité est surtout présente durant des activités cliniques plutôt que précliniques, portant sur des habiletés pratiques plutôt que sur l’acquisition théorique. L’avantage semble se maintenir à échéance de quatre à six semaines mais l’effet à plus long terme reste à définir.

Les auteurs de ce travail suggèrent des pistes de recherche complémentaire, notamment sur les compétences pédagogiques des étudiants-enseignants, sur la manière de les améliorer, et sur l’impact du rôle d’étudiant-enseignant sur le propre développement des étudiants concernés.

Améliorer les compétences en enseignement des étudiants

Comme en réponse aux souhaits de recherche de l’étude d’efficacité, exposés plus haut, paraît quelques mois plus tard, en février 2022, une étude s’intéressant à définir les conditions et activités permettant d’« enseigner aux étudiants en médecine à enseigner » [8].

Les auteures sont respectivement une étudiante en quatrième année de médecine, une professeure en médecine et éducation des sciences de la santé, spécialiste de la formation continue et une professeure de pédiatrie, directrice de curriculum. Elles se sont attaché à répondre à la question suivante : comment préparer les étudiants à leur rôle d’enseignants dans le contexte d’approche par compétences. Il s’agit d’une revue narrative sur la formation des (presque)-pairs à devenir enseignants, portant sur des étudiants en médecine et décrivant les interventions et les formats d’apprentissage, les mesures d’évaluation des programmes selon le modèle de Kirkpatrick [9], et aboutissant à des recommandations éclairées pour les programmes de formation.

La revue porte sur 43 articles en anglais publiés entre 1985 et 2020 dans des journaux à politique éditoriale et abordant le thème de formations formelles des habiletés en enseignement d’étudiants en médecine. Sur ces 43 articles, 33 ont décrit et évalué leurs activités de formation.

Les auteures partent du constat que les étudiants sont souvent impliqués dans l’enseignement par les (presque)-pairs (67 % des étudiants dans une enquête internationale [10]), et qu’à l’ère de la formation par compétences et des activités professionnelles confiables (Entrustable Professional Activities – EPA), il devient crucial de consolider ces compétences, pour mieux assoir la continuité des formations pré-graduées et des formations post-graduées (ces dernières désignant les filières de formation spécialisée de troisième cycle ou de master spécialisé complémentaire, selon les dénominations utilisées dans différents pays), et l’implication fréquente des internes et résidents comme superviseurs.

Cependant, force est de constater que les étudiants-enseignants sont peu ou pas formés (32 % des étudiants dans une enquête internationale [10]) et qu’il s’agit le plus souvent de formations optionnelles (27/33 études de cette revue), courtes, ponctuelles (4/33 études rapportent un curriculum longitudinal de formation) et réservées aux étudiants senior (25/33 études). Plusieurs barrières peuvent limiter l’introduction de telles formations, notamment le manque de temps dans le curriculum ou la charge des membres facultaires, ainsi qu’un manque d’intérêt des décideurs, voire des étudiants, à ce type de formation.

Évaluation des activités de formation

La Figure 1 décrit l’évaluation des formations d’étudiants-enseignants selon les niveaux de Kirkpatrick, telle qu’elle est rapportée dans cette revue de Cohen portant sur 33 études [8]. L’apprentissage des étudiants (niveau 2) a été le plus fréquemment évalué. Leurs comportements (niveau 3), en lien avec leurs compétences d’étudiants-enseignants, sont évalués à l’aide d’exercices d’évaluation objective structurée de l’enseignement (Objective Structured Teaching Evaluation – OSTE), similaires aux examens cliniques objectifs structurés (ECOS) utilisés dans le cadre de l’évaluation des compétences cliniques. Il n’y a que très peu d’évaluations de résultats sur la performance des apprenants de ces étudiants-enseignants (niveau 4), et les deux études concernées ont des résultats contradictoires. Aucune étude n’a analysé l’impact de ces formations sur la capacité d’apprentissage des étudiants eux-mêmes.

thumbnail Figure 1

Effets de la participation des étudiants à des programmes de formation à l’enseignement, évalués dans 33 études ayant fait l’objet d’une revue narrative méthodique. D’après Cohen et al. [8]. OSTE : Objective structured teaching evaluation. Les niveaux font référence aux quatre niveaux d’évaluation de programmes de formation, tels qu’ils sont formalisés par l’échelle de Kirkpatrick [9].

Contenu des formations

Les contenus de formation se regroupent autour de trois thèmes clés : 1) fournir les principes de base de l’enseignement et de l’apprentissage ; 2) améliorer les compétences à enseigner dans divers contextes et formats ; 3) encourager une attitude positive face à l’enseignement et reconnaître l’importance du rôle d’enseignant.

Le Tableau I résume les contenus spécifiques prônés par divers organismes d’accréditation ou d’éducation médicale, et par les étudiants. On notera que les étudiants sont particulièrement sensibles à recevoir une formation sur l’animation de petits groupes, l’enseignement en milieu clinique, la rétro-action (feedback) et le mentorat.

Tableau I

Contenu et objectifs spécifiques des formations pour étudiants-enseignants. Modifié d’après Cohen et al. [8].

Dispositifs pédagogiques

La Figure 2 résume les dispositifs pédagogiques (d’enseignement et d’apprentissage) rapportés dans les 33 études analysées dans cette revue fournissant une information à cet égard. On note qu’ils sont variés et que l’immersion pratique avec opportunités de rétro-action est la plus fréquemment rapportée. Les étudiants plébiscitent une approche par l’expérience couplée à de la rétro-action par les membres facultaires, leurs pairs, ou leurs apprenants.

thumbnail Figure 2

Nombre d’études (sur 33) mentionnant les formats des dispositifs pédagogiques utilisés pour former des étudiants à l’enseignement. D’après la revue méthodique de Cohen et al. [8].

Méthodes d’évaluation des étudiants

Il semble qu’aucune étude n’ait spécifiquement évalué les meilleures pratiques pour évaluer les habiletés en enseignement des étudiants. Cependant, il est proposé d’utiliser des OSTE, une observation directe par des membres facultaires, ou une rétro-action par les apprenants de ces étudiants-enseignants. Une auto-réflexivité peut également compléter les approches possibles. Les étudiants semblent préférer une approche par observation directe et rétro-action.

Recommandations

À l’issue de leur revue, Cohen et al. [8] proposent une série de recommandations destinées aux institutions de formation.

Il convient tout d’abord d’instaurer des programmes de formation pour entraîner les étudiants-enseignant-es, en se fondant sur une approche par compétences, en lien avec des activités d’enseignement confiables (Entrustable Teaching Activities – ETA), à l’instar des EPA qui sont développées en formation clinique. Ces programmes devraient être obligatoires et inclus dans les critères d’accréditation.

Ces programmes devraient débuter tôt dans le curriculum et être organisés de manière progressive et longitudinale pour assurer un continuum entre les formations prégraduée et postgraduée.

Il s’agit également d’identifier les besoins du curriculum médical pour y intégrer ces programmes de manière coordonnée et pertinente.

Il faut offrir aux étudiants des opportunités pratiques authentiques et utiliser des formats d’enseignement interactifs.

Recherches futures

Il reste de l’espace pour conduire des recherches futures visant à mieux déterminer les meilleurs formats de formation et d’évaluation des étudiants auxquels devraient recourir de tels programmes, ainsi qu’à évaluer leur réel impact en pratique, à un niveau élevé sur l’échelle de Kirkpatrick.

Les aspects interprofessionnels et les approches concernant d’autres professions que la profession médicale sont également à évaluer.

Par ailleurs, il serait intéressant d’évaluer l’impact de ces enseignements sur la formation personnelle des étudiants-enseignant-es et sur leur propre développement comme étudiant-enseignant. En effet il semble que la participation des étudiants à des activités d’enseignement ou au curriculum soit à même de renforcer leur identité professionnelle, en renforçant un sentiment d’appartenance valorisée dans l’institution, en les motivant à apprendre et progresser, et en leur démontrant les diverses facettes de l’identité professionnelle, dont le besoin d’apprendre et de se former continuellement [11].

Conclusion

De plus en plus d’institutions prônent l’utilisation de référentiels de formation prégraduée par compétences – c’est notamment le cas du Référentiel de compétences pour les médecins CanMEDS développé par le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada –, qui enjoignent de préparer les médecins de demain en incluant les rôles d’enseignant, de mentor et de modèle de rôle professionnel.

Comme décrit dans cet article, des données existent sur l’intérêt de l’enseignement par les pairs et sur son efficacité. Des programmes de formation sont bien décrits, soulevant les caractéristiques souhaitables et aboutissant à un apprentissage efficace.

Dès lors, il est grand temps que nos institutions de formation s’impliquent pour mettre sur pied des programmes visant à (mieux) former nos étudiant-es à la pédagogie. Il en va de leur crédibilité et de la qualité de la formation de nos futurs professionnels.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

Contributions des auteurs

Mathieu Nendaz a sélectionné la thématique, a effectué une revue des écrits, en a fait une synthèse, et a rédigé le présent article.

Financement

Ces travaux de recherche n’ont fait l’objet d’aucun financement spécifique.

Approbation éthique

L’approbation éthique n’était pas requise.

Consentement éclairé

Cet article ne contient aucune étude impliquant des sujets humains.

Références

  1. Brierley C, Ellis L, Reid ER. Peer-assisted learning in medical education: A systematic review and meta-analysis. Med Educ 2022;56:365‐73. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
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Citation de l’article : Nendaz M. Apprentissage entre pairs : enseigner aux étudiants en médecine à enseigner. Pédagogie Médicale, 2023:24;129-133

Liste des tableaux

Tableau I

Contenu et objectifs spécifiques des formations pour étudiants-enseignants. Modifié d’après Cohen et al. [8].

Liste des figures

thumbnail Figure 1

Effets de la participation des étudiants à des programmes de formation à l’enseignement, évalués dans 33 études ayant fait l’objet d’une revue narrative méthodique. D’après Cohen et al. [8]. OSTE : Objective structured teaching evaluation. Les niveaux font référence aux quatre niveaux d’évaluation de programmes de formation, tels qu’ils sont formalisés par l’échelle de Kirkpatrick [9].

Dans le texte
thumbnail Figure 2

Nombre d’études (sur 33) mentionnant les formats des dispositifs pédagogiques utilisés pour former des étudiants à l’enseignement. D’après la revue méthodique de Cohen et al. [8].

Dans le texte

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