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Numéro
Pédagogie Médicale
Volume 23, Numéro 3, 2022
Page(s) 155 - 158
Section Concepts et Innovations
DOI https://doi.org/10.1051/pmed/2022029
Publié en ligne 6 décembre 2022

© SIFEM, 2022

Introduction

L’épidémie de nouveau coronavirus (SRAS-CoV-2) à l’origine de la crise sanitaire de Covid-19 a soudainement imposé aux institutions de formation en santé de mettre en place des plans de continuité pédagogique qui, le plus souvent, ont recouru aux ressources de l’enseignement à distance [1]. Animés par l’intention de ralentir la propagation de l’épidémie, plutôt que d’annuler leurs cours, de nombreux instructeurs ont fait en sorte de mettre à disposition les contenus didactiques et d’évaluer les apprentissages à distance en recourant aux dispositifs en ligne. Toutefois, les concepteurs de programmes d’études ont eu du mal à effectuer la transition rapidement [1].

Cela a notamment été le cas au Maroc, car cela a constitué un changement de méthode par rapport à nos dispositifs traditionnels d’enseignement en classe. Chacun des responsables concernés a dû informer ses apprenants dans les meilleurs délais de la procédure à suivre pour accéder à ces cours à distance et il a été nécessaire d’élaborer à cette fin des tutoriels afin qu’ils puissent accéder à distance à tous les cours déposés sur l’espace de stockage interne des différents établissements [2].

À partir de cette expérience, notre intention est d’effectuer l’inventaire des différents défis et contraintes vécu par les enseignants et les apprenants et de proposer quelques pistes de solutions pour y faire face, dans le contexte d’un pays en développement, en ayant à l’esprit que, lorsque la crise sanitaire aura été dépassée, certaines des habiletés et compétences développées lors de la mise en ligne des dispositifs pourraient s’avérer utiles pour améliorer l’enseignement et l’apprentissage dans les cadres traditionnels [2].

Quels sont les obstacles et défis de l’enseignement à distance ?

La transition de l’enseignement traditionnel vers l’enseignement en ligne n’est pas sans obstacle. Elle sollicite des habiletés et compétences nouvelles de la part des étudiants et des enseignants et les expose à des contraintes diverses, liées à la gestion du temps ou à des exigences spécifiques en termes d’infrastructures ; elle induit par ailleurs des difficultés de communication et, parfois, des attitudes négatives chez les différents acteurs [2].

Nécessité d’habiletés et de compétences nouvelles

Le manque de ressources nécessaires à l’exercice de certaines compétences, en particulier de capacités techniques, s’est avéré être l’un des obstacles rencontrés par les enseignants lorsqu’ils s’engagent dans l’élaboration et la mise en œuvre de l’apprentissage en ligne [3]. Des capacités insuffisantes en informatique et en dactylographie peuvent nuire à la volonté ou à la capacité de l’enseignant de participer au développement ou à l’utilisation de dispositifs d’enseignement et d’apprentissage en ligne, notamment si les infrastructures de l’institution sont en outre médiocres [4]

Une gestion du temps parfois plus difficile

Les enseignants en médecine sont régulièrement soumis à une pression importante pour dégager suffisamment de temps pour gérer l’enseignement, la recherche et maintenir un équilibre entre vie professionnelle et vie privée [5]. Dans ce contexte, si s’ajoutent de nouvelles contraintes liées à la maîtrise, au développement et à la mise en œuvre de dispositifs pédagogiques en ligne, la gestion du temps professionnel peut s’avérer plus difficile et devenir un obstacle important au développement des activités concernées.

Des difficultés liées à une infrastructure sous-optimale

Des déficits concernant l’infrastructure et les ressources technologiques qui sont nécessaires pour la mise en œuvre des plates-formes informatiques peuvent constituer des obstacles sérieux au développement de l’enseignement médical en ligne ; les difficultés sont souvent accrues dans les pays à revenus faibles ou moyens [6].

Du matériel ou des logiciels informatiques personnels inadéquats, ainsi qu’un accès internet lent ou indisponible à la maison ou au travail, sont ainsi la source de problèmes techniques qui sont en outre aggravés en cas d’habiletés informatiques et dactylographiques insuffisantes [4]. De telles difficultés ont été bien identifiées par Attardi et Rogers comme constituant un obstacle pour la diffusion en direct des présentations dans leur institution au Canada [7]. Elles peuvent devenir bien plus difficiles à surmonter dans les pays à faible revenu, comme l’ont documenté Bediang et al. au Cameroun [6] ou encore Lakbala en Iran [8].

Dans notre contexte Marocain, les difficultés observées lors du déploiement de l’enseignement à distance au cours de la pandémie de Covid-19 concernaient essentiellement la pauvre connectivité internet, qui entravait à la fois la diffusion en ligne des cours par les enseignants et l’accès à ceux-ci par les étudiants.

Une communication plus pauvre

L’environnement créé par les dispositifs d’enseignement à distance présente des défis pour communiquer clairement, collaborer, partager et établir des relations. Pour certains étudiants le manque d’interactions en face à face entrave l’établissement des relations, avec en conséquence des difficultés induites pour l’apprentissage, l’exécution des taches et une diminution de la satisfaction [9].

Au-delà des difficultés de communication interpersonnelle lors des activés d’enseignement à distance, on observe également que la transposition en ligne des activités induit des difficultés de communication institutionnelle, entre les divers acteurs et les différents départements, ce qui est perçu comme un obstacle [2].

Des attitudes négatives envers les innovations technologiques

L’attitude négative des enseignants face aux nouvelles technologies et outils peut être considérée comme un obstacle au développement et à la mise en œuvre de l’apprentissage en ligne. Des enseignants ont noté qu’ils se sentaient dépassés par l’ensemble du processus de recours aux nouveaux outils [10] et qu’ils avaient peu de patience pour résoudre des problèmes techniques [11].

Le sentiment d’insuffisance des enseignants, découlant d’une connaissance limitée d’un outil particulier, peut influencer l’attitude de certains enseignants lorsqu’on leur demande de s’engager à mettre en œuvre et à développer des pratiques pédagogiques en ligne [2].

Comment faciliter le développement et l’utilisation de dispositifs en ligne ?

Plusieurs articles dans la littérature pédagogique proposent des solutions afin de surmonter les obstacles que comporte le développement d’un environnement d’enseignement et d’apprentissage en ligne. La majorité des solutions se concentrent sur la manière d’optimiser la gestion du temps, de faciliter le travail en équipe, tandis que les autres préoccupations concernent l’amélioration des compétences en informatique, en assurant un équipement informatique adéquat à domicile et l’accès à l’internet et en favorisant une attitude positive.

Améliorer les compétences technologiques

Il est nécessaire de maîtriser tout un répertoire d’habiletés et capacités pour être en mesure de s’engager dans le développement et l’utilisation des dispositifs pédagogiques en ligne [3].

Perlman et al. [12] soulignent l’importance de fournir aux enseignants les compétences nécessaires, notamment par le biais d’une formation sur l’utilisation du portfolio électronique.

Les étudiants actuels appartiennent à la génération dite Z et préfèrent une plus grande intégration technologique dans les espaces d’apprentissage que les générations précédentes ; ils espèrent utiliser leurs compétences pour développer des moyens en utilisant des approches entrepreneuriales et technologiques. Toutefois, en dépit de la grande maîtrise « spontanée » des outils numériques de l’information et de la communication que démontrent les étudiants de cette génération, Dyrbye [5] suggère d’améliorer leurs compétences informatiques, par exemple, en exploitant des tutoriels en ligne, avec l’appui de services spécialisés d’assistance numérique.

Faciliter la gestion du temps

Sous certaines conditions, liées à la maîtrise des habiletés et capacités concernées, l’adoption d’outils numériques peut libérer du temps pour les enseignants [2]. Certains recommandent, lorsqu’il est demandé aux enseignants de consacrer du temps au développement ou à la mise en œuvre de dispositifs en ligne, de mettre en place un « mécanisme formel de récompense et de reconnaissance des efforts des enseignants », qui peut prendre la forme de plages de temps protégées [4].

Concernant les étudiants, ils s’accommodent davantage de la nécessité de réserver du temps pour faire le travail en ligne. Pour les y encourager, une recommandation typique est la suivante : « Identifiez des plages de temps en dehors de votre journée (comme vous le feriez à l’issue d’un enseignement en face à face) pour vous engager sur le média en ligne afin de compléter les travaux de cours ou de participer à des discussions en ligne ». Leur charge de travail peut être réduite en fournissant aux étudiants des consignes explicites : indications écrites concernant certaines activités multitâches (par exemple, lire et prendre des notes pendant les présentations), limitation de la longueur des réponses, répartition des tâches et délimitation des durées à respecter par chacun des membres du groupe, formulation d’attentes personnelles réalistes [4].

Optimiser les coûts

Maloney et al. [13] fournissent des arguments issus d’études de rentabilité économique qui documentent le profit apporté par des dispositifs en ligne par rapport à un enseignement traditionnel en face à face, le seuil de rentabilité étant atteignable avec un nombre d’inscriptions plus faible. Bien que la pertinence d’une transposition de cette analyse aux études médicales soit questionnable, son mérite est de suggérer que sous réserve d’infrastructures adéquates, le coût de la mise en place de dispositifs en ligne peut s’avérer être une solution potentielle plutôt qu’un obstacle.

On souligne aussi que le soutien matériel des étudiants peut s’avérer primordial pour qu’ils puissent acquérir du bon matériel, des logiciels informatiques et obtenir chez eux une connexion internet de rapidité suffisante.

Mettre en place des stratégies et des soutiens institutionnels

Promouvoir les pratiques collaboratives

Bediang et al. [6] ont constaté que l’une des stratégies les plus efficientes pour mener à bien la mise en œuvre de dispositifs pédagogiques en ligne est d’inclure tous les acteurs et départements concernés au sein d’une faculté et d’adopter de nouvelles approches pour faciliter la collaboration. Ils ont spécifiquement souligné la nécessité que des mécanismes appropriés de mutualisation permettent que les responsables des dispositifs en ligne puissent disposer de ressources humaines qualifiées et spécialisées et bénéficier des ressources financières et que toutes les parties prenantes reçoivent un soutien adapté à leurs besoins. Perlman et al. [4] soulignent le caractère impératif d’un tel soutien institutionnel au corps enseignant pour qu’il puisse continuer à participer au développement des programmes en ligne et à leur pérennisation.

Favoriser des attitudes positives chez les enseignants et chez les étudiants

Le maintien d’une attitude positive de la communauté enseignante à l’égard des exigences requises pour le développement et l’utilisation des dispositifs en lignes doit être explicitement soutenu et valorisé par l’institution ; il doit également s’inscrire dans la durée [4].

Concernant les étudiants, un tel objectif peut être favorisé en organisant des modalités de travail d’équipe : désignation des chefs de groupe, établissement de règles de base pour les activités partagées et pour la discussion en ligne [14].

Conclusion

L’implantation de dispositifs pédagogiques en ligne a connu un essor inédit à l’occasion de la crise sanitaire lié à la pandémie de Covid-19. Au-delà des nécessités contingentes visant à assurer la continuité pédagogique en période de confinement, des réflexions sont en cours quant la pertinence qu’il y aurait à pérenniser de tels dispositifs, en complément ou en substitution des dispositifs traditionnels en présence.

Il est donc essentiel que les responsables et les enseignants des institutions de formation médicale, ainsi que ceux des organismes de formation continue, mettent en place de façon méthodique des retours d’expérience concernant les dispositifs en ligne, de manière à identifier les conditions facilitant leur succès et leur pérennité, et à anticiper les solutions possibles pour faire face aux obstacles et difficultés qui peuvent être rencontrés. Il en va de la capacité des enseignants et des étudiants d’être mieux préparés aux défis de l’ère numérique.

Contributions

Les deux auteurs ont contribué solidairement à l’élaboration de cet article.

Liens d’intérêts

Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêt en lien avec le contenu de cet article.

Approbation éthique

Non sollicitée car sans objet.

Références

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Citation de l’article : Chakiri R, Wakrim S. Difficultés et pistes de solutions pour l’enseignement médical à distance au cours de la pandémie Covid-19 dans un pays en voie de développement. Pédagogie Médicale 2022:23;155-158

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