Numéro |
Pédagogie Médicale
Volume 23, Numéro 2, 2022
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Page(s) | 131 - 133 | |
Section | Concepts et Innovations | |
DOI | https://doi.org/10.1051/pmed/2022005 | |
Publié en ligne | 2 août 2022 |
Former et évaluer par concordance : des modalités éducatives complémentaires☆
Learning and assessing by concordance: complementary educational devices
1 Faculté de médecine, Université de Montréal, Montréal, Canada
2 Centre de pédagogie appliquée aux sciences de la santé (CPASS), Université de Montréal, Montréal, Canada
* Correspondance et offprints : Bernard CHARLIN, Faculté de médecine, Université de Montréal, Pavillon Roger-Gaudry, 2900 Boulevard Édouard Montpetit, H3T 1J4 Montréal (Québec), Canada. Mailto : bernard.charlin@umontreal.ca.
Reçu :
15
Décembre
2021
commentaires éditoriaux formulés aux auteurs le 4 février 2022
Accepté :
5
Février
2022
Contexte et problématique : Les évaluations et les formations par concordance sont deux modalités éducatives qui reposent sur un cadre conceptuel commun illustré par la façon de poser les questions qui est commune à l’une et l’autre. Exégèse : Cette tribune plaide pour dire qu’il s’agit d’un couple dont les deux composantes sont optimisées si elles sont utilisées l’une et l’autre et qu’il est illogique de mettre en place le volet évaluation sans faire percevoir aux étudiants préalablement l’utilité du volet formation pour les faire progresser dans leur raisonnement. Enfin, la place que tient l’incertitude en matière de formation et évaluation par concordance est analysée.
Abstract
Background and context: Learning and assessing by concordance are two educational modalities that share a common conceptual framework. Analysis: This contribution argues that the two components are optimized if used together and that it is illogical to implement the assessment component without first making students see the usefulness of the training component in advancing their thinking. Finally, the role of uncertainty in learning and assessing by concordance is analyzed.
Mots clés : concordance / formation par concordance / test de concordance de script
Key words: concordance / learning by concordance / script concordance test
Ce texte a été élaboré à partir d’une conférence plénière prononcée dans le cadre de la session conjointe organisée sous l’égide de la Société francophone de simulation en santé (SoFraSimS) et de la Société internationale francophone d’éducation médicale (SIFEM), lors du Congrès de la SoFraSimS, qui s’est tenu à Rouen les 23 et 24 juin 2021.
© SIFEM, 2022
Contexte et problématique
Les formations et évaluations par concordance sont conceptuellement ancrées dans les sciences cognitives. Elles reposent sur la théorie des scripts [1]. Le terme de script désigne l’organisation en mémoire à long terme des connaissances sur lesquelles s’appuient les processus du raisonnement clinique. Cette théorie implique que le raisonnement tel qu’il est développé au cours de l’exercice professionnel sollicite un traitement actif et constant de données, incluant une génération d’hypothèses (ou d’options d’intervention), l’activation des connaissances liées à ces hypothèses et la comparaison des attentes incorporées dans les scripts avec les données de la situation. De multiples micro-jugements sont ainsi posés en permanence par le clinicien, visant à examiner si les données trouvées dans la situation renforcent ou affaiblissent les hypothèses présentes.
La théorie des scripts a conduit à la conception d’un instrument d’évaluation du raisonnement qui détermine la qualité de ces micro-jugements [2]. Appelé « test de concordance de script (TCS) », son principe consiste à placer l’apprenant dans des situations cliniques simulées, authentiquement rencontrées en clinique, décrites en de courtes vignettes. Des hypothèses sont ensuite proposées, suivies par la présentation de nouvelles données. La tâche de l’apprenant est de porter un jugement sur l’impact qu’a la nouvelle donnée sur l’hypothèse proposée. Pour tenir compte de l’incertitude inhérente à la situation décrite, les réponses sont comparées à celles qu’ont données les membres d’un panel de cliniciens expérimentés. Dans le contexte des tests par concordance, un score est attribué aux réponses des apprenants, qui est fonction du nombre de membres du panel qui ont répondu comme eux. L’évaluation par concordance (le TCS) est une modalité éducative qui a fait l’objet de multiples études et qui est de plus en plus utilisée, comme en témoigne la contribution de Sibert, publiée dans ce numéro.
La formation par concordance : un élargissement de l’exploitation pédagogique de la notion de concordance
Les technologies de l’information permettent d’aller au-delà de la seule fourniture de tels scores, en offrant la possibilité de donner de surcroît une rétroaction détaillée, immédiate et automatisée. En l’occurrence, elles ont été exploitées de manière que, en soumettant leur réponse, les apprenants aient accès : 1) à l’indication de la position de leur réponse par rapport à celles qu’ont données les experts ; 2) aux justifications que les experts ont données à leurs réponses et : 3) à un message de synthèse complété, au besoin, par des hyperliens donnant accès à des ressources supplémentaires. La possibilité d’introduire du matériel multimédia (tracés, sons, vidéo) peut également enrichir la mise en situation professionnelle. Ce faisant, grâce de telles rétroactions, on transforme un système d’évaluation en un système de formation puissant qui amène les participants (étudiants, résidents ou professionnels en exercice) à réfléchir sur leur pratique future ou actuelle. Cette modalité de formation centrée sur l’apprenant le place en contexte professionnel et l’invite à exercer son raisonnement sur des tâches cognitives authentiquement rencontrées dans la pratique.
La formation par concordance (FpC) constitue une modalité éducative d’apparition beaucoup plus récente que le TCS [3,4], qui s’avère utile à de multiples niveaux d’enseignement : de la formation initiale préclinique à l’enseignement continu en sciences de la santé et dans tout domaine professionnel [5]. L’ajout à la plateforme numérique d’apprentissage Moodle de plugiciels (dénomination québécoise) ou de modules d’extension (dénomination française), c’est-à-dire de logiciels utilitaires qui associent de nouvelles fonctions à un logiciel d’application, permet d’automatiser les tâches de production et d’administration des FpC tout en facilitant leur diffusion dans les contextes académiques.
Dans une démarche didactique raisonnée, l’évaluation du raisonnement clinique par TCS aurait une valeur écologique plus élevée si les apprenants avaient été formés selon une approche pédagogique similaire. Les arguments en faveur de cette logique sont que : 1) la nature et le format communs des tâches de raisonnement proposées assurent l’alignement pédagogique entre l’enseignement et l’évaluation et : 2) les inférences d’évaluation des résultats de TCS reflètent un raisonnement clinique mobilisé sur le long terme, bien avant l’administration du test. Autrement dit, avoir eu maintes opportunités d’apprendre à raisonner par concordance constitue un gage de robustesse des résultats obtenu de l’évaluation du raisonnement par concordance.
L’activité mentale réalisée en répondant à un TCS atteint deux buts fondamentaux : 1) corriger et/combler les lacunes dans les connaissances ou les liens entre elles en mémoire à long terme et : 2) renforcer positivement le raisonnement qui donne les résultats souhaités. Ces tâches contribuent à l’apprentissage en profondeur. En activant ses scripts et en réalisant les micro-jugements, l’apprenant développe, enrichit, modifie ses scripts [6]. Il génère l’habitude réflexive. Cette habitude ne peut se générer seulement au moment de l’évaluation. Il convient que cette habitude réflexive ait eu l’occasion de s’ancrer et devenir une disposition naturelle de l’apprenant, ce qui rendrait son évaluation d’autant plus valide et fiable.
Trois sources constitutives des situations d’incertitude
Il est parfois affirmé qu’en formation initiale les étudiants ne seraient pas assez avancés pour pouvoir raisonner en contexte d’incertitude. Pour terminer cette tribune, nous aimerions clarifier ce que recouvre cette incertitude, en rappelant notamment qu’elle peut résulter de trois sources.
La première découle de la situation décrite. Elle est de même nature que celle rencontrée dans les activités cliniques pour réaliser un diagnostic différentiel, ou pour déterminer une investigation et un traitement. Dans une formation/évaluation par concordance, la situation recrée délibérément cette incertitude rencontrée en clinique. Cette source d’incertitude est donc toujours présente.
Une deuxième source dépend, quant à elle, des connaissances des apprenants. À cet égard, il est possible, par exemple, d’utiliser le format pédagogique d’une FpC avec des étudiants novices pour les amener à appliquer, en contexte clinique simulé, des connaissances récemment acquises [3]. À ce stade, les étudiants apprennent à mobiliser, en situation de résolution de problème, des connaissances encore mal intégrées.
Enfin, une troisième source d’incertitude est liée à la complexité de la tâche de raisonnement. C’est par exemple le cas lorsqu’on s’adresse à des résidents seniors ou à des professionnels en exercice. La réflexion concerne alors des situations dans lesquelles il n’y a pas toujours des données probantes applicables. L’interprétation variable des données se voit reflétée dans les nuances de raisonnement entre les membres du panel.
En conclusion, l’incertitude étant toujours présente dans les formations ou évaluations par concordance, il est nécessaire d’avoir conscience de ses différentes sources afin de prendre en compte les caractéristiques des apprenants dans la construction de ces formations.
Contributions
Les deux auteurs ont contribué solidairement à l’élaboration de cet article.
Approbation éthique
Non sollicitée car sans objet.
Liens d’intérêts
Bernard Charlin est le créateur des concepts de test de concordance de script et de formation par concordance. Il agit parfois comme consultant auprès de firmes privées ou d’institutions d’enseignement qui réalisent des formations par concordance. Nicolas Fernandez n’a pas de conflit d’intérêt à signaler en lien avec le contenu de cet article.
Références
- Charlin B, Tardif J, Boshuizen HP. Scripts and medical diagnostic knowledge: Theory and applications for clinical reasoning instruction and research. Acad Med 2000;75:182‐190. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Charlin B, Roy L, Brailovsky C, Goulet F, van der Vleuten C. The Script Concordance test: A tool to assess the reflective clinician. Teach Learn Med 2000;12:189‐95. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Fernandez N, Foucault A, Dubé S, Robert D, Lafond C, Vincent AM, et al. Learning-by-Concordance (LbC): Introducing undergraduate students to the complexity and uncertainty of clinical practice. Can Med Educ J 2016;7:e104‐e113. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Charlin B, Deschênes M-F, Fernandez. Learning by concordance (LbC) to develop professional reasoning skills: AMEE Guide No. 141. Med Teach 2021;43:614‐21. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
- Deschênes M-F. Enseigner en ligne en exploitant le questionnement par concordance. Prof-Web – Ressources numériques et pratiques pédagogiques inspirantes, 2021 [On-line]. Disponible sur : https://www.profweb.ca/publications/dossiers/enseigner-en-ligne-en-exploitant-le-questionnement-par-concordance. [Google Scholar]
- Lubarsky S, Dory V, Audétat MC, Custers E, Charlin B. Using script theory to cultivate illness script formation and clinical reasoning in health professions education. Can Med Educ J 2015;6(2):e61‐e70. [CrossRef] [Google Scholar]
Citation de l’article: Charlin B, Fernandez N. Former et évaluer par concordance : des modalités éducatives complémentaires. Pédagogie Médicale, https://doi.org/10.1051/pmed/2022005
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