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Numéro
Pédagogie Médicale
Volume 21, Numéro 4, 2020
Page(s) 215 - 217
Section Communication brève
DOI https://doi.org/10.1051/pmed/2020051
Publié en ligne 8 décembre 2020

Contexte

La pandémie du COVID-19 a changé notre rapport au temps, au travail, aux relations sociales et nos contributions à titre de citoyens engagés. Ces changements mettent en lumière la capacité d’adaptation des êtres humains, la capacité des organisations de transformer l’inertie en énergie créatrice et de rendre soudainement possible tout ce qui était impensable il y a à peine quelques semaines. La crise devient pour ainsi dire un puissant levier de changements, certains irréversibles.

L’enseignement à l’Université de Montréal n’échappe pas à cette réalité. Les patients partenaires au profil formateur (patients formateurs) de la Direction collaboration et partenariat patient (DCPP) de la Faculté de médecine de l’Université de Montréal ont démontré cette capacité à s’adapter au changement en mobilisant leurs compétences et leurs savoirs issus de la vie avec la maladie différemment en temps de pandémie. Les patients formateurs sont habituellement recrutés et formés selon le référentiels de compétences des patients formateurs [1] pour agir à titre de co-animateurs avec un professionnel de la santé dans des ateliers en présence de groupes de 10 étudiants, chacun d’eux provenant des 13 programmes d’études des sciences de la santé et psychosociales de l’Université de Montréal (audiologie, ergothérapie, kinésiologie, médecine, médecine dentaire, nutrition, optométrie, orthophonie, pharmacie, physiothérapie, psychologie, sciences infirmières, travail social). L’atelier interprogrammes représente le troisième et dernier volet en présence des cours de collaboration en sciences de la santé (CSS). Les modules en ligne et le travail collaboratif virtuel sont les deux autres volets de ces cours [2,3].

Problématique

L’activité interprogrammes du cours CSS2900 incluait en temps pré-COVID un volet en présence qui mobilise simultanément 1400 étudiants de deuxième année en sciences de la santé et psychosociales en 140 groupes de 10 étudiants. Chaque groupe combine deux équipes interdisciplinaires de cinq étudiants, ayant co-développé préalablement une situation clinique. Ceux-ci sont attitrés à un tandem de co-animateurs, composé d’un patient formateur et d’un professionnel de la santé. Cent soixante formateurs (80 patients et 80 professionnels) sont donc mobilisés à chaque fois que l’activité interprogrammes a lieu. Il s’agit pour le patient formateur de témoigner de son parcours de soins et de partager les savoirs qu’il cumule à partir de cette expérience de vie avec la maladie, durant des échanges avec les étudiants autour d’une étude de cas. Les discussions tournent autour des différentes perspectives de la relation thérapeutique, la place du patient dans la planification et la mise en œuvre des soins et services sociaux, les rôles des différents intervenants, la prise de décision partagée et la complémentarité des expertises scientifiques (celle des professionnels de la santé) et expérientielles (celle des patients) [4].

Le défi de transférer l’ensemble des contenus des cours universitaires vers des plateformes numériques a été relevé par l’Université de Montréal. Toutefois, l’atelier interprogrammes CSS posait un défi particulier, puisque son succès pédagogique repose sur des interactions en présence. De plus, la plupart des co-animateurs professionnels de la santé étaient indisponibles, puisqu’ils étaient appelés dans les établissements de santé pour aider à la gestion de la crise de la COVID-19. L’atelier interprogrammes CSS2900 étant obligatoire dans le cursus des étudiants et devant avoir lieu au début du confinement, une solution rapide s’imposait.

Ce que nous avons fait

Le comité de gestion des cours CSS, incluant des membres de la DCPP, a réussi en un délai de deux semaines à transformer l’atelier en présence en une version en ligne. À l’origine, les équipes interdisciplinaires de cinq étudiants devaient créer une vignette de deux pages, illustrant les besoins d’un patient nécessitant des interventions interdisciplinaires et le partenariat patient. Celle-ci devait être présentée aux co-animateurs et inclure des éléments relevant des compétences de travail d’équipe et de prévention des conflits, ainsi que deux objectifs de soins. Dans la nouvelle version de l’atelier, un travail collaboratif écrit plus substantiel a été exigé, notamment par l’ajout d’une question sur l’importance de la collaboration interprofessionnelle en temps de pandémie. Les patients formateurs ont effectué une rétroaction écrite sur ces travaux, à partir de laquelle chaque étudiant devait individuellement suggérer une amélioration au travail.

Les 280 travaux écrits ont été extraits de la plateforme du cours en ligne (StudiUM) et distribués à 27 patients formateurs expérimentés, sollicités et formés par la DCPP pour l’activité. Le rôle des patients formateurs était de lire et de rétroagir sur les éléments d’interdisciplinarité et de partenariat avec le patient [5], décrits dans la vignette, ainsi que sur la qualité (pertinence, faisabilité, etc.) des objectifs de soins identifiés par les étudiants. Une grille de rétroaction était fournie aux patients formateurs pour la portion des objectifs de soins, et une rétroaction de 250 à 500 mots était rédigée par les patients pour chacune des vignettes. Chaque patient formateur s’est vu attribuer entre huit et dix vignettes et avait un délai de sept jours pour compléter cette tâche. Après avoir reçu la rétroaction et les pistes de réflexion fournies par les patients formateurs, chaque étudiant, de façon individuelle, clôturait le travail d’équipe en apportant une proposition concrète d’amélioration de leur vignette sous forme d’un texte d’environ 250 mots.

Les patients formateurs, normalement formés pour une intervention en présence et en coanimation, ont été sollicités pour une contribution par écrit sur des travaux d’étudiants. Pour la première fois dans l’histoire des cours CSS, les patients formateurs ont donc contribué à l’apprentissage des étudiants de manière individuelle et autonome. Un encadrement supplémentaire a été mis en place par la DCPP et le Comité interfacultaire opérationnel (CIO-UdeM) pour accompagner les patients formateurs dans la mobilisation de leurs savoirs, afin de les aider à bien cerner le contexte pédagogique, les objectifs d’apprentissage des étudiants et produire des rétroactions ciblées. Cet encadrement a pris la forme de deux rencontres d’une heure en visioconférence : la première pour fournir l’information nécessaire avant le début de l’activité et la seconde pour répondre aux questions et préoccupations que pouvaient avoir les patients formateurs durant l’activité. Trois patients coordonnateurs employés à temps plein par la DCPP étaient également disponibles pour répondre aux questions des patients formateurs en tout temps.

Ce que nous avons observé

Les compétences technologiques des patients formateurs sont devenues un critère d’inclusion pour leur participation à cette activité. Alors qu’en contexte normal, la capacité à se déplacer sur les lieux d’enseignement était un critère nécessaire, en plus de posséder les compétences de base des patients partenaires [1], les compétences numériques ont pris de l’importance dans ce contexte d’enseignement à distance. L’accès à un ordinateur à la maison, l’accès personnel à un réseau Internet fiable, la capacité d’utiliser les plateformes de téléconférence telles que ZOOM, ainsi que les connaissances de base d’un logiciel de traitement de texte, tel que Word, sont tous devenus essentiels. Les patients formateurs détenant ces compétences numériques et ayant une forte expérience préalable des cours CSS ont été privilégiés.

Les 27 patients formateurs se sont rapidement adaptés à cette nouvelle forme d’implication. Les commentaires des patients formateurs à la suite de cette innovation font part de leur appréciation augmentée des savoirs expérientiels qu’ils détiennent et de leur capacité à mobiliser ces savoirs dans des contextes pédagogiques variés. Les patients rapportent aussi un sentiment de responsabilité accru, du fait qu’ils étaient seuls à rétroagir sur les travaux des étudiants. Finalement, ils ont rapporté une meilleure compréhension du niveau d’apprentissage et d’intégration des connaissances des étudiants en lien avec la collaboration interprofessionnelle en partenariat patient.

Les améliorations apportées aux vignettes et les commentaires préliminaires des étudiants suite aux rétroactions des patients formateurs suggèrent une appréciation de cette forme de contribution par les patients.

Points forts et points faibles

Les points forts de ce remaniement pédagogique résident dans l’agilité à produire une activité pédagogique en ligne qui respecte entièrement les objectifs de développement des compétences des étudiants. Ceci nous a permis de découvrir un nouveau levier pédagogique permettant aux étudiants de développer leurs compétences, soit la rétroaction écrite par des patients partenaires formés à cet effet.

Le point faible réside dans un critère d’exclusion des patients partenaires qui seraient freinés par un manque d’accès à la technologie (ordinateur et Internet) et par un manque de compétence en lien avec celle-ci (manipulation de fichiers Word, mode commentaires et envoi de pièces jointes). Ce critère d’exclusion imposé par l’urgence du changement de l’activité pédagogique prive les étudiants d’un accès au savoir expérientiel de certains patients partenaires au profil formateur.

Conclusion

La crise du COVID-19 a forcé le CIO-UdeM et la DCPP à s’adapter rapidement à des circonstances exceptionnelles. Ceci a donné naissance à une nouvelle activité pédagogique qui présente possiblement certains avantages, notamment pédagogiques et logistiques, sur l’activité CSS originale, ainsi que des désavantages (par exemple, un niveau d’interaction moins élevé entre les étudiants de différentes disciplines, l’absence de contact physique avec le patient formateur et l’absence du professionnel de la santé formateur).

Néanmoins, la rétroaction écrite des patients partenaires sur les travaux des étudiants représente une nouvelle forme d’implication des patients formateurs à l’Université de Montréal, qui pourrait être maintenue après la crise et mobilisée dans plusieurs autres activités pédagogiques en sciences de la santé et psychosociales.

Références

  1. Flora L. Le savoir des malades à travers un référentiel de compétences « patient » utilisé en éducation médicale. La Recherche en éducation 2016;16:59‐75. [Google Scholar]
  2. Vanier MC, Therriault PY, Lebel P, Nolin F, Lefebvre H, Brault I et al. Innovating in teaching collaborative practice with a large student cohort at Université de Montréal. J Allied Health 2013;42:97e‐106e. [Google Scholar]
  3. Raynault A, Lebel P, Brault I, Vanier MC, Flora L. How interprofessional teams of students mobilized collaborative practice competencies and the patient partnership approach in a hybrid IPE course. J Interprofessional Care 2020:1‐12. [CrossRef] [Google Scholar]
  4. Karazivan P, Dumez V, Flora L, Pomey MP, Del Grande C, Ghadiri DP et al. The patient-as-partner approach in health care: a conceptual framework for a necessary transition. Acad Med 2015;90:437‐41 [Google Scholar]
  5. Pomey M-P, Flora L, Karazivan P, Dumez V, Lebel P, Vanier M, et al. Le « Montreal Model » : enjeux du partenariat relationnel entre patients et professionnels de la santé. Santé Publique 2015;S1(HS):41‐50. [Google Scholar]

Citation de l’article : Descôteaux A., Jackson M., Vanier M.-C. Quand les patients formateurs prennent le relais : transfert d’ateliers sur la collaboration interprofessionnelle en ligne en temps de COVID-19. Pédagogie Médicale 2020:21;215-217


© SIFEM, 2020

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