Numéro |
Pédagogie Médicale
Volume 23, Numéro 3, 2022
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Page(s) | 145 - 150 | |
Section | Recherche et Perspectives | |
DOI | https://doi.org/10.1051/pmed/2022028 | |
Publié en ligne | 12 octobre 2022 |
Un appel à volontaires en contexte de pandémie de Covid-19 en école de médecine. Rite de passage pour des étudiants de médecine de deuxième année
A call for volunteers in the context of Covid-19 pandemic in medical school. Rite of passage for second-year medical students
1
Cabinet de médecine générale, 3 rue de Wattignies, Paris, France
2
Laboratoire ATLANS, 5 rue de Surène, Paris, France
3
Groupe de recherche sur l’explicitation (GREX), 9 rue Saint-Amand, Paris, France
* Correspondance et offprints : Jean-Marc JOSSET, 9 rue Édouard-Vaillant, 94120 Fontenay-sous-Bois, France. Mailto : jm.josset@atlans.eu.
Reçu :
15
Janvier
2021
Commentaires éditoriaux formulés aux auteurs le 20 juin et le 8 septembre 2022
Accepté :
8
Septembre
2022
Contexte et problématique : Pendant la première vague de la pandémie de la Covid-19, des étudiants de médecine de deuxième année ont été sollicités pour aider des services de santé débordés. Bien que peu ou pas formés à ce stade, la plupart se sont engagés après un processus de décision. Objectif : Éclairer les processus implicites sous-jacents à la décision des étudiants de répondre à l’appel à volontariat. Méthodes : Six entrevues répondant aux principes de l’entretien d’explicitation ont été conduites auprès d’un échantillon de disponibilité d’étudiants de deuxième année d’une faculté de médecine française. Les verbatim des entrevues ont été analysés en lien avec le modèle conceptuel élaboré par l’ethnologue et folkloriste van Gennep concernant les « rites de passages ». Résultats : L’analyse effectuée révèle que l’appel à volontariat a suscité chez les étudiants des réactions en lien avec la construction de leur identité de (futur) médecin. À l’instar de ce qui est observé dans les processus en jeu dans les rites de passage, elle souligne la coupure avec le milieu antérieur (familial, amical), l’importance des modèles-guides et de la confraternité qui sont déjà à l’œuvre. Bien qu’il s’agisse d’une étude exploratoire, basée sur un évènement particulier et un échantillon réduit, nos observations rejoignent celles d’autres travaux plus significatifs mais portant sur une phase plus avancée de la formation des futurs médecins.
Abstract
Context and background: During the first wave of the Covid-19 pandemic, second-year medical students were asked to help overwhelmed health services. Although little or no training at this stage, most have signed up after a decision-making process. Objective: To illuminate the implicit processes underlying the students’ decision to respond to the call for volunteering. Methods: Six interviews were conducted with a sample of second-year students from a French medical school according to the explicitation interview principles. The verbatim were analyzed in relation to the conceptual framework developed by the ethnologist and folklorist van Gennep concerning the “rites of passage”. Results: The analysis reveals that the call for volunteers elicited reactions from the students in relation to the construction of their identity as (future) physicians. As with the processes involved in the rites of passage, it emphasizes the break with the previous environment (family, friends), the importance of role models and the confraternity that are already at work. Although this is an exploratory study, based on a particular event and a small sample, our observations are in line with those of other more significant studies, but relating to a more advanced phase of the training of future doctors.
Mots clés : engagement / rites de passage / Covid / étudiants / micro-phénoménologie
Key words: commitment / rites of passage / Covid / students / micro-phenomenology
© SIFEM, 2022
Introduction
En avril 2020, au plus fort de la pandémie du Coronavirus, des étudiants en deuxième année d’études de médecine ont reçu par courriel un appel à volontariat. Cet évènement dans l’évènement les a conduits à s’interroger et à mettre en balance, respectivement, leur envie d’aider et leur sécurité personnelle, leur détermination et leurs compétences encore limitées.
À l’occasion de discussions à la sortie de cours, nous avons été surpris de constater que des jeunes étudiants, dont la formation commence à peine, étaient prêts à assumer des responsabilités pour lesquelles ils ne disposaient pas encore des compétences adéquates, et qu’ils allaient même jusqu’à ressentir de la culpabilité à l’idée de ne pas intervenir.
Nous avions déjà abordé le sujet de l’injonction faite au médecin de toujours répondre présent dans une étude sur la classique apostrophe : « Y a-t-il un médecin dans la salle ? » [1]. Mais il s’agissait alors de médecins en exercice, « chevronnés » pour la plupart, avec une formation complète et des années de pratique. Après quelques discussions avec des étudiants de l’Université Paris-Sorbonne, nous avons décidé de formaliser nos observations par une étude exploratoire ayant pour objectif de tenter de répondre à deux questions : 1) ce besoin d’engagement observé chez les étudiants était-il le même que celui observé chez les médecins chevronnés ? 2) quelle est la nature de ce qui les avait amenés à se retrouver dans cette posture ?
Méthodes
Recueil des données
Entre le 20 mai et le 7 juin 2020, nous avons interrogé des étudiants en médecine de deuxième année d’une faculté de médecine française. Ces étudiants ont été recrutés, soit par connaissance directe, soit par un message envoyé sur une liste de diffusion de la messagerie de l’université.
Ces entretiens ont été effectués en recourant à la méthode de l’entretien d’explicitation du psychologue Pierre Vermersh [2] (pour plus d’informations cf. : http://grex2.com), qui vise à favoriser la description du vécu des personnes interrogées. Concrètement, six entretiens complets ont été enregistrés (audio-vidéos) et ont fait l’objet de retranscriptions textuelles.
Analyse des données
L’analyse des verbatims a été effectuée en procédant à une codification selon une méthode mixte qui a permis de catégoriser les éléments des récits.
Nous avons effectué une première analyse inductive en distinguant seulement diachronie (enchaînements narratifs) et synchronie (description des moments et représentations). Cette première étape a fait apparaître une structure commune que nous avons assez rapidement identifiée, en lien avec le modèle conceptuel élaboré par van Gennep concernant les « rites de passages » [3], aux étapes (préliminaires, liminaires, post-liminaires) et aux éléments des expériences initiatiques (monde antérieur, monde de la marge, monde sacré, monde tabou, gardien du seuil, communauté des novices, rites d’apprentissage, admission).
Le modèle du « rite de passage » de van Gennep permet de rendre compte du processus selon lequel, tel que le formule Lempp, « les étudiants qui rentrent en médecine sont comme des étrangers passant du monde réel à un monde mystérieux » [4]. Le fait que des études supérieures aient une dimension rituelle et que celle-ci participe à la construction d’identités sociales a déjà été relevé par des sociologues comme Bourdieu qui évoque à ce propos des « rites d’institutions ». On retrouve ce vocabulaire ethnologique dans plusieurs travaux sur les études de médecine que nous citons plus loin, mais de manière ponctuelle. Van Gennep [3] s’est attaché à montrer ce que différents rites de passages pouvaient avoir en commun. Il distingue ainsi trois phases communes à tous les rites de passage : tout d’abord, les rites préliminaires dont le rôle est de séparer le novice de son ancien statut, d’abandonner son monde d’origine ; en deuxième lieu, les rites liminaires, du monde de la marge où se déroule l’apprentissage qui permet à l’initié d’acquérir un nouveau statut et de rejoindre enfin un nouveau groupe dans le monde du post-liminaire (troisième phase).
Au regard de ce cadre conceptuel, nous avons procédé à une deuxième analyse interprétative des récits, de type inductif, en catégorisant les propos des verbatims selon les deux premières étapes du modèle, en lien avec tout ce qu’il décrit en termes de processus, de rôles et d’attitudes.
Résultats
Les résultats sont présentés selon les catégories thématiques identifiées à partir du modèle de van Gennep. Les prénoms des étudiants ont été changés et chaque citation est identifiée par un pseudonyme.
Les rites préliminaires : l’abandon du monde d’avant
Pour van Gennep, « le premier acte est une séparation d’avec le milieu antérieur, monde des femmes et des enfants ; le passé doit être séparé de lui par un intervalle qu’il ne pourra jamais repasser » [3]. L’initiation qu’il décrit n’est pas une évolution mais une tabula rasa, un abandon définitif du passé, de manière à se rendre disponible à de nouvelles connaissances. Comme le dit une étudiante (Narjisse) :
Une fois que je suis inscrite, je suis inscrite. Je ne peux pas revenir en arrière, je ne peux pas après dire : « bah non, je le fais pas finalement ».
L’habitation, le foyer
La première séparation c’est bien de « partir de chez soi » (expression utilisée à plusieurs reprises). Les étudiants interrogés qui vivent encore avec leurs parents sont préoccupés par le risque de contamination, aggravé pour certains par des fragilités dans leur entourage : asthme, hypertension, diabète… Cela nécessite parfois de déménager comme le mentionne Natalia :
Du coup ça impliquait qu’il fallait que je trouve un logement, un logement sur Paris ou quelqu’un pour m’héberger… je commence à faire des recherches pour savoir si je peux trouver un logement rapidement.
Les parents
Van Gennep indique que « le lien du novice avec sa mère dure parfois quelque temps ; mais il arrive toujours un moment où il est, par un procédé viciant ou paraissant tel, séparé définitivement de sa mère, qui souvent le pleure » [3].
Ainsi, la plupart des étudiants expriment le besoin de s’extraire de la protection parentale, souvent identifiée comme maternelle. On peut aussi remarquer que pour tous l’avis parental est soit utilisé pour conforter une opinion déjà établie, soit recueilli par politesse. En ce sens, l’émancipation est déjà effectuée et la décision est prise en dehors de l’influence parentale. C’est ainsi que Bérénice, par exemple, choisit d’en parler à celui de ses parents qui ira dans le sens qui lui convient :
J’ai senti sa réaction et en fait je savais qu’elle allait plus me faire pencher vers le non, que vers le oui. Et qu’elle allait moins être impartiale par rapport à ma décision… alors je suis allée parler à papa.
Le cas de Noémie est révélateur du cheminement intérieur qui va de l’hésitation à l’engagement. Dans un premier temps, le refus net de sa mère la soulage car il lui évite d’avoir à prendre une décision par elle-même.
J’ai peur, du coup j’ai pas envie d’y aller… Ensuite j’en parle avec ma mère… Ma mère elle a toujours très peur donc en fait sa première réaction c’était : « est-ce que c’est obligatoire ou est-ce que c’est sur le volontariat ? »... Et je lui ai dit que c’était ceux qui étaient volontaires et là sa première réaction ça a été « ah, ouf ! Du coup tu ne vas pas y aller. » du coup ça… ça enlève un peu de culpabilité.
Mais par la suite, quand Noémie se convainc qu’elle « doit » participer, l’appui de sa mère devient une barrière dont elle doit s’affranchir.
Son avis n’a pas changé et du coup, ça a éclaté en dispute en fait : elle me dit « mais ce n’est pas possible, tu ne peux pas y aller, nous on est vulnérables » et moi qui me dit : « là vraiment si j’ai fait des études de médecine, c’est pour ça ! C’est pour pouvoir aider les gens… »
Les amis « qui ne font pas médecine »
La distinction entre « nous » et les « autres » est souvent exprimée dans les entretiens et, pour plusieurs personnes interrogées, révélée par la manière de se positionner par rapport à la situation. Certains amis non médecins héroïsent déjà ceux qui font médecine, les envient parfois de pouvoir faire quelque chose, ou bien simplement sont inquiets pour eux. Mais, quelles que soient les réactions, on retrouve cette distance nouvelle manifestée par Igor :
Je sais plus quand c’était exactement, mais sur un groupe d’amis que j’ai depuis assez longtemps dont mon meilleur ami d’enfance (…) de toute façon on sentait, effectivement, ce ne sont pas des personnes qui sont dans ce milieu-là… et donc y avait un regard vraiment extérieur, et donc en fait ils avaient conscience du fait qu’ils ne connaissaient pas exactement la situation et que ce qu’ils en voyaient était pas forcément la réalité.
Les rites liminaires : les mondes de la marge
Van Gennep précise ce qu’il entend par « marge » : « Le novice flotte entre deux mondes. C’est cette situation que je désigne du nom de marge » [3]. Dans cette perspective, l’apprentissage se déroule dans des lieux spéciaux, à l’écart du monde ordinaire, c’est là que le novice doit se reconstruire avec des rites et des codes qui au début lui paraissent indéchiffrables et incompréhensibles. À cette étape de l’initiation, van Gennep distingue deux types de lieux : les lieux sacrés, propices au développement, et les lieux tabous, dangereux pour le novice, le gardien du seuil étant garant de la distinction entre les deux.
Le monde sacré : l’hôpital
Le « monde sacré » pour le jeune étudiant en médecine, c’est l’hôpital, à la fois attirant et effrayant au début et dont il faut découvrir le fonctionnement et les règles pour y trouver sa place. Il y a plusieurs raisons à cette ambivalence vis-à-vis de l’hôpital. Tout d’abord, il s’agit pour la plupart d’un monde inconnu.
En même temps, une peur générale de me retrouver d’un seul coup au milieu de l’hôpital où au final, à part au début de l’année, j’ai eu un stage de deux semaines, avec les infirmières, à part ça je ne suis jamais allée à l’hôpital de ma vie… (Bérénice)
Ensuite, il y a un enjeu fort pour l’étudiant de médecine qui a déjà compris que son attitude, ses actions à l’hôpital pouvaient décider de la suite de sa formation, permettre d’obtenir ou pas les « bon stages », de se faire bien voir. Comme le dit encore Bérénice :
Enfin au final c’est un milieu fermé. On a cours à l’hôpital et on va finir en gros notre vie à l’hôpital. Enfin pas forcément tous, mais la plupart des gens et peut-être moi aussi. Donc je me dis en fait… enfin… j’avais l’impression du coup d’être dans un milieu très fermé et où peut-être que si quelque chose que tu faisais maintenant… bah y aurait les répercussions après, quoi.
Le monde tabou : les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD)
Après un flou initial, la faculté déconseille aux étudiants d’aller dans les EHPAD en évoquant plusieurs raisons : le risque de contamination d’abord (manque de moyens de protection), la confrontation à des expériences « traumatisantes » et le manque d’encadrement pédagogique. Ces points sont abondamment discutés dans les entretiens, par exemple par Igor :
On a reçu un mail du doyen disant qu’il ne signerait pas de convention pour aller travailler dans des EHPAD pour plusieurs raisons ; premièrement parce qu’y avait un risque réel de contamination, qu’il n’y avait pas assez de moyens ou de matériel et aussi parce qu’on ne serait pas encadrés… Et pour reprendre les mots exacts du mail je crois que c’était « j’ai eu vent d’expériences traumatisantes »... j’ai pu voir des témoignages d’étudiants qui se sont retrouvés face à des personnes décédées à devoir mettre dans des sacs… des choses qui sont extrêmement difficiles et auxquelles ils n’étaient pas préparés…
Le gardien du seuil : le doyen bienveillant
Pour van Gennep, le gardien du seuil est « [celui auquel] s’adressent les prières et les sacrifices : c’est une puissance individualisée qui assure le passage » [3].
Entre deux mondes, l’étudiant sait qu’il ne peut plus s’appuyer sur ce qui a fait son succès jusque-là, mais il ne maîtrise pas encore les codes du monde suivant. Il lui faut donc s’en remettre à l’autorité qui explique, traduit et facilite le passage. Le doyen est ici une figure présente et éloignée, dont l’intervention est rare, mais c’est ce qui en fait la force comme l’expliquent Igor et Bérénice en parlant des courriels envoyés directement par celui-ci.
C’était la clarification de quelque chose qu’on attendait… c’était même assez bienveillant dans le sens où… en tout cas comme je l’ai interprété. (Igor)
D’habitude, ce n’est jamais le doyen qui nous envoie les mails directement (…) et du coup c’est plus proche là le fait que ce soit le doyen qui prenne une telle position, c’était plus… enfin ça faisait plus officiel, comme si c’était une décision plus grave. J’ai trouvé que le mail il était… enfin fort, je ne sais pas comment dire… il prenait une décision appuyée. Du coup je me suis dit : ils font plus attention aux étudiants… à… pas vraiment à notre bien-être, mais quand même un peu. (Bérénice)
La communauté des « novices »
Contrairement aux amis qui ne font pas médecine ou aux parents, deux catégories « disqualifiées » pour la prise de décision, les condisciples ont une réelle influence sur les jeunes étudiants. Celle-ci s’exprime de plusieurs manières. Tout d’abord, le groupe rassure : on n’est pas tout seul, on a quelqu’un à qui parler et qui comprend, qui « connaît la situation ». Ensuite, c’est une communauté qui peut aider, en soulevant des points auxquels on n’a pas pensé, en offrant des solutions ou en ouvrant la voie. Enfin, c’est un groupe, avec des effets de conformisme qui favorisent le choix de la majorité, ou celui de modèles. Citons deux exemples dans les récits de Narjisse et Karine :
On reçoit tous les mêmes mails en même temps… et donc dès qu’on reçoit un mail, il y a quelqu’un qui envoie un message sur le groupe : « vous avez vu ? vous allez faire quoi ? »... Et de savoir qu’y avait des gens qui allaient le faire sans avoir toutes les informations ça rajoute un peu le stress parce que j’me disais « c’est… une opportunité, faut pas que je passe à côté ».
J’ai d’autres amis à qui en parler parce que, même si j’étais excitée, y avait quand même un peu de stress derrière vu que c’était une situation nouvelle : est-ce qu’on pouvait vraiment aider ? Du coup ça faisait du bien d’en parler avec des gens. Et puis de savoir que Narjisse, Natalia et tout, elles étaient aussi prêtes à y aller ; je n’étais pas toute seule ! Par exemple on ferait la formation à plusieurs, enfin c’était quand même agréable d’être à plusieurs dans ce cas-là.
Rites liminaires : l’apprentissage des codes
Saisir les opportunités
Les étudiants ont déjà intégré la difficulté de se positionner à l’hôpital, entre un statut évolutif et des compétences pas encore acquises. Toute opportunité doit être saisie pour trouver les clés de cette intégration, quelles que soient les taches demandées, comme l’expliquent Noémie et Karine.
Qu’est-ce qu’on peut faire ? On n’a pas du tout de compétences ! Enfin à part… oui bon… aide-soignant, on peut au moins servir les repas.
Je vais passer du temps à l’hôpital, je vais voir plus comment ça marche. Je vais forcément tirer une expérience de tout ça. C’est important quand même de voir comment ces gens-là travaillent, surtout si on veut travailler à l’hôpital c’est bien de savoir comment tout le service fonctionne.
Répondre toujours présent, démontrer son engagement
Même si le médecin essaye d’anticiper, en se formant, en se préparant, il doit admettre qu’il ne sera jamais tout à fait prêt... et que pourtant, il doit toujours répondre « présent » à l’appel. Cet « atavisme » souvent relevé avec fatalisme par des médecins chevronnés est déjà intégré par ces jeunes étudiants qui sont au début de leurs études. Comme l’expriment Narjisse et Natalia :
C’était un peu stressant qu’on nous le propose, il fallait que j’y aille alors que j’avais vraiment zéro information. Je suis quelqu’un qui se questionne beaucoup de base et alors là, c’était le flou total. Mais même si c’est un peu stressant et que c’est un peu l’inconnu… faut tenter quoi.
On allait dans tous les cas, plus tard dans notre métier être réquisitionnables à n’importe quel moment, donc je me suis dit « bah ça commence dès la deuxième année donc, tant mieux ! ».
L’admission : la prise de conscience que « avant de l’être on l’est déjà »
Hubert et Mauss soulignent que « le nouveau magicien met quelque temps à se convaincre qu’il a bien réellement subi les aventures dont la tradition impose d’ailleurs l’image à son rêve... » [5]. Tout au long de cette étude, nous avons souvent relevé l’ambivalence des étudiants face aux compétences qu’ils n’ont pas encore et l’identité de médecin, « l’essence du truc », qui les définit déjà. Comment donc définir cette essence ? Ce qui apparaît de manière unanime c’est l’aptitude à toujours répondre présent ou du moins à ressentir chaque fois ce besoin. Cette composante identitaire est de fait déjà présente dès la deuxième année. Comme le disent Karine et Natalia :
Je trouvais ça bien qu’on nous appelle nous, même si on était vraiment les petits dans toute la chaîne de la médecine… on pouvait peut-être quand même aider quelque part … et que si on avait choisi de faire médecine c’était pour ça… c’était bien de nous appeler.
Ça nous fait sentir un peu plus « personnel soignant » que simples étudiants. À la fin, on sera médecins, donc, du coup, il faut que nous aussi on puisse mettre nôtre… enfin, apporter « notre pierre » à l’édifice en essayant d’aider et soulager, même si on n’a pas vraiment des grandes capacités pour l’instant mais bon... toujours aider, oui, aider et soulager.
Discussion
Rappelons d’abord le caractère exploratoire et limité de cette étude : notre objectif n’était pas de relever des invariants ou des caractéristiques générales de l’éducation des étudiants de médecine, mais bien d’interroger des témoignages de vécus singuliers et situés, dans ce moment particulier que fut la première vague de l’épidémie de Covid-19 et de ses variants. La méthode de conduite d’entretien choisie, « l’entretien d’explicitation », avait pour objectif d’éclairer l’implicite d’une situation.
La particularité de ces témoignages est qu’il s’agit de voix d’étudiants de médecine au tout début de leur apprentissage. La plupart des points que nous avons évoqués dans nos résultats ont déjà été relevés dans la littérature, mais en les situant plus tardivement dans leur cursus, plutôt lors de la période de l’internat.
Dans ce qui est considéré à la fois comme un classique de la sociologie et une des premières études qualitatives sur les études médicales, Becker et al. [6] ont identifié une difficulté dans les premières années à concilier le rôle de futur médecin « idéalisé » avec celui de l’étudiant qu’ils sont encore. Ils notent que les étudiants passent par un nécessaire « changement de perspective » mais sans en détailler le processus.
Godeau, dans son ouvrage « L’Esprit de corps » [7], a elle aussi comparé les études de médecine à un rite de passage, en prenant au sérieux « l’esprit carabin » et en démontrant la part active et nécessaire. Mais son travail ciblait plus précisément l’internat entre le « baptême » et « l’enterrement ». Nous découvrons ici que cette « formation symbolique » (pour reprendre les termes de l’auteur) est déjà à l’œuvre dès les premières années.
Les entretiens réalisés par la sociologue britannique Lempp [8] avec des étudiants de première et deuxième années mettent l’accent sur la difficile rupture avec leur identité antérieure, mais aussi sur leur difficile positionnement à l’hôpital.
Conclusion
L’appel au volontariat lancé vers les étudiants de médecine de deuxième année pour aider des services de santé débordés au cours de la première vague de la pandémie de la Covid-19 a suscité chez eux des réactions qui révèlent des processus implicites en lien avec la construction de leur identité de (futur) médecin. En analysant leurs témoignages dans la perspective d’une analogie avec les rites de passages, nous avons documenté que cette identité était déjà beaucoup plus avancée que ce que d’autres études semblaient indiquer. Notre enquête a permis de relever l’importance de la séparation d’une perspective antérieure pour les étudiants, cette rupture étant surtout manifeste dans leurs rapports familiaux et amicaux. Comme pour leurs aînés, pour ces jeunes étudiants, cet appel au volontariat a été l’occasion de constater qu’il n’y avait pas possibilité de s’y dérober. Comme le disait Bérénice : « Comme si c’était l’essence du truc et que tout le monde allait se porter volontaire dans un élan. »
Contributions
Cet article est le résultat d’un travail collectif des trois auteurs aussi bien pour la conduite des entretiens, le travail de codification et d’interprétation, que la rédaction et les corrections. Les auteurs remercient le rédacteur en chef pour la relecture pertinente et bienveillante du manuscrit original.
Liens d’intérêts
Les auteurs ne déclarent aucun conflit d’intérêts en lien avec le contenu de cet article.
Approbation éthique
Non sollicitée car sans objet.
Références
- Pâme P, Josset J. L’épuisement de la volonté de bien faire chez les médecins. Y a-t-il un médecin dans la salle ? Médecine 2018;14:134‐138. [Google Scholar]
- Vermersch P. L’entretien d’explicitation (9e éd.). Paris : ESF, 2019 [1re éd. 1994]. [Google Scholar]
- Van Gennep A. Les rites de passage. Étude systématique des rites. Paris : Picard, 2000 [1re éd. 1909]. [Google Scholar]
- Lempp H. Medical school culture. In: Handbook of the Sociology of Medical Education. Routledge, 2009 71‐90. [Google Scholar]
- Hubert H, Mauss M. Esquisse d’une théorie générale de la magie : l’origine des pouvoirs magiques dans les sociétés australiennes. Paris : Presses universitaires de France, 2019. [Google Scholar]
- Becker HS, Geer B, Hughes EC, Strauss AL. Boys in white. Student culture in medical school. Chicago: University of Chicago Press, 1961. [Google Scholar]
- Godeau E. « L’Esprit de corps ». Sexe et mort dans la formation des internes en médecine. Paris : Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2007. [Google Scholar]
- Lempp H. The hidden curriculum in undergraduate medical education: qualitative study of medical students’ perceptions of teaching. BMJ 2004;329:770‐773. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
Citation de l’article : Pâme P, Cazemajou A, Josset J-M. Un appel à volontaires en contexte de pandémie de Covid-19 en école de médecine. Rite de passage pour des étudiants de médecine de deuxième année. Pédagogie Médicale 2022:23;145-150
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