Numéro |
Pédagogie Médicale
Volume 22, Numéro 1, 2021
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Page(s) | 27 - 32 | |
Section | Concepts et innovations | |
DOI | https://doi.org/10.1051/pmed/2020060 | |
Publié en ligne | 2 avril 2021 |
Former les professionnels de santé aux « outils pour le care »
Educating health care professionals on “tools for care”
Université Caen Normandie, Équipe d’accueil EA7454 Centre interdisciplinaire de recherche normand en éducation et formation (CIRNEF),
Caen, France
* Correspondance et offprints : Marc Bailleul, 17 Rue des six acres, 14610 Cambes en Plaine, France. Mailto : bailleul.marc@neuf.fr.
Reçu :
29
Juin
2020
Accepté :
23
Novembre
2020
Commentaires éditoriaux formulés à l’auteur le 20 octobre et le 23 novembre 2020
Contexte : Dans le cadre de l’interrogation de plus en plus grande sur l’importance à donner aux humanités dans les formations des professionnels de santé, pourquoi ne pas entrer par une question « pratique », celle des « outils pour le care » ? But : Poser quelques principes pour l’élaboration d’un cahier des charges pour une formation à ces outils. Méthode : Mettre à l’épreuve les principes en imaginant des modalités de réalisation. Résultats et conclusion : Un exemple de scénario de formation est exposé et des pistes d’actions et de nouvelles interrogations sont discutées.
Abstract
Context: In the context of the growing questioning of the importance to be given to the humanities in the training of health professionals, why not enter with a “practical” question, that of “tools for care”? Purpose: To lay down a few principles for the development of specifications for training in these tools. Method: Test the principles by imagining methods of implementation. Results and conclusion: An example of a training scenario is given and avenues for action and new questions are discussed.
Mots clés : formation / professionnels de santé / humanités / outils pour le care
Key words: training / health professionals / humanities / tools for care
© SIFEM, 2021
Introduction
Depuis la fin de la première décennie 2000, on peut constater l’émergence d’une dynamique internationale visant à la redéfinition des normes professionnelles en vigueur dans le monde de la santé, devant des attentes sociales et politiques en évolution, liées en particulier à la montée en puissance des démarches « compétences » et « qualité » dans l’ensemble de la société. Dans ce contexte, les institutions de formation des personnels de santé, dont les facultés de médecine, repensent leurs offres de formation et surtout les modalités d’évaluation qu’elles mettent en œuvre.
De la responsabilité sociale des facultés de médecine
La Société internationale francophone d’éducation médicale (SIFEM) accompagne ce mouvement et il est tout à fait révélateur de noter l’évolution du nom du groupe de travail dédié à cette question. Le groupe « Santé et Société », créé en 2007 [1], est ainsi devenu plus tard le groupe « Responsabilité sociale des facultés de médecine » [2]. Parallèlement, un groupe « Éthique des curriculums de formation en santé » [3] s’est donné comme objectif de « contribuer au questionnement et à la reformulation des fondements épistémologiques et méthodologiques des dispositifs et activités d’enseignement et d’apprentissage dans le cadre des études en santé, plus particulièrement, des études médicales. »
Ce groupe a d’ailleurs rédigé en 2018 un texte fondateur et ambitieux [4], dans le contexte de la réorganisation, en France, du cursus de formation des médecins avec la suppression du concours avec numerus clausus à l’issue de la première année d’études. Ce texte est fondateur car il ancre la réflexion nécessaire à la redéfinition des cursus dans une triple interrogation : « 1) le questionnement ontologique (quelle est la nature de ce qui est à connaître ou de ce dont il s’agit de rendre compte ?) ; 2) le questionnement épistémologique (quelle est la nature de la relation entre le sujet connaissant et l’objet à connaître ou à caractériser ?) ; 3) le questionnement méthodologique (quels moyens faut-il mettre en œuvre pour expliciter ou opérationnaliser l’objet concerné ?). » [4] (p. 129–130). En revendiquant la mise en œuvre de « processus transformationnels et démocratiques, favorisant une participation et une représentativité interdisciplinaires et interprofessionnelles » (p. 133), ce texte est aussi ambitieux car il s’inscrit en décalage par rapport aux pratiques de formation actuellement en place.
La philosophie est évoquée dans ce texte comme une des disciplines qu’il est possible de convoquer « pour penser la complexité de ce que recouvre l’“agir-en-santé” » (p. 133), au moment où cette discipline renouvelle son questionnement relativement à la médecine.
Selon Lefève, « à l’instar des éthiques du care, la philosophie du soin médical prescrit l’attention à la singularité des patients et de leur situation, et l’accès sensible, dans tous les sens du terme, à leur parole, leur corps et leur expérience. » [5] (p. 200). On peut entendre là un écho aux auteurs évoqués plus haut qui proposent une pensée sur les éthiques du curriculum au regard d’une perspective de « l’agir en santé » déplorant l’orientation trop importante vers la rationalité des savoirs scientifiques mis en avant pendant la formation médicale, « au détriment de la nature informe de l’expérience, telle qu’elle se révèle dans l’“extra-quotidienneté” que constituent la singularité et la corporalité désarmantes du patient. » [4] (p. 131). Comment alors expliquer que l’approche du care ne soit pas mentionnée, à défaut d’être mobilisée, dans cette tribune ? Ce courant de pensée, présent dans de nombreux pays autour du globe depuis près de 40 ans, nous semble pouvoir constituer un terrain susceptible de donner un sens global et partagé à la formation des personnels de santé.
En effet, nous ne pouvons que constater avec Pelaccia que « le moment est venu de prendre conscience que quelque chose ne va pas. » [6]. De plus, il y a, concernant la place à donner aux formations en sciences humaines et sociales, un véritable « défi » à relever comme le suggèrent Gaillard et Lechopier [7]. Le care, en tant qu’il est, pour Tronto, « à la fois une pratique et une disposition » [8], est, de notre point de vue, une voie / voix possible pour repenser la place des humanités dans les cursus de formation des personnels de santé, question soulevée par Fleury, Berthelier et Nasr [9].
Objectif
L’objectif de la présente contribution est de faire des propositions pour l’élaboration de dispositifs de formation en lien avec la perspective du care.
Penser des dispositifs de formation en lien avec la perspective du care
Cadre(s) conceptuel(s)
Quand Tourette-Turgis et Tocqueville [10] se demandent si le care peut être considéré comme un outil pour repenser l’urgence sociale, cette notion est, pour Fleury [11], au fondement du sanitaire et du social. Nous pensons que l’éthique du care telle que l’aborde Brugère [12] constitue aussi un espace fertile pour construire chez les étudiants à la fois des savoirs, des habiletés et surtout des rapports au(x) savoir(s) et à l’autre, aux autres (patients, autres soignants, proches aidants), donnant du sens à leur(s) future(s) pratique(s). En référence à la catégorisation de André [13], nous ne nous situons, ici, ni dans une approche psychologique ni dans une approche politique du care mais plutôt dans une dynamique éducative, étant confronté d’emblée à l’épineuse question des modalités d’enseignement et d’apprentissage à proposer aux apprenants, comme nous l’avons été dans le contexte des apprentissages disciplinaires scolaires [14] : faut-il « parler du care », « montrer le care », « faire vivre le care » ? Et bien sûr, comment ?
Le care permet-il de penser, voire oblige-t-il à penser ensemble, ou au moins dans une même logique, la situation professionnelle et la situation d’enseignement et d’apprentissage, prenant cette dernière comme objet, comme semble nous y inviter Gaudry-Muller [15] ?
Nous choisissons la notion d’« outils pour le care » que nous avons proposée avec Marie-Bailleul [16] pour aborder la question de la formation. Nous les avons définis comme des dispositifs répondant aux trois critères suivants :
-
rendre capacitaires les acteurs concernés ;
-
produire, dans la mesure du possible, des externalités positives (des impacts positifs extra-financiers) ; ces deux premiers critères sont empruntés à Fleury et Fenoglio [17] ;
-
être intentionnellement porteur de « bienveillance dispositive », notion empruntée à Belin [18].
Pour définir la « bienveillance dispositive », Belin précise : « La différence essentielle, radicale, que présente notre concept par rapport aux approches classiques et moralisantes de la bienveillance, est que celle-ci ne nous apparaît pas comme le résultat d’une conduite ou d’une posture humaines, mais au contraire comme une caractéristique descriptive d’un environnement. » (p. 256). « Ce que nous voulons dire par là, c’est qu’il est tout à fait possible d’envisager la bienveillance du milieu, non comme une projection dans les objets et les paysages de caractéristiques intrinsèques de la relation humaine, mais au contraire, comme le point où s’initie l’ouverture et la reconnaissance de l’autre [...]. Plutôt que d’opposer la bienveillance dispositive et la bienveillance relationnelle, de les superposer l’une à l’autre comme deux strates, il nous semble bien plus fécond d’y voir un continuum de situations possibles, les unes construites surtout sur la coprésence et le langage, et les autres, surtout sur la disposition. » (p. 257) [18].
Nous avons montré [16], avec Marie-Bailleul, que le dispositif « Aloïs en Photonésie », décrit brièvement plus bas, implanté à l’Unité cognitivo-comportementale (UCC) L’Odyssée de l’hôpital de Dax, répondait aux trois critères permettant de le caractériser comme un « outil pour le care ». Dans le cadre du présent article, nous nous interrogeons plus loin sur la possibilité de prendre comme support de formation un « outil pour le care » tel que le dispositif « Aloïs en Photonésie ». Il nous faut auparavant répondre à une question fondamentale, celle des principes à adopter pour penser et élaborer une formation en lien avec la perspective du care, en quelque sorte construire un cahier des charges minimal de la formation, avant d’imaginer des modalités de mise en œuvre.
Quels principes mettre en œuvre pour concevoir une formation aux « outils pour le care » ?
Premier principe : une formation partagée
Le premier principe pour la mise en place de l’interprofessionnalité appelée de leurs vœux par Parent et al. [4] est cohérent avec ce souhait : cette formation est conçue comme une formation partagée, au sens où elle concernera l’ensemble des professionnels de santé, du médecin à l’aide soignant.e, voire à des aidants. Nous faisons nôtre aussi la notion de « fonction soignante en partage » proposée par Fleury [19] et cherchons ici à la rendre opérationnelle en formation. Nous avons bien conscience du caractère passablement « utopique » de cette proposition mais on peut supposer que la suppression, en France, du concours à l’issue de la première année commune aux études de santé (PACES) pour la promotion qui a entamé le cursus en septembre 2020 va permettre de libérer l’imagination et de promouvoir des pratiques de collaboration interprofessionnelles.
Deuxième principe : une formation par l’expérience
Nous nous appuyons sur l’extrait ci-dessous de la tribune précitée pour énoncer le deuxième principe qui nous guide.
« […] la santé est l’espace territorialisé des interactions de tous les actants concernés, patients tout autant que professionnels de la santé, et de souligner que l’« agir » dont il est question, par ses dimensions interrelationnelles et contextuelles, ne se résume pas à un « faire ». Dès lors qu’il implique un sens, à examiner au regard d’une reconfiguration des prémisses de l’action médicale, cet agir est d’abord, fondamentalement, une expérience qui devrait être pensée autant comme expérience professionnelle que comme expérience d’apprentissage. » [4] (p. 128).
C’est pourquoi la formation que nous proposons dans ce texte est une formation par l’expérience.
Troisième principe : une formation centrée sur la créativité et la réflexivité
Compte tenu de l’évolution continue des conditions d’exercice des métiers de la santé, une des compétences dont devront faire preuve les personnels de santé est l’adaptabilité. Cette exigence nous amène au troisième principe : la formation doit chercher à développer conjointement créativité et réflexivité chez les apprenants. Il ne s’agit pas d’une formation accumulative mais d’une formation créative et réflexive.
Formation partagée, formation par l’expérience, tout à la fois réflexive et créative, trois principes dont la dimension éducative apparaît clairement mais dont il est facile de percevoir qu’ils ont aussi une dimension politique (redistribuer du pouvoir d’agir) et éthique (repositionner chacun dans des environnements où les relations sont centrales).
Des principes aux modalités de formation…
Le care est, par essence, une pratique qui se doit d’être partagée. Les pratiques du care ne doivent pas être réservées aux « petites mains », même si c’est en prenant en compte cette réalité qu’est née la réflexion sur lesdites pratiques. Il y a donc, ne le nions pas, une forme de militantisme à vouloir assumer le premier principe énoncé ci-dessus pour une formation. Le mettre en œuvre relève très clairement d’une volonté politique et institutionnelle au niveau des facultés des métiers de la santé, des écoles professionnelles et des universités. La création de la Chaire de philosophie à l’hôpital, à l’Hôtel-Dieu à Paris en janvier 2016, à l’initiative de Fleury montre qu’il est possible de transgresser les habitudes pour
« chercher à ne jamais dissocier les approches subjective, institutionnelle et politique du soin. [...] en offrant un lieu, très hybride, ouvert à tous, patients, médecins, citoyens, familles, soignants de tout type, pour envisager ensemble l’avènement d’un soin le plus humaniste possible, assumant les défis technologiques posés à la santé actuelle, et les révolutions internes que le système institutionnel et ses différents partenaires subissent. » [19].
La démarche que nous proposons pour répondre au premier principe énoncé plus haut, dans la mesure où elle aussi est en rupture par rapport aux pratiques installées, ne pourra se déployer ni en une seule fois, ni uniformément sur le territoire, ni simultanément, mais pourquoi ne pas essayer ?
La mise en œuvre du deuxième principe est plus facilement imaginable, même si, en s’y confrontant, on n’échappe pas à la question du choix ou de la conception des dispositifs et des supports de formation. Nous avons, dans un autre contexte de formation, explicitement posé cette question avec Leroyer [14] : Enseigner / apprendre : à partir de quoi ? Vonarx la formule autrement : « passer par les arts et le cinéma pour relever les défis » [20]. On peut viser l’expérience en temps réel par des mises en situation utilisant des supports éprouvés lors de pratiques effectives auprès de patients. On peut aussi travailler à partir d’une expérience « rapportée » sous forme de vidéo ou de lecture de verbatim de séances enregistrées.
Une formation créative et réflexive (principe 3) ne peut, de notre point de vue, se jouer sur une durée compacte, sans laisser au temps le temps de jouer son rôle assimilateur. C’est pourquoi nous privilégions une formation par alternance distillant exploration, utilisation et retour d’expérience. Il est facile d’envisager des modalités diverses et des consignes de travail variées en fonction des publics ciblés et de leur avancée dans les cursus de formation (initiale / continue, en quelle année ?) Nous illustrons ces propos dans l’exemple décrit dans le paragraphe suivant.
Un exemple de scénario de formation dérivé du dispositif « Aloïs en Photonésie »
Les conditions dans lesquelles ce dispositif a été élaboré par un trio composé d’un médecin responsable du service, d’un photographe et d’une aidante de patient atteint de la maladie d’Alzheimer, ainsi que ses modalités de « fonctionnement » ont été décrites par Marie-Bailleul dans une publication antérieure [21].
Rappelons seulement ici que ce dispositif est constitué de photographies dans des formats différents (deux au format 2 m × 1,8 m ; neuf au format 1,2 m × 0,8 m, accrochées aux murs ; 30 autres au format A4, plastifiées et rangées dans des dossiers selon leur appartenance aux « pays » de Photonésie. Au verso de ces photographies figurent des textes de nature différentes : chansons, dictons, poèmes, textes courts à visée réflexive). Il a pour objectif, à travers l’utilisation de photographies issues de l’environnement régional, de « donner au patient des occasions de vivre avec soignant ou aidant des situations d’échange spontané créatif ou des situations de réminiscence » [21] (p. 295). Cet objectif répond au premier critère de la définition des « outils pour le care », posée plus haut : rendre capacitaires les acteurs concernés. Remarquons ici que les acteurs concernés sont tout à la fois les patients et les soignants ou les aidants. Seul ou accompagné par un aidant ou un soignant, le patient peut explorer le « continent Photonésie » au cours de déambulation ou d’une activité sollicitée par l’accompagnant.Il est facile d’envisager une formation partagée issue de ce dispositif dans la mesure où, comme nous l’avons décrit avec Marie-Bailleul [16], il est déjà effectivement utilisé de cette façon par des aides-soignantes, des assistantes de soins en gérontologie, une psychomotricienne, une animatrice et un médecin.
Dans le cadre d’une formation aux « outils pour le care », nous utiliserons les photographies au format A4 regroupées par « pays » au cours de mises en situation en petits groupes sur des temps courts (une quinzaine de minutes) ; un des participants a un rôle d’animateur, un deuxième d’observateur avec guide d’observation, les autres de participants à ce groupe d’échanges autour de documents photographiques avec la consigne : « Choisissez une photo et commentez la brièvement en expliquant les raisons de votre choix ». Un temps de débriefing suivra dont l’objectif sera de confronter et de synthétiser les observations. Cette modalité de travail s’apparente à la technique mise en œuvre dans les ateliers Photolangages© mais l’objectif n’est, ici, pas thérapeutique. Comme nous l’avons dit plus haut, on pourra aussi mobiliser de l’expérience « rapportée » sous forme de verbatim d’enregistrements audio de séances avec des patients.
L’opérationnalisation de la modalité alternance, conséquence du principe 3, se fera différemment selon qu’il s’agira d’un public en formation initiale ou continue. Prenons comme base une formation de 12 heures répartie sur deux journées. La première journée, quel que soit le public, sera consacrée à l’exploration de l’outil, depuis les conditions de sa conception jusqu’à son utilisation in situ. On peut prévoir un court temps de synthèse en fin de journée et surtout des consignes de « travail » pour le temps d’intersessions. En formation initiale, faute de terrain pour une pratique effective, la consigne pourrait être d’imaginer une adaptation du corpus de photos et/ou de textes entraînant ou non une modification de l’utilisation des fiches : support d’un échange langagier, manipulation, classification d’un ensemble de fiches, etc.. S’agissant d’un public en formation continue, la consigne pourrait être beaucoup plus simple : « expérimentez avec vos patients » ! La deuxième journée serait consacrée au retour d’expérience, conclue par une synthèse réflexive réintroduisant le déroulement de la formation et l’outil auquel elle s’est intéressée dans la problématique des « outils pour le care ».
Discussion
Nous avons écrit plus haut que la problématique du care peut constituer, de notre point de vue, un terrain susceptible de donner un sens global et partagé à la formation des personnels de santé et nous avons choisi d’entrer dans la familiarisation avec cette problématique par le biais des « outils pour le care ». La raison première de ce choix est le caractère concret et facilement accessible desdits outils. Le risque généré par ce choix est que les formés s’en tiennent à cet aspect. La phase conclusive de cette formation est donc tout particulièrement importante et doit élargir le questionnement au-delà du « comment faire ». Dans l’idéal (pourquoi ne pas continuer à imaginer ces futures modalités de formation à construire ?), on peut voir ici la première brique d’une formation plus conséquente à distribuer sur l’ensemble du curriculum de formation et peut-être à diversifier, tant dans ses objectifs que dans ses contenus, en fonction des publics en formation, tout en veillant à en maintenir le caractère interprofessionnel, au moins dans une certaine proportion.
Vouloir faire entrer la problématique du care dans la formation, c’est revendiquer pour celle-ci un caractère professionnel, ou à tout le moins professionnalisant, et, en conséquence, objectivable. La question de l’évaluation de ce caractère professionnel est alors posée, aussi bien pour ce qui concerne les effets attendus de la formation sur la nature et la qualité de la relation avec les patients, voire d’éventuels effets thérapeutiques, que pour l’efficacité et la pertinence des dispositifs déployés lors de la formation au regard de ces effets attendus. Nous n’avons pas du tout abordé ces questions dans ce qui précède mais ne les avons pas pour autant oubliées. C’est une des pistes de recherche que nous évoquons dans le dernier paragraphe de la conclusion ci-dessous. De plus, cette question de l’évaluation ne se pose pas dans les mêmes termes, tant dans ses objectifs que dans ses modalités de mise en œuvre, selon que le dispositif se déploie dans le cadre de la formation initiale ou dans celui de la formation continue, voire d’une formation informelle en situation de travail.
En forme de conclusion : pistes d’action et nouvelles interrogations
Dans le cadre de l’ouverture des études médicales à des publics plus hétérogènes qu’auparavant, Fleury et al. [9], après avoir souligné « le caractère disparate de l’enseignement des humanités, en particulier en PACES », font des recommandations pour l’organisation d’un curriculum d’éthique et humanités en santé, sans entrer en détail dans la problématique des contenus et sans en envisager le caractère éventuellement interprofessionnel. Dans ce texte, nous nous sommes interrogé sur la possibilité d’introduire la perspective du care dans un curriculum de formation des professionnels de santé. Après avoir décrit brièvement le contexte qui nous a amené à cette question et les cadres conceptuels bornant ce champ théorique, nous avons délibérément choisi d’entrer dans la réalité de la formation en élaborant un cahier des charges pour une formation visant cet objectif, en proposant des modalités de mise en œuvre et en imaginant un exemple à partir d’un « outil pour le care » effectivement utilisé dans un service hospitalier. Il nous semble qu’il peut y avoir là matière à poursuivre la réflexion, en termes d’expérimentations à tenter (comme par exemple la mise en œuvre effective du scénario proposé ci-dessus) et de modélisations théoriques à approfondir.
Ainsi, dans le cadre des soins relationnels tels que définis par Menaut [22], il reste évidemment à examiner de nombreux autres dispositifs, spécialisés ou non (jeux, gymnastique, activités artistiques et/ou créatives, etc.), pour voir dans quelle mesure on peut les considérer comme des « outils pour le care ». On peut même envisager de telles expérimentations en tant que formations par la recherche-action, étape complémentaire dans un curriculum de formation lié au care. Une telle démarche de validation de ces outils en tant qu’« outils pour le care » devra aussi prendre en compte la dimension linguistique des interactions que fait naître l’utilisation de tels supports, tant il est vrai, comme le précisent Garric et Herbland [23] que les discours peuvent s’envisager comme pratiques du care.
De nouvelles pistes de recherche apparaissent alors, issues de la modélisation que nous avons proposée ailleurs [14] : comment les différentes dimensions d’un support d’enseignement / apprentissage (épistémologique ↔ technique ; relationnelle ↔ didactique) font-elles écho à différentes postures d’« enseignement » (épistémologue ↔ technicien ; accompagnateur ↔ didacticien) et entraînent-elles différents types d’« activités d’apprentissage » (généralisation, secondarisation ↔ application, entraînement ; échange, confrontation ↔ action, élaboration), apprentissages dont on pourra, à n’en pas douter, retrouver des traces dans les pratiques effectives des apprenants. Les travaux de recherche à venir pourront mobiliser des méthodologies issues des champs de la didactique professionnelle et de l’analyse de l’activité, et pourront prendre comme objet les situations de formation et/ou les situations d’interaction avec des patients, contribuant ainsi à produire des réponses à la problématique de l’évaluation et, plus globalement, à asseoir les pratiques du care en tant que pratiques professionnelles.
Approbation éthique
Non sollicitée car sans objet.
Liens d’intérêts
L’auteur ne déclare aucun conflit d’intérêts en lien avec le contenu de cet article.
Références
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Citation de l’article : Bailleul M. Former les professionnels de santé aux « outils pour le care ». Pédagogie Médicale 2021:22;27-32
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