Accès gratuit
Numéro
Pédagogie Médicale
Volume 24, Numéro 1, 2023
Page(s) 31 - 40
Section Recherche et Perspectives
DOI https://doi.org/10.1051/pmed/2022032
Publié en ligne 15 mars 2023

© SIFEM, 2023

Introduction

Contexte et problématique

Lors de leur cursus initial, tous les étudiants en chirurgie dentaire bénéficient d’une formation en odontologie pédiatrique comprenant des stages hospitaliers lors desquels ils soignent des enfants et des adolescents. Toutefois, très peu de diplômés font ensuite le choix d’un exercice exclusif de cette discipline, reconnue comme spécialité dans une dizaine de pays européens mais pas en France. Plus alarmant encore, certains omnipraticiens refusent de soigner des enfants [1]. Les difficultés pour trouver un chirurgien-dentiste traitant concernent particulièrement les enfants de moins de six ans alors que les besoins de soins sont élevés pour certains groupes [2]. Réaliser des gestes procéduraux précis avec des instruments coupants et bruyants chez des enfants, à l’état vigile, dans un contexte parfois douloureux, gérer leur anxiété, tenir compte de leur niveau de développement cognitif, communiquer avec les tout-petits et les parents nerveux, sont autant d’éléments susceptibles de mettre le praticien en difficulté, d’augmenter sa charge émotionnelle et donc de limiter l’attrait pour cette discipline.

Partant du postulat que l’exercice exclusif de l’odontologie pédiatrique en France peut être une pratique rémunératrice et variée sur le plan technique [3], notre hypothèse est que les étudiants et les praticiens apprécient peu la discipline du fait de la charge émotionnelle spécifique liée aux interactions avec de jeunes enfants [4]. La plupart des chirurgiens-dentistes estiment que leur profession est demandeuse sur le plan émotionnel et que différents éléments entrent en jeu, notamment des facteurs internes comme la personnalité du praticien ou son niveau d’exigence, et des facteurs externes comme le comportement du patient [5,6]. Le plus souvent, le sujet de la charge émotionnelle est abordé dans le contexte des risques psycho-sociaux au travail [79] ou pendant les études [1013].

De manière générale, si les émotions ressenties sont trop fortes, elles peuvent influencer de façon négative l’engagement au travail, la santé du sujet et la réussite académique [8,10]. Le stress des étudiants lors de leurs stages en odontologie pédiatrique a déjà fait l’objet de plusieurs études. Ainsi, Piazza-Waggoner et al. [13] ont montré que pendant la réalisation de soins restaurateurs chez des enfants, les étudiants développaient un haut niveau d’anxiété, même avec une préparation spécifique en amont. Pour autant, selon Selye et al. [14], le stress n’est pas simplement une tension nerveuse négative mais peut aussi être un sentiment positif quand il est constructif. Par exemple, l’augmentation du stress à l’approche des examens peut paralyser certains apprenants mais aussi en motiver d’autres à travailler davantage. Qu’en est-il des autres émotions ? Quels rôles peuvent-elles jouer chez un apprenant quand elles sont directement liées à des situations d’apprentissage authentique ? Les émotions positives jouent un rôle central dans la motivation, les relations, le travail d’équipe et la prise de décision [15]. Il apparaît donc essentiel de s’intéresser à tout un panel d’émotions, et pas uniquement au stress, si l’on veut comprendre dans quelle mesure la charge émotionnelle ressentie en stage peut affecter l’apprenant dans ses choix professionnels.

Objectif

L’objectif de cette enquête était de déterminer sur la base d’un questionnaire déclaratif quelles émotions, positives ou négatives, pouvaient être ressenties par les étudiants à différentes étapes de la prise en charge d’un enfant, et dans quelle mesure ces émotions pouvaient différer de celles ressenties lors du même type de soin chez des adultes.

Un seul type de soin a été sélectionné pour cette étude : l’avulsion dentaire, geste réalisé couramment chez l’enfant comme chez l’adulte. Les résultats pourraient permettre de mieux comprendre pourquoi l’odontologie pédiatrique est peu appréciée, et constituer une piste de réflexion pour l’implantation de programmes tenant compte de ces aspects dans la formation des chirurgiens-dentistes.

Méthodes

Population

La population source était constituée des étudiants en cinquième année de chirurgie dentaire à l’Université de Strasbourg au cours de l’année universitaire 2019–2020, qui réalisaient des stages dans les unités fonctionnelles de chirurgie orale et/ou d’odontologie pédiatrique des Hôpitaux universitaires de Strasbourg (HUS). L’unité de chirurgie orale reçoit les patients à partir de leur 15e anniversaire, tandis que l’odontologie pédiatrique prend en charge les patients entre zéro et 15 ans. Les étudiants de cinquième année ont été choisis car tous réalisent des avulsions dentaires chez l’enfant et chez l’adulte, ce qui n’est pas le cas en quatrième année en odontologie pédiatrique. Les étudiants de sixième année n’ont pas été retenus pour plusieurs raisons : la population n’est pas la même car certains débutent l’internat en odontologie (spécialisation) et ne font pas la sixième année du cycle court, une partie des étudiants effectuent leurs stages dans des hôpitaux périphériques qui n’ont pas de département d’odontologie pédiatrique dédié et enfin certains étudiants de sixième année choisissent un module optionnel « sédation consciente » qui implique que tous leurs patients soient des enfants chez lesquels les soins ne peuvent pas être réalisés à l’état vigile (lourdeur de l’intervention et/ou comportement).

Les étudiants interrogés avaient tous bénéficié, avant leurs premiers stages, de cours théoriques sur l’anesthésie locale, l’instrumentation, les avulsions dentaires ou encore l’abord psychologique des patients pédiatriques. La participation était basée sur le volontariat et la période d’inclusion courrait de novembre 2019 à février 2020.

Instrument de collecte de données

Un questionnaire a été développé en se basant sur différentes échelles et questionnaires publiés et validés portant sur la mesure du stress [4,1619], avec la volonté d’un document relativement concis pour ne pas décourager les participants. Les étudiants ont été informés oralement et par écrit des modalités de l’enquête et de la mise à disposition de questionnaires dans les deux départements hospitaliers. Après chaque avulsion dentaire réalisée, l’étudiant était invité à remplir un questionnaire de façon anonyme et à le glisser dans une boite dédiée au recueil des formulaires. Un même étudiant pouvait donc remplir plusieurs questionnaires (un par patient). L’échantillon d’étudiants invité à répondre était sensiblement le même dans les deux départements, les étudiants effectuant des rotations dans les différents départements tout au long de la semaine.

Les réponses concernant le ressenti d’une émotion ne sont pas dichotomiques, l’étudiant ne se sent pas juste « bien » ou « mal » [20], l’émotion n’est pas ressentie ou non ressentie. Ainsi nous avons souhaité relever ces nuances, qui pouvaient s’exprimer à travers une échelle de Likert à cinq points (« totalement d’accord », « plutôt d’accord », « ni d’accord ni pas d’accord », « plutôt pas d’accord » et « pas du tout d’accord »). Les énoncés à propos desquels les étudiants devaient signifier leur degré d’accord portaient sur le sentiment de satisfaction, de confiance en soi, la communication, les facteurs favorisant l’anxiété des étudiants et ceux susceptibles de les rassurer, et le fait que les émotions peuvent influencer ou non la prise en charge du patient (Annexe A et Tab. I). Des données générales ont également été recueillies comme le sexe de l’apprenant, l’âge du patient et le type de dent à extraire. L’étude se focalisait uniquement sur le ressenti des étudiants et non sur leurs performances. C’est pour cette raison que la coopération des patients ou leur niveau d’anxiété n’ont pas été évalués selon les échelles existantes, seul le ressenti subjectif de l’étudiant entrant en compte.

Une analyse statistique basée sur un test Chi2 a été réalisée pour comparer les mesures réalisées dans le département de soins pédiatriques et dans le département prenant en charge les adultes, avec un niveau de significativité α = 0,05.

Tableau I

Répartition des énoncés selon les dimensions abordées dans les questionnaires.

Résultats

Au total, 143 questionnaires ont été collectés, dont 69 concernaient des patients de moins de 15 ans reçus dans l’unité de dentisterie pédiatrique. Parmi les répondants, 61,5 % étaient des femmes ce qui est relativement représentatif de la proportion de femmes inscrites dans cette faculté.

À la question « l’âge du patient a augmenté mon niveau d’anxiété », on note une différence significative entre les résultats concernant les patients adultes et ceux relatifs aux enfants (p < 0,001). En effet, 62 % des étudiants étaient « totalement d’accord » ou « plutôt d’accord » avec cette affirmation quand ils prenaient en charge des enfants, en particulier s’ils avaient moins de cinq ans. Dans une moindre mesure, soigner des patients plus âgés (plus de 80 ans) était aussi un facteur augmentant l’anxiété des étudiants (pour 8 % d’entre eux).

Les étudiants se sentaient confiants pour accueillir des patients adultes (39,19 % totalement d’accord et 50 % plutôt d’accord) mais sensiblement moins pour les enfants (13 % totalement d’accord et 36 % plutôt d’accord). Les difficultés de communication sont autant évoquées par les hommes que par les femmes de notre échantillon. La plupart des étudiants (90 %) étaient à l’aise pour communiquer avec des adultes alors qu’à peine la moitié d’entre eux interagissent avec aisance avec les enfants (p < 0,001). Cette différence est d’autant plus marquée que l’enfant est jeune et anxieux et/ou peu coopérant. D’après les répondants, la part de patients anxieux et/ou peu coopérants s’élevait à 52 % chez les moins de 15 ans, contre 14 % chez les adultes. Le comportement des patients a un effet sur les émotions des étudiants : 48 % ont déclaré qu’ils ont perdu leur calme face à un enfant anxieux et/ou peu coopérant, et 34 % avec des adultes (totalement d’accord ou plutôt d’accord avec ces affirmations). Les répondants ont déclaré que leurs émotions influençaient leur façon de prendre en charge le patient, en particulier en dentisterie pédiatrique (32 % totalement d’accord ou plutôt d’accord).

Ils étaient plus confiants pour mener un examen clinique chez les adultes que chez les enfants (89 % vs. 58 % ; p < 0,001). En dentisterie pédiatrique, le niveau de confiance en soi de l’étudiant était directement corrélé au fait que le patient soit anxieux et/ou peu coopérant. Les étudiants se sentaient tout aussi confiants pour présenter leur cas clinique adulte que pédiatrique à l’enseignant-clinicien. En revanche, ils étaient moins sûrs d’eux pour établir un diagnostic, en particulier en pédiatrie (p < 0,01). La proposition de traitement (l’avulsion dentaire dans ce cas) n’a pas engendré plus de doutes dans l’une ou l’autre discipline.

Près de 80 % des dents extraites chez les enfants au cours de cette enquête étaient des dents temporaires (49,4 % de molaires, 35,3 % d’incisives et 15,3 % de canines). À la question « le type de dent à avulser augmente mon niveau d’anxiété », on note une différence significative entre les dents temporaires et les dents permanentes : 52 % vs. 39 % ; p < 0,001. L’avulsion de molaire est plus anxiogène. Les étudiants semblaient à l’aise avec le choix de l’instrumentation spécifique (0,7 % pas d’accord). Près de 64,2 % déclaraient l’utiliser avec facilité en dentisterie pédiatrique (totalement d’accord ou plutôt d’accord) contre 73 % en chirurgie orale de l’adulte. Compléter le geste en un temps raisonnable était un facteur d’anxiété pour ceux qui prenaient en charge des enfants (47 % vs. 25 % avec des patients adultes ; p < 0,001). Cependant, près de 70 % d’entre eux pensaient avoir finalement réalisé leur séance de soins en un temps correct. Le fait d’être assisté par un autre stagiaire était un facteur rassurant (93,8 % totalement d’accord ou plutôt d’accord en dentisterie pédiatrique et 90,5 % en chirurgie orale de l’adulte).

La quasi-totalité de l’échantillon déclarait avoir ressenti du plaisir à soigner des patients calmes, alors que 70 % des étudiants n’ont pris aucun plaisir à traiter des patients anxieux et/peu coopérants, que ce soient des adultes ou des enfants. Le sentiment de satisfaction après avoir avulsé la dent était retrouvé chez 85 % des étudiants qui ont traité un enfant contre 97 % de ceux qui s’occupaient d’un adulte (différence non significative). Entre 74 % et 80 % des étudiants avaient le sentiment d’avoir amélioré leurs compétences grâce à cette séance de soins (respectivement en odontologie pédiatrique et en chirurgie orale de l’adulte).

Discussion

Cette étude a été menée autour d’un geste procédural « fil rouge » : l’avulsion dentaire. D’une part, l’avulsion de dents temporaires est souvent considérée comme un geste techniquement plus simple que l’avulsion de dents permanentes, ce qui est vrai pour les dents temporaires au stade de rhizalyse terminale. Toutefois, la majorité des dents temporaires extraites prématurément présentent des racines divergentes et grêles qui impliquent un risque non négligeable de fracture radiculaire [21]. Elles peuvent également être ankylosées, nécessitant alors la réalisation d’une séparation de racines à la fraise et sous irrigation tout en veillant à préserver le germe de la dent permanente sous-jacente [22]. En qui ce concerne les dents permanentes extraites chez l’adulte, les pathologies parodontales représentent une cause importante de perte prématurée de ces dents, notamment chez les patients âgés [23]. Dans ces cas, l’avulsion est techniquement plus simple du fait d’un support osseux réduit. La complexité du geste technique ne se résume donc pas au type de la dent concernée (temporaire ou permanente) et dépend de nombreux facteurs locaux. Il n’était donc pas envisageable de recourir à une approche impliquant l’appariement des sujets traités, que ce soit en fonction du type de dent ou de la difficulté sur le plan chirurgical. D’autre part, l’avulsion comprend une étape incontournable qu’est l’anesthésie. Or, il a été montré que la réalisation d’anesthésies locales et d’avulsions chez les enfants étaient source d’anxiété pour les étudiants en odontologie [4,17], tout comme la réalisation de gestes prophylactiques ou d’autres procédures simples [24].

Qu’en est-il alors de leur ressenti lors des étapes précédent l’anesthésie ? Au regard des données recueillies, il semblerait que les étudiants étaient plus en confiance lors des étapes de la prise en charge qui n’impliquent pas directement leur capacité à communiquer avec le patient, comme le choix de l’instrumentation. Le niveau de confiance en soi des participants au moment d’établir un diagnostic était sensiblement plus bas quand le patient est un enfant. Une des hypothèses est liée à l’interrogatoire médical qui peut être difficile chez les plus jeunes, incomplet ou peu clair (par exemple sur la description du type de douleur). De même, notre échantillon se sentait moins en confiance avec les patients pédiatriques pendant l’examen clinique initial, ce qui peut s’expliquer par le fait que les enfants peuvent être plus agités, avoir une patience plus limitée dans le temps, voire refuser de se laisser examiner, et les étudiants sont peu ou pas préparés à ce type de difficultés. Dans une revue de la littérature, Elani et al. [10] ont souligné que les patients « difficiles » étaient une source d’anxiété importante pour les étudiants en odontologie. Les hommes seraient généralement plus anxieux que les femmes quand ils doivent soigner des enfants [24,25], cependant nos travaux n’ont pas mis en évidence de telles différences. Le fait de ne pas être à l’aise pour communiquer avec les patients est autant évoqué par les hommes que par les femmes de notre échantillon. La communication avec le patient a été décrite comme un des facteurs de satisfaction au travail pour les dentistes diplômés [26], développer les compétences communicationnelles des étudiants pourrait donc contribuer à améliorer la prise en charge des patients mais aussi leur bien-être en stage et dans leur future pratique.

La charge émotionnelle n’est pas seulement liée aux patients ou à la nature de la tâche à accomplir, mais aussi aux interactions avec les superviseurs, les pairs et l’équipe médicale et paramédicale [8,9]. Dans notre étude, plusieurs enseignants ont supervisé les étudiants pendant leurs stages cliniques, les équipes n’étant pas les mêmes d’une demi-journée à l’autre. Les enseignants peuvent être un facteur de stress ou au contraire un facteur rassurant, en fonction de différents éléments comme leurs attentes, leur niveau d’exigence ou leur personnalité. Cette perception peut bien sûr varier d’un étudiant à l’autre. La charge de travail pouvait également varier d’un jour à l’autre, impactant directement la disponibilité des superviseurs. Pour autant, la présence d’un superviseur restait en général un élément rassurant pour les étudiants de notre panel.

De la même manière, être assisté par un camarade lors des soins était perçu comme un élément positif, bien que les binômes changent à chaque demi-journée et qu’ils ne se connaissent pas nécessairement. Ceci peut s’expliquer par une présence rassurante aux côtés de l’étudiant, une aide en cas de questionnement, un soutien pour la gestion de l’aspect matériel, la possibilité d’anticiper les mouvements intempestifs des patients (par exemple en leur donnant la main), et de communiquer également avec les patients et/ou les accompagnants. Ces résultats corroborent ceux trouvés dans la littérature selon lesquels travailler avec des collègues est perçu positivement et pourrait être associé à la satisfaction au travail [26,27].

Certains étudiants inclus dans notre étude déclaraient que leurs émotions avaient influencé leur manière de prendre en charge leurs patients. En effet les émotions peuvent influencer la relation patient-soignant, le raisonnement clinique et les actions entreprises [8]. Se pose alors la question de la gestion de ces émotions. Contrôler ses émotions ne signifie pas les supprimer, mais s’assurer qu’elles n’impactent pas négativement la qualité des soins et la santé du soignant. Il est nécessaire de rappeler que certaines émotions peuvent influencer de manière positive la qualité de vie professionnelle, contribuer à la qualité des soins et augmenter la satisfaction des patients [8,28,29]. Le soignant doit faire preuve de calme et d’empathie envers les patients, en particulier avec les enfants peu ou pas coopérants qui peuvent être à l’origine de situations stressantes. Un niveau de stress élevé chez les étudiants en dentaire peut impacter directement leur qualité de vie [30]. Il est donc important que les étudiants soient conscients de ces éléments et qu’ils reçoivent des enseignements adaptés avant même leurs premiers stages. Un des outils pédagogiques permettant d’expérimenter les émotions ressenties en clinique est la simulation. Elle peut permettre de prendre conscience et de verbaliser les émotions ressenties par l’apprenant dans un contexte sécurisé. En effet, la simulation en santé implique un débriefing systématique qui est un temps de réflexion individuelle et collective au cours duquel chaque participant est invité à décrire son ressenti pendant la situation simulée. Dans la mesure où les émotions ressenties par les étudiants évoluent au cours du temps et dépendent notamment du comportement et des émotions véhiculées par les patients [27], le recours à un panel varié de patients simulés (différents comportements, niveaux d’anxiété, âges, pathologies, etc.) est une option à privilégier. Ce type de simulation est plébiscitée par les étudiants et permet de développer des compétences communicationnelles [31].

Les émotions et le comportement des patients peuvent avoir un effet sur la qualité de vie professionnelle des étudiants et des chirurgiens-dentistes. Une association entre la prise en charge de patients anxieux et le risque de burnout chez les chirurgiens-dentistes a été mise en évidence [27]. La perception de l’anxiété du patient par le soignant peut toutefois être subjective. Il existe des échelles d’hétéroévaluation de l’anxiété des patients [33], permettant d’adapter la prise en charge (sédation, hypnose, etc.) et ainsi de limiter les situations émotionnellement complexes pour le patient comme pour le praticien. Identifier ses propres émotions pourrait permettre au soignant d’anticiper ses réactions et d’améliorer sa communication, de diminuer l’anxiété des patients, de réduire sa fatigue émotionnelle et sa lassitude au cours de son cursus académique ou professionnel [3335].

La principale limite de l’étude réside dans l’absence de recours à ces échelles d’évaluation de l’anxiété ou du comportement des patients, ne nous permettant pas d’associer le niveau de stress ressenti par l’étudiant au niveau d’anxiété du patient. Les raisons de ce choix sont multiples. Tout d’abord, les étudiants sont peu familiers de ces échelles qu’ils ne manipulent pas au quotidien, leur utilisation aurait ainsi nécessité une validation et donc une supervision directe par un enseignant-clinicien expérimenté tout au long de la consultation, ce qui pourrait influencer le ressenti des étudiants et leur comportement. Ensuite se posait la question de l’échelle à utiliser : il apparaît évident qu’une échelle de type hétéro-évaluative aurait été à privilégier puisque c’est l’anxiété du patient vue par l’étudiant qui nous intéressait. Cependant les échelles existantes sont essentiellement basées sur le comportement observable du patient, comme c’est le cas pour l’échelle de Venham, très utilisée en odontologie pédiatrique ou chez les adultes en situation de handicap mental ou psychique, mais qui présente des limites chez l’adulte [32,36]. En effet il est difficile de comparer le comportement d’un enfant et celui d’un adulte : alors même que leurs niveaux d’anxiété pourraient être élevés, l’adulte pourra plus facilement se « contenir », l’anxiété de l’enfant se manifestant davantage par une franche opposition aux soins. De la même façon il est difficile de comparer le comportement d’enfants d’âges différents, leur niveau de maturité étant variable [32].

Conclusion

La dentisterie pédiatrique est une discipline stressante pour les étudiants, avec un panel d’émotions spécifiques qui pourrait expliquer le peu d’attrait de la discipline. La comparaison entre les émotions ressenties lors d’une même procédure chez l’enfant et chez l’adulte révèle que les difficultés ressenties par les étudiants sont plus fréquentes lors de la prise en charge d’enfants. Ces différences s’expriment de l’accueil jusqu’à la réalisation de la procédure de soin : les étudiants sont plus à l’aise et plus confiants face à un adulte, que ce soit pour communiquer ou pour établir un diagnostic. Nous avons observé que l’âge de l’enfant et sa coopération sont des facteurs qui influencent les émotions des étudiants, notamment leur niveau de stress ou leur plaisir à travailler. D’après nos résultats et les données de la littérature, les émotions ressenties par les étudiants peuvent affecter la qualité de la prise en charge de leurs patients. Il apparaît donc essentiel de préparer les étudiants en odontologie aux aspects émotionnels de leur profession. L’analyse de leurs premières expériences cliniques et/ou la mise en œuvre de stratégies de formation comme la simulation peuvent leur permettre d’aborder plus sereinement les soins dentaires pédiatriques.

Contributions

Ophélie Vairon a participé au recueil des données, à l’interprétation des résultats et à l’écriture du manuscrit. Damien Offner a participé à l’écriture du manuscrit. Marie-Cécile Manière a participé au recueil des données et à l’écriture du manuscrit. Marion Strub a participé à la conception du protocole de recherche, à l’interprétation des résultats, à l’analyse statistique et à l’écriture du manuscrit.

Liens d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt en lien avec le contenu de ce travail.

Approbation éthique

Le protocole d’étude a été validé et approuvé par le Comité d’éthique des Hôpitaux universitaires de Strasbourg, France (numéro CE-2021-145).

Annexe

« Chers étudiants, chères étudiantes, nous vous sollicitons dans le cadre d’une étude portant sur la charge émotionnelle des étudiants lors de la réalisation d’une avulsion dentaire dans l’unité fonctionnelle d’odontologie pédiatrique et dans l’unité fonctionnelle de médecine et chirurgie orale. Le questionnaire ci-joint doit être rempli immédiatement après la réalisation de l’acte afin d’obtenir votre ressenti “à chaud”. Merci de répondre à toutes les questions en cochant la case correspondante. Vos réponses resteront anonymes. »

Annexe A1

Questionnaire disponible dans l’unité clinique d’odontologie pédiatrique :

Annexe A2

Questionnaire disponible dans l’unité clinique de médecine et chirurgie orale (patients de 15 ans et plus) :

Références

  1. Rigal E, Micheau J. Le métier de chirurgien-dentiste : caractéristiques actuelles et évolutions. Une étude qualitative. Paris : Plein Sens – Observatoire National de la Démographie des Professions de Santé (ONDPS), 2007 [On-line]. Disponible sur : https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/Le_metier_de_chirurgien_dentiste_-_caracteristiques_actuelles_et_evolutions.pdf. [Google Scholar]
  2. Calvet L, Moisy M (sous la direction de). Santé bucco-dentaire des enfants : des inégalités dès le plus jeune âge. Études et résultats – Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DRESS) 2013;(847) :1‐5 [On-line]. Disponible sur : https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2020-10/er847.pdf. [Google Scholar]
  3. Shah S. Paediatric dentistry – novel evolvement. Ann Med Surg (Lond) 2017;25:21‐9. [Google Scholar]
  4. Davidovich E, Pessov Y, Baniel A, Ram D. Levels of stress among general practitioners, students and specialists in pediatric dentistry during dental treatment. J Clin Pediatr Dent 2015;39:419‐22. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  5. Ab-Murat N, Mason L, Kadir RA, Noriah Y. Self-perceived mental well-being amongst Malaysian dentists. Int J Occup Saf Ergon 2018;24:233‐9. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  6. Jeung DY, Kim C, Chang SJ. Emotional labor and burnout: a review of the literature. Yonsei Med J 2018; 59:187‐93. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  7. Jeung DY, Lee HO, Chung WG, Yoon JH, Koh SB, Back CY, et al. Association of emotional labor, self-efficacy, and type a personality with burnout in Korean Dental Hygienists. J Korean Med Sci 2017;32:1423‐30. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  8. Van De Weerdt C, Morel O, Caël C. Prevention of high emotional labor risky situations: an example in home help sector. Psychologie du Travail et des Organisations 2017;23:326‐43. [CrossRef] [Google Scholar]
  9. Alzahem AM, van der Molen HT, Alaujan AH, Schmidt HG, Zamakhshary MH. Stress amongst dental students: a systematic review. Eur J Dent Educ 2011;15:8‐18. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  10. Elani HW, Allison PJ, Kumar RA, Mancini L, Lambrou A, Bedos C. A systematic review of stress in dental students. J Dent Educ 2014;78:226‐42. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  11. Rajab LD. Perceived sources of stress among dental students at the University of Jordan. J Dent Educ 2001;65:232‐41. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  12. Alhajj MN, Khader Y, Murad AH, Celebic A, Halboub E, Márquez JR, et al. Perceived sources of stress amongst dental students: a multicountry study. Eur J Dent Educ 2018;22:258‐71. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  13. Piazza-Waggoner CA, Cohen LL, Kohli K, Taylor BK. Stress management for dental students performing their first pediatric restorative procedure. J Dent Educ 2003;67:542‐8. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  14. Selye H. Stress without distress. Philadelphia: J.B. Lippincott Company, 1974. [Google Scholar]
  15. Briner RB. The neglect and importance of emotion at work. Eur J Work Organ Psychol 1999;8:323‐46. [CrossRef] [Google Scholar]
  16. Moss F, McManus IC. The anxieties of new clinical students. Med Educ 1992;26:17‐20. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  17. Aishwarya AS, Gurunathan D. Stress level in dental students performing pedodontic procedure. J Adv Pharm Edu Res 2017;7:34‐8. [Google Scholar]
  18. Lesage FX, Berjot S, Deschamps F. Psychometric properties of the French versions of the Perceived Stress Scale. Int J Occup Med Environ Health 2012;25:178‐84. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  19. Garbee WH Jr, Zucker SB, Selby GR. Perceived sources of stress among dental students. J Am Dent Assoc 1980; 100:853‐7. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  20. Briner RB. The neglect and importance of emotion at work. Eur J Work Organ Psychol 1999;8:323‐46. [CrossRef] [Google Scholar]
  21. Romerowski J, Boccara E. Morphologie dentaire de l’enfant : molaires. Traité de Médecine Buccale. Paris : EMC. Elsevier, 2016. https://doi.org/10.1016/S1877-7864(16)63175-0. [Google Scholar]
  22. Mettoudi JD, Ginisty D. Extraction chez l’enfant. Traité de Médecine Buccale. Paris : EMC. Elsevier, 2011. https://doi.org/10.1016/S0000-0000(11)54774-6. [Google Scholar]
  23. Ali D. Reasons for extraction of permanent teeth in a University Dental Clinic Setting. Clin Cosmet Investig Dent 2021;13:51‐7. [CrossRef] [Google Scholar]
  24. Gerreth K, Chlapowska J, Lewicka-Panczak K, Sniatala R, Ekkert M, Borysewicz-Lewicka M. Self-evaluation of anxiety in dental students. Biomed Res Int 2019;6436750. [PubMed] [Google Scholar]
  25. Almalik M, Alnowaiser A, El Meligy O, Sallam J, Balkheyour Y. Clinical anxiety among saudi postgraduate pediatric dentistry students in Jeddah City. Int J Dent 2018;5863869. [PubMed] [Google Scholar]
  26. Luzzi L, Spencer AJ, Jones K, Teusner D. Job satisfaction of registered dental practitioners. Aust Dent J 2005;50:179‐85. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  27. Goetz K, Schuldei R, Steinhäuser. Working conditions, job satisfaction and challenging encounters in dentistry: a cross-sectional study. J Int Dent J 2019;69:44‐49. [CrossRef] [Google Scholar]
  28. Vinson AH, Underman K. Clinical empathy as emotional labor in medical work. Soc Sci Med 2020;251:112904. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  29. Larson EB, Yao X. Clinical empathy as emotional labor in the patient-physician relationship. JAMA 2005;293: 1100‐6. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  30. Alkatheri AM, Bustami RT, Albekairy AM, Alanizi AH, Alnafesah R, Almodaimegh H, et al. Quality of Life and Stress Level Among Health Professions Students. Health Prof Educ 2019;2452‐3011. [Google Scholar]
  31. Wiener RC, Waters C, Doris J, McNeil DW. Comparison of dental students’ self-evaluation and faculty evaluation of communication skills during a standardized patient exercise. J Dent Educ 2018;82:1043‐50. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  32. Tiwari S, Kulkarni P, Agrawal N, Mali S, Kale S, Jaiswal N. Dental anxiety scales used in Pediatric Dentistry: a systematic review and meta-analysis. J Contemp Dent Pract 2021;22:1338‐1345. [PubMed] [Google Scholar]
  33. Armfield JM, Heaton LJ. Management of fear and anxiety in the dental clinic: a review. Aust Dent J 2013;58:390‐407. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  34. Hasegawa Y, Ninomiya K, Fujii K, Sekimoto T. Emotional intelligence score and performance of dental undergraduates. Odontology 2016;104:397‐401. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  35. Victoroff KZ, Boyatzis RE. What is the relationship between emotional intelligence and dental student clinical performance? J Dent Educ 2013;77:416‐26. [CrossRef] [PubMed] [Google Scholar]
  36. Venham LL, Gaulin-Kremer E, Munster E, Bengston-Audia D, Cohan J. Interval rating scales for children’s dental anxiety and uncooperative behavior. Pediatr Dent 1980;2:195‐202. [PubMed] [Google Scholar]

Citation de l’article : Vairon O, Offner D, Maniere M-C, Strub M. Enquête autour des émotions ressenties par les étudiants lors de la réalisation d’un geste courant en odontologie chez les patients enfants et adultes. Pédagogie Médicale 2023:24;31-40

Liste des tableaux

Tableau I

Répartition des énoncés selon les dimensions abordées dans les questionnaires.

Annexe A1

Questionnaire disponible dans l’unité clinique d’odontologie pédiatrique :

Annexe A2

Questionnaire disponible dans l’unité clinique de médecine et chirurgie orale (patients de 15 ans et plus) :

Les statistiques affichées correspondent au cumul d'une part des vues des résumés de l'article et d'autre part des vues et téléchargements de l'article plein-texte (PDF, Full-HTML, ePub... selon les formats disponibles) sur la platefome Vision4Press.

Les statistiques sont disponibles avec un délai de 48 à 96 heures et sont mises à jour quotidiennement en semaine.

Le chargement des statistiques peut être long.