Numéro |
Pédagogie Médicale
Volume 21, Numéro 4, 2020
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Page(s) | 229 - 231 | |
Section | Communication brève | |
DOI | https://doi.org/10.1051/pmed/2020046 | |
Publié en ligne | 16 décembre 2020 |
L’enseignement de la médecine au temps de la COVID-19 : le cas d’espèce de la pédiatrie
Medical education in the time of COVID-19: the case study of pediatrics
1
Département de pédiatrie, Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, Université de Montréal,
Montréal, Canada
2
Centre de recherche Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, Université de Montréal,
Montréal, Canada
3
Centre de pédagogie appliquée aux sciences de la santé, Faculté de médecine, Université de Montréal,
Montréal, Canada
* Correspondance et offprints : Louis-Philippe THIBAULT. Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine 3175, Chemin de la Côte-Sainte-Catherine H3T1C5 Montréal, Canada. Mailto : lp.thibault-lemyre@umontreal.ca.
Reçu :
15
Mai
2020
Accepté :
11
Juin
2020
Contexte
L’éducation médicale en milieux cliniques concerne nommément la présence d’apprenants, qui se trouvent à différents niveaux de formation. Elle implique également, bien entendu, la présence de patients. Dans les centres hospitaliers universitaires (CHU), c’est la présence d’un nombre important de patients, dont les problèmes cliniques sont généralement d’une complexité accrue, combiné à la présence d’une pyramide universitaire, qui représente la réalité dans laquelle évoluent les médecins-résidents. Les unités d’enseignement clinique jouent ce rôle fédérateur et servent de carrefour structuré pour les patients, les apprenants et les professeurs de clinique.
Problématique
Au cours de la pandémie actuelle, dans les milieux pédiatriques, la réalité s’aligne avec ce qui est exposé dans la littérature : les enfants ne semblent que très peu atteints de la COVID-19. Dans cette perspective, les unités d’enseignement clinique fonctionnent, depuis plusieurs semaines, à capacité significativement réduite. De plus, la distanciation sociale imposée par les autorités gouvernementales a engendré une diminution des contacts infectieux chez les enfants, diminuant ainsi le nombre de consultations concernant les pathologies respiratoires, fréquemment rencontrées. Rapidement au début de la pandémie, les écoles de médecine ont pris la décision de protéger les étudiants (ou externes) qui sont en stages cliniques en les retirant des hôpitaux [1]. Or, qu’en est-il lorsque le nombre de patients sur les unités d’enseignement chute drastiquement et que les étudiants en médecine sont retirés des milieux ? Plus encore, qu’en est-il lorsqu’à cette réalité s’ajoute le fait que les résidents sont soumis à une certaine discontinuité des soins, car potentiellement réaffectés, de jour en jour, selon le taux d’occupation des unités, respectivement qualifiées de « froides, tièdes ou chaudes » ? C’est cette réalité à laquelle nous avons dû faire face dans notre CHU pédiatrique que nous souhaitions décrire.
Le CHU Sainte-Justine, affilié à l’Université de Montréal, est le plus grand centre hospitalier mère-enfant au Canada. On y trouve un secteur ambulatoire important, dont un secteur d’urgence pédiatrique accueillant près de 90 000 visites chaque année. Sur le plan hospitalier, on compte 60 lits de pédiatrie générale, où se trouvent les quatre unités d’enseignement. On y trouve également 60 lits regroupant les spécialités et la chirurgie pédiatrique, 35 lits de soins intensifs et 65 lits de néonatalogie, en plus d’un centre de recherche clinique et fondamental de premier plan.
Ce que nous avons observé
Trois changements ont été notés relativement à la pandémie sur les unités d’enseignement clinique. Certains de ces changements ont été planifiés, alors que d’autres sont le résultat de la conjoncture liée au contexte pandémique.
Premièrement, en l’espace d’une courte période, il y a eu un réaménagement de l’approche évaluative, d’un format généralement plus longitudinal, surtout pour les résidents seniors, vers un format d’évaluation hebdomadaire ou quotidien. Ce format d’évaluation à plus court terme est réservé usuellement, dans notre institution, aux résidents juniors et, surtout, aux étudiants.
Deuxièmement, plusieurs résidents ont remarqué un niveau d’enseignement soutenu, dans la mesure où le nivellement des notions enseignées s’est fait vers le haut. Lorsqu’ils ont eu lieu, les exposés de « capsules » d’enseignement ont été davantage adressés aux résidents plutôt qu’à tous les apprenants, comme c’est habituellement le cas lorsqu’il y a présence d’étudiants en médecine sur les unités de soins. Les compétences relatives aux aspects managériaux ont aussi été davantage sollicitées, spécifiquement chez les résidents les plus seniors. En effet, les responsables de l’enseignement clinique du CHU ont désigné chaque semaine un résident senior responsable de la réaffectation quotidienne des résidents juniors sur l’ensemble des unités de soins, selon les besoins. Cette tâche journalière a poussé les résidents seniors à s’informer du niveau d’activité de chaque unité, du taux d’occupation des lits et des admissions récentes et à venir.
Troisièmement, la réduction du ratio patient / apprenant dans le contexte actuel a favorisé l’organisation d’activités d’enseignement ciblées pour chacun des cas. De plus, le confinement à l’échelle sociale a semblé avoir pour conséquence une diminution d’incidence des tableaux infectieux usuels en pédiatrie, laissant place à une variété et à une complexité de cas relevées sur les unités. Par rapport aux périodes où les unités sont surchargées, il a été plus facile d’approfondir un certain nombre de notions, habituellement traitées plus superficiellement. Enfin, la conjonction d’une densité moindre des activités cliniques au cours de la journée et la suppression de nombreuses activités académiques ont eu comme conséquence de dégager davantage de temps pour que les apprenants se consacrent aux lectures d’intérêt, en liens avec les problèmes de santé pris en charge dans les unités de soins. Les horaires, normalement très chargés, ne permettent habituellement pas autant de flexibilité quant aux lectures académiques personnelles.
Points forts et limites
Les résidents en pédiatrie ont dû composer avec cette double réalité qui a affecté directement leur environnement d’enseignement : une diminution du volume de patients et l’absence des étudiants (externes). En temps ordinaire, ces deux paramètres (volume important de patients et présence d’étudiants en médecine) impliquent que les résidents déploient des connaissances et des compétences avancées, notamment des compétences pédagogiques appropriées aux contextes que constituent les CHU et les unités d’enseignement [2].
Pour répondre à ce nouveau contexte, l’approche évaluative a été changée de façon à devenir plus flexible, pour répondre aux besoins quotidiens. Cela a permis une permutation quotidienne des résidents, en fonction des besoins. Surtout, cela a rendu possible une évaluation adéquate des apprenants, et ce, malgré une diminution de la continuité de l’environnement d’apprentissage [3].
En l’absence des étudiants, certains résidents ont noté que l’enseignement qui leur était offert était davantage adapté à leur niveau de formation. Plus encore, informellement, il y a eu inculcation de nouvelles compétences dans le cursus, adapté en urgence pour la crise sanitaire COVID-19. Les résidents seniors se sont vu offrir certaines tâches administratives, comme la répartition journalière des résidents sur les unités de soins. Le fait de s’intéresser à ces aspects du fonctionnement hospitalier, tâches normalement réservées aux gestionnaires, a permis le développement de compétences pertinentes qui ne sont pas développées en temps normal. D’autres auteurs vont plus loin en soulignant que des apprentissages ont pu être faits chez les résidents concernant les problématiques d’allocation des ressources limitées et des équipements, ce qui est exact et qui représentera la norme dans le futur [4,5].
Les nouvelles conditions ont permis d’approfondir les problèmes cliniques traités dans les unités, et de porter notamment une attention particulière à certains cas complexes. Elles ont aussi facilité certaines activités académiques qui font partie intégrante du cursus, qu’il s’agisse de lectures orientées, des projets de recherche ou encore des tâches administratives reliées au programme d’enseignement.
L’absence d’étudiants a eu un impact pour le rôle central du résident-enseignant sur les unités de notre CHU. La présente réflexion ne permet pas de bien apprécier la perte qu’a pu constituer l’absence des externes sur la capacité des résidents à entretenir leur devoir de renseignement et d’émulation, propre à l’unité d’enseignement. De plus, les éléments soulevés sont issus de nos observations attentives sur les unités de soins. Une évaluation de l’opinion des résidents (sous forme d’un sondage par exemple), au terme de la pandémie, saurait être une approche scientifiquement plus adéquate pour évaluer les problématiques notées. Une force du présent commentaire est toutefois de mettre en lumière que d’une situation inattendue et potentiellement déstabilisante pour la structure d’enseignement est né un contexte éducationnel pertinent, favorisant la progression des résidents. Plus encore, on a confié à certains résidents seniors des tâches managériales indiquées pour leur niveau de formation, tâches qui ne font pas partie de leurs activités en temps normal, mais qui relèvent d’une pertinence certaine.
À des fins de comparaison avec les milieux en médecine adulte, d’après les commentaires reçus des collègues (notamment du Centre hospitalier de l’Université de Montréal), il semble que plusieurs unités d’hospitalisation fonctionnent également à plus faible régime qu’en temps normal. Cependant, il est à noter que des unités d’hospitalisation ainsi que des secteurs de soins intensifs consacrés à la COVID ont été mis sur pied dans la majorité de ces centres. Ces unités sont, quant à elles, très fréquentées. Chez les résidents en médecine interne d’adulte, dès la mi-mars, les apprenants ont été retirés de leurs milieux de stage. Ils se sont vu imposer un plan de contingence avec des cycles de garde de jour et de nuit, en alternance, sur l’unité de patients COVID. Cela s’est donc fait en contrepartie d’une diminution certaine de leur exposition à une diversité de cas usuellement rencontrés dans l’unité d’enseignement. Toutefois, comme dans les milieux pédiatriques, il a été observé que davantage d’enseignement a été dirigé vers les résidents, en l’absence des étudiants en médecine. Il est envisagé, dans plusieurs milieux de médecine d’adulte, que la couverture de ces unités spéciales prenne éventuellement la forme d’un stage clinique en soi. On peut comprendre que cette volonté s’inscrive dans la perspective d’établir des objectifs d’apprentissage plus clairs en regard de la nouvelle réalité, complètement transformée, des milieux d’enseignement cliniques.
Conclusions
Malgré l’absence, a priori, de conditions gagnantes pour favoriser le bon fonctionnement des unités d’enseignement dans ce qu’elles ont de fondamental – les patients et la pyramide d’enseignement –, des équipes de médecins-éducateurs et de résidents impliqués dans les processus ont pu réaménager les stages sur les unités d’enseignement clinique pour en conserver la pertinence pédagogique. Des apprentissages informels, liés à la gestion notamment, ont pu être mis en exergue. Le ratio patients / apprenants réduit a semblé laisser plus de temps pour approfondir les notions autour des cas complexes, ainsi que pour accomplir les autres tâches académiques.
Par ailleurs, la société a été hautement reconnaissante du travail quotidien des travailleurs de la santé. Cependant, la diminution significative du volume d’activité en milieu pédiatrique, bien que présentant certains avantages, tel que présenté précédemment, a fait dire à certains résidents qu’ils sentaient une sorte d’imposture face à l’activité, à l’opposé de ce qui a été observé, de manière très tangible, dans les unités de soins chez l’adulte en période de pandémie actuelle. Il serait intéressant d’aller plus loin et d’étudier les changements qui ont eu lieu sur les unités d’enseignement dans les milieux cliniques adultes de façon plus approfondie, dans la mesure où ceux-ci ont connu des bouleversements significatifs en cette période de pandémie de COVID-19.
Références
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- Potts JR 3rd. Residency and Fellowship Program Accreditation: Effects of the Novel Coronavirus (COVID-19) Pandemic. J Am Coll Surg 2020;230:1094‐7 [Google Scholar]
- Fernandes L, FitzPatrick ME, Roycroft M. The role of the future physician: building on shifting sands [published online ahead of print, 2020 Apr 17]. Clin Med (Lond) 2020;20:285‐9. [Google Scholar]
- Liang ZC, Ooi SBS, Wang W. Pandemics and Their Impact on Medical Training: Lessons From Singapore. Acad Med 2020;95:1359‐61 [Google Scholar]
Citation de l’article : Thibault L.-P., Gariépy-Assal L., Moussa A. L’enseignement de la médecine au temps de la COVID-19 : le cas d’espèce de la pédiatrie. Pédagogie Médicale 2020:21;229-231
© SIFEM, 2020
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