Accès gratuit
Numéro
Pédagogie Médicale
Volume 20, Numéro 4, 2019
Page(s) 195 - 197
Section Lu pour vous
DOI https://doi.org/10.1051/pmed/2020023
Publié en ligne 24 juin 2020

Enoncée de façon générale, la perspective de la responsabilité sociale en santé rend compte de l’exigence désormais formulée à l’égard des institutions de santé, pour qu’elles orientent la formation qu’elles donnent, les recherches qu’elles poursuivent et les services qu’elles dispensent vers les principaux problèmes de santé de la communauté, de la région ou de la nation qu’elles ont comme mandat de servir. Proposé comme nouveau paradigme permettant d’orienter la formation en santé en ce début de XXIe siècle, comme le rapport Flexner l’avait fait au début du précédent, le mouvement était déjà doté d’un manifeste. Elaboré à l’issue d’une large concertation internationale, le Consensus mondial sur la responsabilité sociale des facultés de médecine, publié en 2010, en avait ainsi formulé les principes sous la forme de dix axes stratégiques. Ce document fournissait aux acteurs concernés un ensemble de pistes pour conduire des expériences, développer des programmes et commencer à en documenter les effets. Conscients cependant que l’ambition d’une telle feuille de route exigeait davantage encore d’outillage spécifique, à la fois conceptuel et opérationnel, beaucoup attendaient qu’un ouvrage rende accessible un corpus plus développé de ressources dédiées. C’est ce besoin que se propose de combler la première édition du Dictionnaire francophone de la responsabilité sociale en santé.

Comme l’indique son projet, résumé sur la quatrième de couverture, « ce premier dictionnaire francophone a pour ambition d’apporter un éclairage inédit sur la responsabilité sociale en santé, de faire découvrir le concept et la démarche, de faciliter son appropriation. Destiné à servir aux différents acteurs de la santé de cadre de référence international, novateur et évolutif, il encourage chaque lecteur à s’emparer de cette approche et à la diffuser au sein de la francophonie ».

Il faut en convenir. L’entreprise que constitue l’élaboration d’un dictionnaire est une aventure qui expose à de multiples embûches. Nietzsche nous met en garde au travers de divers énoncés : « Les mots nous barrent la route » ; « Chaque mot est un préjugé » ; ou encore : « La manière dont on nomme les choses compte indiciblement plus que ce qu’elles sont ». Plus récemment, Camus renouvelle l’avertissement : « Mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur de ce monde ».

Par la désignation linguistique, qui suppose un méticuleux métissage de champs sémantiques et de champs lexicaux, il s’agit en effet de tenter de faire émerger une logique explicite au sein d’une diversité parfois fragmentée, et de révéler ainsi la cohérence sinon l’unité d’une pensée. Le risque est alors grand de verrouiller les significations, en gommant des zones d’ombre ou de nuances au prétexte de clarifier, ou en privilégiant les réponses plutôt que le questionnement.

De fait, la dénomination terminologique prétend révéler la nature des objets examinés, grâce au travail définitionnel, mais le mot – ou la locution – dissimule parfois de façon réductrice les relations entre les réalités dont il cherche à rendre compte. Ces réalités se laissent en effet difficilement enfermer dans le corset figé des concepts. Les mots sont chargés de représentations, ils sont le produit de dialogues, de débats et de controverses, socialement construits et historiquement situés. Les idées et les théories ont ainsi une histoire, une généalogie ; elles sont créées par des auteurs ancrés dans leur époque, porteurs d’une vision du monde qui leur est propre. Pour comprendre le sens d’un mot, il faut ainsi, notamment, dévoiler la face humaine et sociale des sciences. Révéler le véritable sens des mots, ce n’est pas les enfermer dans l’armature rigide de définitions impersonnelles et désincarnées mais c’est aussi, sinon surtout, indiquer les significations multiples et les ambiguïtés que recèle tout concept.

Assurément, les auteurs et promoteurs du « Dictionnaire francophone de la responsabilité sociale en santé » n’ignoraient aucune de ces chausse-trappes. Pour s’en prémunir, ils ont pris de multiples précautions. C’est ainsi qu’ils n’ont mobilisé pas moins de 70 auteurs, issus de 17 pays francophones et provenant de près d’une trentaine de disciplines ou professions, assurant ainsi à leur projet un éclectisme culturel au regard des différentes approches qui sont explorées. C’est ainsi, également, qu’ils ont délibérément renoncé aux postulats ordinaires de l’approche catégorielle, qui préconisent que les différentes classes soient mutuellement exclusives les unes des autres. En conséquence, on ne s’étonnera pas que les contenus des 134 entrées retenues se chevauchent parfois, au risque assumé de la redondance ou même d’une certaine hétérogénéité. Il faudra au contraire y voir le souci d’éclairer les différentes dimensions de ce que peuvent être une conception et une pratique socialement responsables de l’action en santé sous différentes facettes, les unes et les autres devant être appréhendées en tension et en complémentarité plutôt qu’en opposition. Ce dictionnaire offre ainsi des voies pour circuler d’un domaine à l’autre, en s’affranchissant, chaque fois que c’est nécessaire, des frontières disciplinaires et professionnelles.

Certes, certains lecteurs pourront considérer que des entrées auraient pu être regroupées (comme par exemple : « compétence » et « compétence professionnelle » ; ou encore : « prévention » et « prévention quaternaire »), alors que d’aucuns estimeront sans doute que certaines entrées auraient pu être démembrées. D’autres souligneront que certains concepts auraient dû être mieux distingués derrière des locutions dont l’apparente similitude est parfois trompeuse (comme par exemple : « médecine personnalisée » et « médecine centrée sur la personne »). Certains souligneront, avec malice, que la notion centrale de responsabilité sociale est incontestablement examinée de façon transversale dans chacune des entrées et plus particulièrement dans certaines d’entre elles (« responsabilité sociale des entreprises », « responsabilité sociale des universités », responsabilité sociale en santé », sans compter « responsabilité collective » ou « responsabilité populationnelle en santé ») mais qu’aucun des deux termes constitutifs de la locution (« responsabilité » et « sociale ») n’est spécifiquement défini pour lui-même, les auteurs se privant peut-être de l’opportunité de rappeler plus explicitement qu’il s’agit fondamentalement de répondre de ses actes (du latin responsus, participe passé de respondere) auprès de ses associés ou compagnons (du latin societas, socius). D’autres encore mentionneront avec frustration que beaucoup d’autres entrées auraient pu être traitées (comme par exemple : « épistémologie », « valeurs », « critères » ou « genre »).

L’essentiel n’est pas là et chacun de ces arbres ne doit pas masquer la forêt que dessine cet ouvrage. On peut d’ailleurs comprendre le souci légitime des auteurs de ne pas avoir multiplié les entrées, afin de ne pas prendre le risque d’atomiser un courant qu’ils s’efforcent au contraire de construire et d’unifier, dans une perspective intégrative. À cet égard, une édition ultérieure pourrait être l’occasion de compléter le catalogue des entrées par plusieurs index, par exemple un index rerum, qui proposerait de cheminer à partir de plusieurs thèmes et sous-thèmes traités dans les entrées principales, ou encore un index nominum, qui renverrait aux rubriques princeps à partir de corrélats établis avec les noms propres de certains auteurs cités. Les auteurs annoncent d’ailleurs fort opportunément l’édition d’un complément numérique à la version papier du dictionnaire, qui permettra d’approfondir, de compléter et d’illustrer les différents sujets traités.

Telle qu’elle est, cette première édition du Dictionnaire francophone de la responsabilité sociale en santé constitue en tout état de cause une initiative à ce jour inédite, visant à mettre à la portée d’une large communauté, par l’entremise d’un corpus lexical et sémantique qu’elle ne prétend pas épuiser, les concepts, les auteurs, les théories et les expériences constitutifs d’une vision démocratique et émancipatrice de la santé. Il ne s’agit donc ni d’un traité ni d’une somme, au sens où il faudrait entendre par là que ce dictionnaire résumerait, de façon – provisoirement – définitive et exhaustive, les connaissances relatives à un sujet, à une pratique ou à une science. Il s’agit plus judicieusement d’un recueil d’interprétations du concept de responsabilité sociale en santé et de ses implications pratiques. À cet égard, fort prudemment, le comité de coordination n’a pas cherché à enchâsser formellement les différentes contributions dans un cadre particulier mais a préféré la pluralité des regards.

Au-delà des mots, des locutions et des concepts qui sont examinés, cette entreprise invite foncièrement à un engagement des acteurs concernés. Dans une telle perspective, pour tous les professionnels de la santé enseignants et pédagogues, qui sont convaincus que l’éducation médicale ne saurait se réduire à une évaluation des mécanismes et des moyens d’enseignement et d’apprentissage mais qu’elle doit inclure, fondamentalement, une réflexion approfondie concernant l’épistémologie des pratiques professionnelles en santé, ce dictionnaire constituera une source de réflexion incontournable. Au moment où la crise sanitaire mondiale que constitue la pandémie à la Covid 19 questionne en profondeur tant les pratiques professionnelles en santé que leurs fondements scientifiques, économiques, politiques et sociétaux, c’est peu dire qu’il constitue un évènement éditorial bienvenu.

Citation de l’article : Jouquan J. Dictionnaire francophone de la responsabilité sociale en santé. Pédagogie Médicale 2019:20;195-197


© SIFEM, 2020

Les statistiques affichées correspondent au cumul d'une part des vues des résumés de l'article et d'autre part des vues et téléchargements de l'article plein-texte (PDF, Full-HTML, ePub... selon les formats disponibles) sur la platefome Vision4Press.

Les statistiques sont disponibles avec un délai de 48 à 96 heures et sont mises à jour quotidiennement en semaine.

Le chargement des statistiques peut être long.