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Numéro
Pédagogie Médicale
Volume 24, Numéro 1, 2023
Page(s) 61 - 68
Section Concepts et Innovations
DOI https://doi.org/10.1051/pmed/2022035
Publié en ligne 22 février 2023

© SIFEM, 2023

Introduction

Il existe aujourd’hui un consensus quant à la promotion de l’éducation interprofessionnelle (EIP) pour favoriser le développement de la collaboration interprofessionnelle dans le domaine de la santé. Celle-ci permet, en effet, d’assurer des soins plus sûrs, de meilleure qualité et mieux coordonnés [1]. Crée en 2013, le Centre interprofessionnel de simulation (CiS) de Genève a développé un programme d’éducation interprofessionnelle destiné aux étudiants en formation initiale en médecine, nutrition et diététique, pharmacie, physiothérapie, sage-femme, soins infirmiers et technique en radiologie médicale, ainsi qu’aux professionnels en formation continue. Les avantages respectifs de l’apprentissage expérientiel [2] et de l’apprentissage en équipe ont encouragé le recours à la simulation interprofessionnelle (Sim-IP) comme dispositif d’enseignement et d’apprentissage de la collaboration interprofessionnelle [3]. Pour optimiser l’efficience du recours à la simulation dans le cadre de l’EIP, il est nécessaire de former les formateurs [4] qui n’ont pas forcément bénéficié de ce type d’enseignement lors de leur propre formation et ce, d’autant plus qu’ils interviennent en binômes interprofessionnels pour la facilitation de ces simulations (co-facilitation). C’est pourquoi le CiS a développé un programme de formation adapté à leurs besoins.

Problématique

Les formateurs en Sim-IP doivent disposer de compétences de facilitation en simulation mais aussi de solides connaissances des référentiels de compétences en collaboration interprofessionnelle et des modèles de travail en équipe. Pour les enseigner, ils doivent pouvoir développer des compétences en éducation interprofessionnelle. Eu égard à l’ensemble des compétences et connaissances à déployer, la facilitation en Sim-IP est considérée comme difficile et exigeante [5], d’autant plus lorsqu’elle est réalisée en binôme par des formateurs de professions différentes, nommés co-facilitateurs, comme cela se pratique au CiS. En effet, cela nécessite, outre des compétences individuelles, de considérer les enjeux collaboratifs au sein du binôme de formateurs.

De telles exigences sont accréditées par des données recueillies auprès de 70 formateurs en Sim-IP au CiS. Les observations mettent en évidence que la co-facilitation est souvent peu structurée et que les interactions entre formateurs sont relativement pauvres en contenu et rares en fréquence. Ces premières observations ont été complétées par les résultats d’enquêtes menées auprès des formateurs, qui relèvent deux principales sources de difficultés : leur manque de connaissance des référentiels de compétences en collaboration interprofessionnelle et la complexité de la co-facilitation en binôme interprofessionnel. Les formateurs évoquent aussi leurs difficultés à relier trois éléments : les observations de la collaboration interprofessionnelle réalisées pendant le déroulement du scénario, les compétences interprofessionnelles mises en œuvre et les outils et stratégies du modèle de travail en équipe enseigné avec les objectifs d’apprentissage définis. Selon les formateurs, cette difficulté semble diminuer avec le nombre de Sim-IP pratiquées. Enfin, ils soulignent la difficulté de coordination entre formateurs. Par exemple, ils rapportent que le fil de la discussion peut être interrompu par l’un d’eux ou encore que la contribution du co-facilitateur n’est pas toujours prise en considération. L’ensemble de ces données renforce la nécessité de développer la formation des formateurs pour pallier cette problématique.

Objectifs

Pour soutenir le développement des compétences des formateurs et répondre à leurs besoins, le CiS a élaboré un programme de formation de formateurs en Sim-IP. Il vise à accroître l’efficacité des formateurs afin d’augmenter la portée pédagogique des Sim-IP pour les apprenants.

La présente contribution vise à présenter les orientations conceptuelles de ce programme, tel qu’il est mis en œuvre au CiS de Genève, à en décrire les modalités opérationnelles et à documenter de façon préliminaire l’évaluation du programme et ses retombées.

Description du programme de formation de formateurs en simulation interprofessionnelle

Cadre conceptuel

Le programme de formation développé au CiS s’adresse au formateur en santé et permet aux participants de développer leurs compétences (habiletés, connaissances et attitudes) en simulation, notamment en co-facilitation et en éducation interprofessionnelle pour animer un dispositif de Sim-IP.

Cette activité rassemble des étudiants ou des professionnels de santé issus de filières de formations différentes [6,7]. En reproduisant aussi fidèlement que possible un environnement et une situation de soins réels, l’activité de Sim-IP permet de développer des compétences pour la collaboration interprofessionnelle. Elle se déroule en trois parties. La première, le briefing, est la partie au cours de laquelle les formateurs annoncent les objectifs, règles et valeurs de l’activité. La deuxième correspond à la mise en activité d’une équipe d’apprenants de professions différentes, dans leur rôle professionnel, autour d’une situation clinique scénarisée (déroulement du scénario ou pratique simulée). Finalement, le débriefing est le temps d’échange autour des événements survenus durant le déroulement du scénario [8]. Il s’agit d’une discussion structurée conduisant à l’analyse réflexive de l’expérience vécue pendant le déroulement du scénario [9]. C’est l’opportunité d’explorer les actions qui se sont déroulées dans le but d’améliorer les performances dans de futures situations cliniques en guidant les apprenants dans une décontextualisation propice à la généralisation et au transfert dans d’autres situations [10].

Pour que cette activité soit propice à l’apprentissage, il est nécessaire qu’elle soit animée par des formateurs disposant des compétences requises. Le programme élaboré au CiS pour le développement de ces compétences s’appuie, entre autres, sur le guide d’évaluation du débriefing pour la simulation en santé (DASH©) [11]. Il tient également compte des recommandations de bonnes pratiques en simulation de la Haute autorité de santé, de l’International Nursing Association of Clinical and Simulation Learning et de la Best Evidence Medical Education Association [12]. Plus spécifiquement, la méthode de débriefing enseignée est fondée sur le modèle PEARLS (Promoting Excellence and Reflective Learning in Simulation) [13] qui s’effectue en quatre phases : réaction, description, analyse et résumé. Cette structure permet : 1) d’explorer et de décharger l’expérience émotionnelle de la simulation ressentie par les apprenants (réaction) ; 2) de s’assurer que les apprenants et les formateurs ont une représentation partagée de ce qui s’est passé pendant la simulation (description) ; 3) d’expliciter les actions des participants (analyse) et 4) d’ancrer les connaissances et de généraliser celles-ci à la pratique clinique (résumé).

Les compétences interprofessionnelles enseignées aux étudiants et aux professionnels sont définies en référence au consortium pan-canadien pour l’interprofessionnalisme en santé [14]. Elles concernent la communication, le travail d’équipe, le partenariat du patient, la clarification des rôles et des responsabilités, le leadership ou encore la résolution de conflits déclinés selon les outils et stratégies du modèle de travail en équipe désigné par la locution Team Strategies and Tools to Enhance Performance and Patient Safety (TeamSTEPPS®) [15]. Ces référentiels sont également utilisés dans le programme de formation de formateurs.

Dispositifs opérationnels

Ce programme de formation, qui s’adresse à tout formateur dans le domaine de la santé, permet aux participants d’acquérir des connaissances sur la simulation et ses fondements pédagogiques, les référentiels de compétences en collaboration interprofessionnelle, les modèles de travail en équipe et d’acquérir des compétences en EIP ainsi qu’en co-facilitation de Sim-IP.

Le programme se décline sur trois niveaux (Fig. 1) : 1) facilitation de simulation ; 2) éducation interprofessionnelle et 3) co-facilitation en Sim-IP. Le niveau 2 est spécifiquement conçu pour les cliniciens et enseignants intervenant dans le curriculum de formation interprofessionnelle, qui réunit les étudiants de la Haute école de santé de Genève, les facultés de médecine et de pharmacie. Au terme de la formation, les formateurs sont en mesure de faciliter les simulations interprofessionnelles sur lesquelles ils sont engagés. Ils peuvent aussi bénéficier d’un accompagnement lors de leurs premières séances de Sim-IP. Dans une visée de modèle de rôle d’animation interprofessionnelle, le CiS s’emploie à dispenser les ateliers de ces formations en binôme interprofessionnel. Dès lors, environ une quinzaine de personnes de l’équipe du CiS, ainsi que quatre intervenants extérieurs, sont impliqués dans les différents niveaux.

thumbnail Fig. 1

Programme de formation de formateur en simulation inteprofessionnelle.

Niveau 1 : facilitation en simulation

Ce niveau a pour objectif l’acquisition des connaissances et compétences nécessaires à la facilitation d’une session de simulation. Il est ouvert au public, dès lors qu’ils sont formateurs en santé. Durant cinq journées, les participants traversent, de façon structurée et illustrée, toutes les étapes du développement d’une session de simulation de sa conception à son évaluation (cf. Tab. I). La formation se fonde sur un apprentissage expérientiel où les participants mettent en application les concepts théoriques, les méthodes et les outils, dès que possible. Les contenus théoriques sont dispensés sur des périodes de 15 à 30 minutes et directement suivis de mise en pratique (exercice d’application, de réflexion, atelier pratique). Les dernières périodes (1 h 30–1 h 45) des trois premières journées sont dédiées à l’élaboration, en groupe interprofessionnel de cinq participants, d’un scénario de simulation. Guidée par un formateur expérimenté, la simulation est réellement mise en œuvre le cinquième jour de formation. Chaque groupe fait participer les membres d’un autre groupe à sa simulation. Elle est suivie d’une rétroaction (feedback) sur le fonctionnement du scénario, le débriefing et d’une discussion facilitée par un formateur expérimenté.

Le développement et l’animation d’une session de simulation permettent aux participants de comprendre le processus permettant l’alignement entre les objectifs pédagogiques et le débriefing. En effet, ayant défini les objectifs pédagogiques et le scénario propice à leurs atteintes, ils sont plus à même de faire le lien entre les observations réalisées pendant le déroulement du scénario, les compétences mises en œuvre, les outils et stratégies utilisés et les objectifs définis. Ce niveau permet de répondre aux difficultés évoquées par les participants.

Tableau I

Synthèse non exhaustive des contenus de la formation en simulation interprofessionnelle de niveau 1.

Niveau 2 : éducation interprofessionnelle

Ce deuxième niveau vise l’acquisition de compétences en EIP. Il s’adresse uniquement aux enseignants et cliniciens intervenant dans le curriculum interprofessionnel réunissant les étudiants en médecine, nutrition et diététique, physiothérapie, soins infirmiers, sage-femme, technicien en radiologie médicale et pharmacie de la Haute école de santé de Genève et de l’Université de Genève.

Dans le dernier module de ce curriculum, 14 simulations se déroulent en parallèle sur les 10 demi-journées dédiées. Pour une même simulation, les binômes de formateurs varient en fonction des jours. Ils co-facilitent des simulations de situations cliniques aiguës ou chroniques mettant toutes en jeu des compétences interprofessionnelles. Pour ce niveau, les ateliers sont dispensés selon le nombre de formateurs impliqués ainsi que leur niveau (novices ou expérimentés). Cela dépend aussi de l’intégration de nouveautés dans le dispositif ou dans les scénarios. Par exemple, en 2022, les pharmaciens ont rejoint le curriculum interprofessionnel prégradué, si bien que de nouveaux scénarios de simulation ont dû être créés et d’autres modifiés. Le contenu des ateliers a ainsi été adapté pour permettre aux formateurs de prendre connaissance des nouveautés et découvrir la formation des étudiants en pharmacie. Si la structure et les objectifs des ateliers restent sensiblement les mêmes, leur contenu est revu chaque année.

La structure consiste en trois ateliers de deux heures qui se déroulent à quelques semaines d’intervalle, complétés par un dispositif en ligne (e-learning). Dans le premier atelier, les participants sont formés au référentiel de compétences du consortium pan canadien pour l’interprofessionnalisme en santé ainsi qu’au modèle de travail en équipe TeamsSTEPPS. Ces contenus peuvent être revus à tout moment par les participants dans une ressource en ligne qui les synthétise. Ceux-ci s’appliquent aussi bien aux situations cliniques aiguës que chroniques et fournissent des outils documentés pouvant être utilisés en EIP.

Dans un deuxième atelier, les participants s’exercent à repérer, sur des vidéos de Sim-IP, des moments propices à l’apprentissage. Ils analysent les performances des équipes filmées, discutent des outils d’amélioration du travail en équipe qu’elles auraient pu utiliser. Cet atelier leur permet d’identifier plus rapidement les séquences ou interactions qu’ils devraient débriefer en regard des objectifs d’apprentissage définis dans le scénario. Ensuite, ils s’entraînent à mener un débriefing fictif en utilisant l’échelle de facilitation interprofessionnelle [16]. Elle leur permet de favoriser l’expression et la participation de chaque apprenant impliqué dans une situation de collaboration interprofessionnelle et de repérer les éventuels désaccords. Elle conduit ainsi à interroger les apprenants sur les questions de hiérarchies implicites et explicites, les relations de pouvoirs et les représentations professionnelles mobilisées lors de l’interaction.

Le dernier atelier est plus spécifique puisqu’il regroupe les différents formateurs autour des scénarios qu’ils seront amenés à co-faciliter. Ils prennent connaissance, en commun, des objectifs pédagogiques et du déroulement du scénario. Formateurs novices et expérimentés échangent sur les enjeux du scénario et les points de vigilance. En effet, les scénarios font émerger des interactions récurrentes, dans les différentes équipes, qui servent souvent de base au débriefing. Cela offre un cadre sécurisant pour les formateurs novices qui peuvent prendre appui sur ces éléments lors du débriefing. C’est également un temps de coordination entre les formateurs quant aux messages clés délivrés dans les différents groupes d’étudiants.

Ce niveau permet aux formateurs d’acquérir l’ensemble des connaissances nécessaires à l’enseignement en Sim-IP.

Niveau 3 : co-facilitation de simulation interprofessionnelle

Ce troisième niveau vise l’approfondissement des compétences en co-facilitation de Sim-IP. Il s’agit d’une formation de trois jours, ouverte au public. Pour bénéficier pleinement de la formation, il est attendu des participants qu’ils aient suivi le niveau 1 et qu’ils aient eu l’occasion de co-faciliter quelques débriefings de simulation. Ce niveau permet d’approfondir et d’exercer la facilitation en simulation, les compétences en éducation interprofessionnelle et la co-facilitation de Sim-IP.

L’apprentissage de la co-facilitation est approfondi au cours d’une première activité en deux étapes. Lors d’une première demi-journée, les participants réalisent un co-débriefing de Sim-IP. Pour cela, ils sont mis en situation avec deux apprenants simulés, formés spécifiquement pour cette activité qui jouent le rôle de participants, l’un médecin, l’autre infirmier. Les co-facilitateurs, en binôme interprofessionnel, réalisent le débriefing de la simulation à laquelle les deux apprenants simulés ont pris part. Les co-facilitateurs mettent ainsi en pratique, au cours de cette première étape, la gestion d’un co-débriefing tant au niveau de l’organisation des interventions de chacun que de leur participation respective à la structuration du débriefing et à l’atteinte des objectifs pédagogiques. Une attention particulière est portée à leur habileté à faciliter la réflexivité et à encourager la participation des apprenants simulés aux échanges. Le co-débriefing, filmé et enregistré, fait l’objet d’un débriefing de débriefing. Le débriefing de débriefing proposé au CIS peut-être défini comme « un processus d’analyse réflexive de la performance des formateurs dans la facilitation ou co-facilitation en simulation uni ou interprofessionnelle », celui-ci étant conduit par un formateur expérimenté. Tout comme le débriefing de simulation, il se pratique sous la forme d’une discussion structurée au cours de laquelle les formateurs sont guidés dans la compréhension, l’analyse et la synthèse de leur activité en tant que facilitateur ou co-facilitateur.

Durant la seconde étape, les participants visionnent l’enregistrement de leur co-débriefing et en effectuent, en binôme, une auto-analyse guidée. Ils utilisent un outil en cours de développement au CiS qui permet l’analyse et l’évaluation de la mise en œuvre d’indicateurs prédéfinis de co-facilitation de Sim-IP (T-CiS). Il offre également la possibilité d’estimer la contribution individuelle de chacun à la réalisation de l’indicateur. Cette seconde étape a pour but de susciter la réflexion du binôme sur sa performance en co-débriefing. Chaque membre du binôme dispose d’une grille qu’il remplit à titre individuel avec la possibilité d’échanger entre eux. Cet outil permet une analyse approfondie de la performance individuelle dans la mise en œuvre de chacun des indicateurs et de leur réalisation, ainsi que des forces et des faiblesses de chaque membre du binôme. La confrontation de cette auto-évaluation avec leur co-facilitateur peut les amener à réévaluer leur propre performance afin d’améliorer leur pratique. Ils sont supervisés dans cette activité par un formateur expérimenté.

Enfin, les participants s’entraînent à la co-facilitation d’un débriefing complexe de Sim-IP au cours duquel des apprenants simulés mettent en scène des comportements et attitudes posant un défi pour la facilitation du débriefing. Dans cette activité, l’un des apprenants simulés ne reconnaît pas sa mauvaise performance tandis qu’un autre se positionne en retrait. Bien que ce dernier connaisse parfaitement la procédure de prise en soin jouée pendant la simulation, il n’a pas réussi à s’imposer pendant celle-ci. Afin d’atteindre les objectifs d’enseignement des standards de prise en charge des patients (ici un arrêt cardio-respiratoire), les co-débriefeurs doivent utiliser des outils spécifiques de facilitation. Ils doivent amener le premier apprenant à prendre conscience de la réalité de sa performance et, dans le même temps, amener le second à s’exprimer, notamment sur ses connaissances de la procédure, afin de lui permettre d’identifier la façon dont il aurait pu procéder lors de la simulation pour être entendu. Dans ce contexte, les participants, à l’issue de l’exercice du co-débriefing complexe, bénéficient de nouveau d’un débriefing de débriefing qui vise l’amélioration de leur pratique face à des apprenants simulés difficiles.

L’un des aspects novateurs de cette formation est aussi d’offrir l’opportunité aux participants de bénéficier d’une rétroaction tant des formateurs que de leurs pairs dans une visée réflexive tout au long de la formation. Cette formation leur donne aussi l’occasion de s’interroger sur les enjeux collaboratifs inhérents aux binômes de co-facilitateurs de Sim-IP.

Au terme de cette formation, à la demande des participants, le CiS propose un accompagnement dans leurs premières activités de simulation. Formateur et participant définissent ensemble, au préalable, un ensemble d’indicateurs extraits de l’outil T-CiS sur lequel le formateur portera son attention. Le participant peut également discuter de ses difficultés. Les indicateurs et difficultés sont analysées au cours d’un débriefing de débriefing qui permet de remobiliser les connaissances enseignées durant la formation.

Retombées et évaluation du programme

La qualité des niveaux 1 et 3 est évaluée en routine par questionnaire auto-administré auprès de l’ensemble des participants en fin de formation ; le niveau 2 est évalué au travers des points relevés lors de la séance de bilan post-activité.

Nous présentons, ci-après, les dernières évaluations des niveaux 1 et 3 réalisées en 2022, auprès de 15 participants au niveau 1 et 8 au niveau 3. Elles sont dans la lignée des précédentes. De façon générale, les participants aux formations sont très satisfaits et ils en relèvent l’excellente qualité (93 % pour le niveau 1 et 100 % pour le niveau 2). Les objectifs sont évalués comme clairs avec une moyenne de 3,9/4 pour le niveau 1 et 3,8/4 pour le niveau 3. Tous les participants estiment avoir acquis les compétences visées. Les participants apprécient la pertinence des contenus par rapport à leur besoin de formation (M1 = 3,87/4 et M = 4/4 pour le niveau 3). Les modalités pédagogiques utilisées sont estimées comme facilitantes pour leurs apprentissages pour 80 % des participants au niveau 1 et 100 % au niveau 3. Ils indiquent tous que la formation est enrichissante et qu’ils pourront transférer leurs acquis dans leur pratique de formateur à court terme. Concernant l’encadrement, tous les participants sont extrêmement satisfaits. Ils relèvent en particulier la « qualité de l’accompagnement et des retours qui contribuent à leurs apprentissages et à leur progression ». Ils soulignent que les « formateurs mettent leur expertise au profit des apprentissages ».

Le niveau 2 ne fait pas l’objet d’une évaluation formelle. Néanmoins, lors du bilan des sessions de Sim-IP, les formateurs sont interrogés sur l’intérêt de la formation. Les points régulièrement évoqués concernent l’aspect rassurant « d’avoir pu échanger et questionner les formateurs expérimentés » sur leur façon d’animer les séances et les points d’attention à retenir. Ils relèvent que ces séances permettent de se familiariser avec les objectifs pédagogiques et la façon dont ils peuvent être travaillés en débriefing, le matériel à disposition et de rencontrer leur co-débriefeur (jusqu’à 10 binômes de formateurs différents par simulation). Ce temps de rencontre entre formateurs interprofessionnels de la même simulation est indispensable pour assurer la cohérence des contenus délivrés. Ils indiquent que cela permet aussi aux formateurs qui animent les mêmes simulations de se coordonner afin que les étudiants bénéficient tous des mêmes messages clés. Ces séances permettent aussi d’identifier les besoins de formation complémentaires qui sont ensuite introduites dans les différents niveaux.

Les retombées des formations en terme de compétences acquises sont en cours d’évaluation. Celle-ci est réalisée avec l’outil T-CiS développé au centre. Il s’agit d’une grille d’observation des comportements et attitudes attendues des formateurs lors des Sim-IP. Les premiers résultats mettent en évidence l’impact positif des formations, notamment une amélioration du repérage des actions de l’équipe à débriefer, une augmentation du recours aux techniques de questionnement propices à la réflexivité et un recours plus systématique aux référentiels de compétences et aux outils TeamSTEPPS.

Discussion

Le programme proposé permet de répondre à une demande croissante de formation des formateurs. Bien qu’il ne soit pas conçu comme un curriculum, les formateurs gagneraient à s’engager successivement dans les trois niveaux du dispositif. L’observation régulière des formateurs en simulation nous amène à considérer que ce programme permet néanmoins une meilleure qualité d’animation. Celle-ci se traduit par une attitude générale plus interprofessionnelle entre formateurs et à l’égard des étudiants, une gestion du groupe plus efficiente, une plus grande adéquation entre performance de l’équipe en simulation, objectifs du scénario et stratégies et outils enseignés, ainsi qu’une capacité plus importante à identifier des moments propices à l’apprentissage. Tant du point de vue des compétences nécessaires à la co-facilitation que celui des connaissances des référentiels sous-jacents à la pratique collaborative, les formateurs ayant suivi le programme peuvent être considérés comme ayant atteint un niveau intermédiaire d’animation de Sim-IP. Le niveau expert est atteint avec la pratique régulière et le recours au débriefing de débriefing.

La principale difficulté du programme concerne l’ajustement de ces trois niveaux au public qu’ils concernent. En effet, en fonction de la régularité de la pratique d’animation des formateurs, il arrive que le contenu des différents niveaux ne corresponde pas totalement à leurs besoins. Par exemple, pour un formateur occasionnel, qui n’est pas engagé dans la conception de simulations, le niveau 1 semble apporter un contenu trop approfondi sur la pédagogie de la simulation. Une sensibilisation pourrait s’avérer suffisante. De la même façon le niveau 3 requiert une pratique régulière de la co-facilitation pour que les formateurs bénéficient pleinement des compétences travaillées durant ces journées. Le niveau 2, dédié uniquement aux formateurs intervenant dans le curriculum interprofessionnel des étudiants des sept filières mentionnées plus haut, constitue un véritable défi. Il vise des formateurs qui pratiquent occasionnellement (une seule Sim-IP par année pour certains) et des formateurs régulièrement investis en Sim-IP. Pour que le dispositif de formation de ce niveau fonctionne, il est nécessaire que les formateurs expérimentés soient pleinement engagés auprès des formateurs novices et occasionnels. Néanmoins, comme cette formation est relative à un enseignement spécifique, au fil du temps les formateurs régulièrement impliqués n’investissent plus ces ateliers. Ils privilégient, pour certains, une approche individuelle d’appropriation des scénarios et effectuent un briefing avec leur binôme en dehors des ateliers.

Ces trois niveaux sont en constante évolution et adaptation en fonction des publics accueillis afin de répondre aux besoins des formateurs cliniciens, enseignants, par exemple. Il est vraisemblable que ce programme pourrait manquer de continuité si l’équipe ne faisait pas preuve d’agilité dans la conduite de ces formations. Actuellement, l’équipe du CiS réfléchit à créer un niveau 2 ouvert à tous formateurs en santé afin de l’ancrer comme incontournable dans l’évolution du programme.

Face aux enjeux identifiés, notamment, le faible temps alloué par les formateurs à leur propre formation et leur pratique irrégulière, le CiS a développé une formation d’unejournée. Celle-ci constitue une initiation à l’animation de simulation et permet de répondre aux besoins des futurs formateurs et à leurs contraintes de disponibilité. Elle s’adresse en particulier aux formateurs novices et occasionnels.

Conclusion

Le programme de formation de formateurs en simulation interprofessionnelle en trois niveaux, proposé par le CiS permet de soutenir la qualité de l’EIP, prérequis indispensable pour assurer l’efficience des équipes de soins dans un système de santé en pleine mutation. Ce programme centré sur les besoins des formateurs leur permet d’acquérir progressivement l’ensemble des compétences nécessaires à l’enseignement de la collaboration interprofessionnelle, notamment en simulation. Celles-ci se fondent sur l’intégration de compétences en facilitation et co-facilitation de Sim-IP, et de connaissances des référentiels de compétences en collaboration interprofessionnelle ainsi que des modèles de travail en équipe. Ce bagage de compétences et de connaissances apporte aux formateurs les outils pour dispenser une éducation interprofessionnelle de qualité.

Si un consensus politique et sanitaire existe concernant l’importance de la collaboration interprofessionnelle dans les soins et son enseignement, il s’avère nécessaire, dans ce moment de transition, d’investir des ressources pour former des formateurs qualifiés à enseigner l’interprofessionnalité. C’est pourquoi le CiS offre non seulement des formations mais aussi des outils (dispositifs hybrides − blended-learning –, outil T-CiS) pour le développement des compétences des formateurs en éducation interprofessionnelle.

Enfin, les compétences collaboratives ne doivent pas se limiter au milieu de l’enseignement mais être transférées et pérennisées dans les milieux cliniques. Les instituts de formation doivent donc déployer des stratégies pour multiplier les opportunités pédagogiques et les liens avec les lieux de soin. C’est à cette condition que la culture collaborative interprofessionnelle pourra se diffuser et modifier durablement les pratiques cliniques.

Contributions

Patricia Picchiottino est co-conceptrice et responsable du programme de formation. Robert Doureradjam, Jean-Pierre Bosson, Adeline Paignon et Joanne Wiesner Conti ont participé à la conception, au déploiement et aux ajustements du programme formation. Joanne Wiesner Conti et Adeline Paignon ont conduit le processus de recueil et d’analyses des données d’enquête. Le texte a été co-écrit et relu par l’ensemble des auteurs selon un processus de rédaction collaboratif.

Liens d’intérêts

Aucun des auteurs ne déclare de conflit d’intérêts en lien avec le contenu de cet article.

Approbation éthique

Non sollicitée car sans objet.

Remerciements

Les auteurs remercient l’ensemble de l’équipe des formateurs du Centre interprofessionnel de simulation de Genève, les formateurs de la Haute école de santé de Genève, de la faculté de médecine et des Hôpitaux universitaires de Genève, ainsi que tous les participants au programme de formation.

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Citation de l’article : Wiesner Conti J, Picchiottino P, Doureradjam R, Bosson J-P, Paignon A. Programme de formation de formateur en simulation interprofessionnelle. Pédagogie Médicale 2023:24;61-68

Liste des tableaux

Tableau I

Synthèse non exhaustive des contenus de la formation en simulation interprofessionnelle de niveau 1.

Liste des figures

thumbnail Fig. 1

Programme de formation de formateur en simulation inteprofessionnelle.

Dans le texte

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