Numéro |
Pédagogie Médicale
Volume 21, Numéro 1, 2020
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Page(s) | 5 - 12 | |
Section | Recherche et perspectives | |
DOI | https://doi.org/10.1051/pmed/2020027 | |
Publié en ligne | 5 août 2020 |
Développement du sentiment d’efficacité comme psychothérapeute chez les résidents en psychiatrie
Development of self-efficacy as a psychotherapist among psychiatric residents
1
Département de psychiatrie, Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke,
580 Bowen Sud,
J1G 2E8
Sherbrooke,
Québec, Canada
2
Département de pharmacologie et physiologie, Faculté de médecine et des sciences de la santé Université de Sherbrooke,
12e avenue Nord,
J1H 5N4
Sherbrooke,
Québec, Canada
3
École des sciences infirmières, Faculté de médecine et des sciences de la santé, Université de Sherbrooke,
12e avenue Nord,
J1H 5N4
Sherbrooke,
Québec, Canada
* Correspondance et offprints : Valérie BOILY. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux (CIUSSS) de l’Estrie – Centre Hospitalier Universitaire de Sherbrooke, Hôtel-Dieu. 580 rue Bowen Sud J1G 2E8 Sherbrooke (Québec), Canada. Mailto : valerie.boily@usherbrooke.ca.
Reçu :
24
Mai
2019
Accepté :
10
Juin
2020
commentaires éditoriaux formulés aux auteurs le 13 mars et le 8 juin 2020
Problématique : Le sentiment d’efficacité du psychothérapeute (SE-PSY) de Larson et Daniels est un concept dérivé du sentiment d’efficacité personnelle de Bandura, largement appliqué pour l’apprentissage de la psychothérapie chez les psychologues. À notre connaissance, aucune étude ne s’est adressée au SE-PSY chez les résidents de psychiatrie, qui ont la particularité d’être d’abord médecins plutôt que psychothérapeutes. Objectif : L’objectif principal de notre étude était de décrire les composantes du SE-PSY chez les résidents de psychiatrie, lors des premières expériences de psychothérapie. Méthodes : Cette étude a utilisé un devis qualitatif descriptif. Les participants étaient interrogés sur leur expérience de l’apprentissage de la psychothérapie et sur le SE-PSY. L’analyse des données a été effectuée en utilisant l’approche de la théorisation ancrée. Résultats : Les neuf participants étaient âgés entre 25 et 31 ans et avaient une expérience de deux à sept suivis de psychothérapie. L’analyse qualitative a permis de mettre en lumière quatre composantes liées au SE-PSY, soit : le contexte de la résidence, l’insécurité initiale, l’environnement de supervision et le vécu d’expériences structurantes. Conclusion : Les résultats montrent que l’apprentissage de la psychothérapie et le SE-PSY s’articulent de façon particulière chez les résidents en psychiatrie. Ces résultats apportent des indications précieuses concernant les éléments à mettre en avant afin non seulement de favoriser le développement du sentiment d’efficacité du psychothérapeute chez les résidents en apprentissage, mais aussi de valoriser auprès de ceux-ci cette responsabilité professionnelle.
Abstract
Background: Counselor self-efficacy is described as the therapist’s expectations of, and confidence in, the successful mastery of those skills specific to the effective practice of psychotherapy. This concept from Larson and Daniel was inspired by Social cognitive theory from Bandura, that is largely used by the psychologists in the learning of psychotherapy. To date, no studies have addressed the training experience of psychiatry residents who have the distinction of being medical doctors before being psychotherapists. Objective: Given this specific context, the main objective of our study was to describe the components of counselor self-efficacy among residents of psychiatry, during the first experiences of psychotherapy. Methods: We used a descriptive-qualitative type of research. Participants were interviewed on their learning experience of psychotherapy and the counselor self-efficacy concept. Interviews where analyzed based on the grounded theory. Results: The nine participants were aged between 25–31 years old and had two to seven years of experience performing psychotherapy. The analysis helped us to highlight four specific elements related to the counselor self-efficacy concept: the context of the residency, initial insecurities, supervision environment, and structuring experiences. Conclusion: Results showed that the developing process of psychotherapist self-efficacy in psychiatry resident is articulated in a particular way. This study provides valuable insights on specific elements that can be used to improve the development of psychotherapist self-efficacy of learning psychiatrists and to promote this professional responsibility.
Mots clés : psychothérapie / résidents / psychiatrie / sentiment d’efficacité personnelle / pédagogie médicale
Key words: psychotherapy / resident / psychiatry / counselor self-efficacy / medical pedagogy
© SIFEM, 2020
Introduction
La psychothérapie a longtemps été l’outil thérapeutique privilégié des psychiatres et, à ce titre, placée au cœur de la formation en psychiatrie. Dans les dernières décennies, les avancées dans le domaine de la neurobiologie et de la pharmacologie ont conduit à réduire une partie du temps auparavant consacré à l’enseignement de la psychothérapie, au profit de l’enseignement de ces nouveaux champs de connaissances. Dans ce nouveau contexte, certains auteurs se questionnent sur ce qu’il adviendra des connaissances et de la compétence en psychothérapie de la prochaine génération de psychiatres [1,2].
Pour l’Association canadienne de psychiatrie, la psychothérapie fait partie intégrante de la prestation de soins psychiatriques. La formation dans ce domaine revêt une importance capitale dans l’exercice de la profession de psychiatre selon les règles de l’art [3]. De son côté, le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada (CRMCC) maintient de hautes exigences en termes de compétences en psychothérapie, incluant l’exigence d’un niveau d’expertise dans les principales approches psychothérapeutiques [4]. Principalement, le futur psychiatre doit pouvoir évaluer la pertinence d’une grande variété de traitement psychologiques, les prescrire et les dispenser. Selon le cas, on vise à cet égard la compétence, la connaissance ou la connaissance initiale. Le tableau I énumère en détails ces objectifs de formation.
Le sentiment d’efficacité du psychothérapeute
Dérivé du concept de sentiment d’efficacité personnelle de Bandura [5], le sentiment d’efficacité du psychothérapeute (SE-PSY) concerne les croyances du psychothérapeute au sujet de sa capacité à mettre en pratique des actions psychothérapeutiques et à négocier des situations cliniques complexes dans un futur proche. Selon le modèle de Larson et Daniels [6], le SE-PSY est considéré comme le principal déterminant de l’efficacité de l’action thérapeutique. Il est lié à l’anxiété du psychothérapeute, à sa performance, de même qu’à l’environnement de supervision. Les croyances sous-jacentes au SE-PSY influenceraient le choix des actions à poser, les efforts déployés et la persistance face à l’échec, de même que la prise de risque [6].
Chez les psychothérapeutes ou intervenants de disciplines connexes, le SE-PSY et les variables associées ont été amplement étudiés. Le SE-PSY augmente avec la durée de formation théorique et de pratique supervisée [7–10]. De plus, il varie selon le style de supervision [11], le comportement du patient [12] ou encore les caractéristiques personnelles du psychothérapeute [13]. Enfin, les premières expériences de psychothérapie seraient un moment clé du développement du SE-PSY [8,9].
Une enquête canadienne menée auprès de résidents en psychiatrie [14] suggère que le sentiment de compétence en psychothérapie en fin de résidence – désignée « internat » dans certains pays – serait lié à la satisfaction globale concernant la formation et la supervision. Les résidents qui se sentent incompétents auraient tendance à envisager de ne pas pratiquer la psychothérapie lorsque leur formation sera terminée. À notre connaissance, il s’agit de la seule étude ayant abordé le sentiment de compétence chez les résidents de psychiatrie. Cela dit, le concept y est évoqué, sans toutefois être ni défini ni précisé.
Objectif
Étant donné la pertinence démontrée du concept de SE-PSY chez les futurs professionnels en apprentissage de la psychothérapie, il semble prometteur de le documenter afin de mieux comprendre l’expérience des résidents de psychiatrie. Le but de cette étude était donc d’explorer et de décrire les composantes du SE-PSY chez les résidents de psychiatrie lors des premières expériences de psychothérapie.
Méthodes
Devis méthodologique
Cette étude a utilisé un devis qualitatif descriptif à visée exploratoire. L’approche choisie était celle de Sandelowski [15], qui propose un processus inductif où un événement est étudié à partir de la perspective de ceux qui le vivent, afin d’en tirer un résumé complet dans le langage propre au phénomène.
Recrutement et échantillon
Un échantillon de convenance, composé de résidents en psychiatrie d’un centre hospitalier universitaire, a été constitué. Tous les résidents ont été formés à la psychothérapie au sein du même programme. Le contenu de cette formation est basé sur les exigences du Collège Royal des médecins et des chirurgiens du Canada (CRMCC) [4] (Tab. I). Il est dispensé de façon longitudinale. Dès la deuxième année, les résidents reçoivent une supervision de type cognitivo-comportementaliste et une autre de type psychodynamique, en petits groupes. Ensuite, en troisième année, ils sont exposés à la thérapie familiale et, selon leur milieu de stage, aux approches cognitivo-comportementales de troisième génération ou à la thérapie interpersonnelle. Ensuite, en quatrième et cinquième années, ils peuvent recevoir une supervision individuelle ou faire un stage davantage axé sur la psychothérapie. Les supervisions se font parfois dans le contexte d’une hospitalisation mais surtout avec des patients en suivi externe. Dans le cadre de notre projet, les résidents de troisième à cinquième années ont été ciblés afin de s’assurer que les participants aient l’expérience d’au moins deux suivis psychothérapeutiques complétés. Il n’y avait pas de critère d’exclusion. Le projet a d’abord été présenté lors d’une rencontre de groupe, puis les résidents ont été invités par courriel à participer.
Collecte et analyse des données
Une entrevue semi-dirigée par participant a été effectuée. Les entrevues étaient audio-enregistrées et réalisées à l’aide d’un guide d’entrevue ouvert initialement, construit à partir de la littérature sur le SE-PSY. Voici des exemples de questions initiales : « Décrivez-moi l’expérience de psychothérapie la plus significative pour vous » ; « Qu’est-ce que vous identifiez comme étant des éléments qui vous ont amené à vous sentir à l’aise dans votre rôle de psychothérapeute ? ». Les entrevues avaient une durée moyenne de 75 minutes. Par la suite, un questionnaire sociodémographique était administré. Les entrevues ont été transcrites sous forme de verbatim, puis analysées selon les techniques de la théorisation ancrée décrites par Boeije [16]. Ce système itératif permet de dégager les principales catégories thématiques, de même que les relations qui pourraient exister entre elles. La collecte et l’analyse des données se terminent lorsque les catégories sont clairement distinctes les unes des autres, et qu’aucune nouvelle donnée ne vient les modifier. Le processus d’analyse a été réalisé par les trois auteurs. La chercheuse principale est psychiatre, la deuxième auteure possède une expertise en méthodes qualitatives et le troisième auteur a apporté un point de vue en tant qu’expert enseignant au programme de psychiatrie. Les catégories présentées dans les résultats sont issues du consensus entre ces trois chercheurs.
Considérations éthiques
Les données ayant été collectées en contexte de formation, l’anonymat des participants et des personnes nommées dans les entrevues par ceux-ci a été assuré. Un formulaire de consentement libre et éclairé a été signé par chaque participant. Cette étude a été approuvée par le comité d’éthique de la recherche (CÉR) Éducation et sciences sociales de l’Université de Sherbrooke.
Résultats
Profil des participants
Neuf entrevues semi-structurées ont été nécessaires afin d’obtenir la saturation des catégories, représentant neuf des onze résidents ciblés. Un résident a dÛ être récusé en raison de l’éloignement géographique. Un second résident a refusé en raison de craintes par rapport à la confidentialité. Les participants étaient âgés entre 25 et 31 ans et avaient une expérience de deux à sept suivis de psychothérapie. Tous sont d’origine canadienne. Trois sont de sexe masculin et six de sexe féminin.
Composantes associées au SE-PSY chez les résidents de psychiatrie
Quatre thématiques liées au développement du SE-PSY ressortent de l’analyse des données : le contexte de la résidence, l’insécurité initiale, l’environnement de supervision et le vécu d’expériences structurantes. (Fig. 1).
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Fig. 1 Thématiques liées au développement du sentiment d’efficacité du psychothérapeute (SE-PSY). |
Le contexte de la résidence
La formation médicale
Lorsqu’il commence sa formation postdoctorale, le résident est imprégné de sa formation médicale. Il a été formé à poser des diagnostics selon des critères précis et à suivre des guides de pratique. Dans l’apprentissage de la psychothérapie, les résidents sont surpris par l’hétérogénéité des opinions en ce qui a trait à qui doit dispenser la psychothérapie et comment la dispenser. Ils expliquent que dans un contexte académique où la pression de d’exercer de façon performante est omniprésente, ils ont appris à dissimuler leurs incertitudes. Le participant 8 illustre comment le niveau d’intériorisation de la culture médicale influence le vécu dans les premières expériences de psychothérapie :
« J’étais un médecin puis je traitais des maladies, c’était la vision que j’avais de la psychothérapie au départ, pas que ça servait à rien ou que c’était inutile, mais que c’était pas ma job ». P8
Le contexte d’apprentissage de la psychothérapie
Pour les résidents, l’apprentissage de la psychothérapie s’insère dans un lourd curriculum de formation. Alors que tous étaient conscients des compétences à acquérir en psychopathologie et en pharmacologie, plusieurs ne connaissaient que peu les exigences liées à la psychothérapie. Conformément aux exigences de formation du CRMCC, l’apprentissage de la psychothérapie se fait de façon concomitante aux stages cliniques et de recherche. Certains suivis thérapeutiques ont lieu à l’intérieur même d’un stage clinique, ce qui permet un contact fréquent avec le superviseur et une plus grande cohérence entre les apprentissages. Les résidents indiquent que cette façon de faire facilite leur apprentissage. Par contre, dans le milieu étudié, les stages cliniques étant d’une durée de trois à six mois, parfois en région éloignée, les suivis étaient parfois interrompus précocement. Ceci engendrait un sentiment de travail non accompli, l’accès à l’évolution du patient étant alors limité ou biaisé :
« Quand on change tout le temps d’un stage à l’autre, sans qu’il y ait de continuité, c’est difficile de voir les résultats de ce qu’on fait, ou on les voit quand ils reviennent à l’hôpital, ce qui n’est pas toujours positif ». P5
Par ailleurs, la structure du programme peut aussi diminuer l’exposition :
« J’aurais aimé en faire plus mais comme nous sommes souvent des [blocs de] trois mois à l’extérieur, ça limite la disponibilité à faire des thérapies à plus ou moins long terme ». P1
Le double discours
Les résidents perçoivent un écart entre ce qui est exprimé par les superviseurs quant à l’importance de la psychothérapie et l’importance qui lui est réellement accordée dans la pratique de tous les jours :
« J’ai l’impression qu’il y a un double discours : il y a ce qu’on nous dit, puis ce qu’on perçoit. J’ai l’impression qu’on nous dit que la psychothérapie c’est super important, puis qu’il faut en faire puis tout ça, mais, […] j’ai pas l’impression que les patrons, eux-mêmes, en font, ou font ce qu’il faut pour en faire […] ». P1
Ainsi, même si les superviseurs valorisent la psychothérapie comme outil clinique et thérapeutique, les résidents détectent une hiérarchisation dans l’importance des connaissances et compétences à acquérir. La pharmacothérapie, la capacité diagnostique et la qualité du travail clinique semblent prioritaires. Ils perçoivent qu’il est toléré d’être moins compétent en psychothérapie, alors qu’il est inacceptable d’être faible en évaluation et en pharmacologie.
L’insécurité initiale
Le sentiment de l’imposteur
Certains résidents ont l’impression de « tromper » leur patient en se faisant passer pour un psychothérapeute, rôle auquel ils ne s’identifient pas au départ : ils se sentent imposteurs. Ce sentiment est plus marqué lors des premières expériences, mais aussi lors d’un changement d’approche thérapeutique. Ils décrivent se sentir dépourvus et ont l’impression de manquer de connaissances.
« Tu sais, avec les médicaments, on fait des tests en laboratoire avant, mais en thérapie, c’est tout de suite testé sur des humains et nous, on n’a aucune expérience. Je me dis, ces patients-là, ils méritent d’être traités par des gens qui ont de l’expérience ». P3
La crainte de nuire au patient
L’autre versant de l’insécurité initiale est la crainte de nuire. Les résidents ont peur de « faire perdre son temps » au patient ou d’aggraver son état. Ils sont conscients de la fragilité de leur clientèle. Ils redoutent d’ouvrir un sujet délicat puis de ne pas savoir comment accompagner le patient. Considérant leur expérience insuffisante, ils craignent que leurs interventions augmentent la souffrance du patient, et de ne pas savoir la gérer.
« Il y a la peur aussi d’empirer les patients, parce que, quand on commence la psychothérapie, on pense que ça va bien aller, mais il y a un moment donné où on se rend compte que, on peut aussi nuire aux patients, puis là ça devient d’autant plus stressant parce que, moi j’étais plus conscient que je pouvais aussi nuire ». P1
« [j’ai peur] d’aller dans des enjeux que t’es pas nécessairement à l’aise d’explorer, puis que tu sais pu trop comment récupérer ça, […] ça peut nuire, ça peut faire des séances où que ça finit mal ». P6
L’environnement de supervision
Le choix du patient
Les résidents considèrent comme crucial d’être impliqués dans le choix de leurs patients. Il est important pour eux de comprendre en quoi l’approche thérapeutique est indiquée pour ce dernier. Lors d’une première expérience, ils aiment « avoir du défi », mais pas se retrouver avec un patient qui, par exemple, met constamment en échec son psychothérapeute. Certains racontent avoir dû suivre un patient peu souffrant et donc peu motivé. D’autres rapportent des expériences où un patient s’est détérioré dans sa pathologie. Le vécu d’une telle expérience en début d’apprentissage a mené certains résidents à diminuer leur exposition et la prise de risque.
[en parlant d’un patient trop complexe] : « Tu commences dans une position de grande vulnérabilité, où t’as aucune compétence ni connaissance. (…) on te met un cas qui est comme beaucoup trop haut pour ce que tu es capable, puis je sais pas, moi quand j’ai commencé à jouer au basket, je lançais pas à 10 pieds, j’ai commencé à 5 pieds, j’ai augmenté avec le temps (…) ». P6
Le type de supervision
Les résidents décrivent principalement deux modes de supervision. D’abord, la supervision individuelle est plus intime et donne davantage de temps pour discuter. Il y est aussi plus facile de s’ouvrir sur les éléments contre-transférentiels. Les limites de ce type de supervision sont liées à la disponibilité du superviseur, à la compatibilité avec ce dernier et à la recherche d’approbation de sa part. Par ailleurs, la supervision de groupe permet d’élargir l’apprentissage via l’accès à l’expérience des autres membres du groupe. Les résidents apprécient la normalisation engendrée par l’exposition au vécu des collègues et aussi le fait de pouvoir recevoir de la rétroaction de leurs pairs. Selon eux, la taille idéale d’un groupe serait de trois ou quatre membres. Dans le cadre d’une supervision de groupe, ils apprécient que le superviseur partage sur les façons d’appliquer des éléments théoriques dans leurs suivis. Les limites liées à ce type de supervision sont un possible climat de rivalité entre les membres du groupe et le manque de temps pour aborder le contenu de chaque suivi :
« Je pense(que) seul à seul, c’est là que tu es le plus à l’aise probablement pour tout dire, tout ce que tu as vécu, tu sais des fois (…) t’as comme des malaises, puis là bon c’est quoi ce malaise-là ? Si tu l’explores devant un groupe, c’est un peu malaisant de dire (…), je sais pas, s’il y a des enjeux transférentiels érotiques (…) mais je trouve (…) que pour des modalités de thérapie, comme la thérapie familiale, c’était pertinent qu’on soit en groupe, parce qu’il y a beaucoup de choses qui se passent en même temps, il y a beaucoup de monde, puis tout le monde voit ça différemment, puis ça c’est vraiment très pertinent ». P6
Le style du superviseur
Nous avons interrogé les résidents sur ce qui caractérise un superviseur qui soutient leur apprentissage. La présence et la disponibilité sont des éléments présents dans toutes les entrevues. Ils apprécient un bon dosage entre le renforcement positif, la réassurance et la rétroaction constructive. Certains ont indiqué apprécier l’accès à plus d’un type de superviseur (ex. : un psychiatre et un psychologue pour un même cas), ce qui diversifie les perspectives.
« (…) il y avait Dr X qui était très bonne dans l’application puis un peu plus la théorie, puis en même temps, il y avait Dr Y, qui avait un côté d’expérience plus grand puis qui amenait un point de vue souvent différent puis complémentaire de celui de Dr X (…) ». P1
Le superviseur comme modèle de rôle
Les résidents ont de la difficulté à se représenter ce qu’est un suivi de nature psychothérapeutique. Ceux qui ont pu assister à des séances psychothérapeutiques menées par un superviseur ont constaté que cela aidait à mieux se représenter la tâche et à comprendre comment les techniques de psychothérapie sont intégrées dans la tâche quotidienne d’un psychiatre.
« Dr X, (…) faisait certaines interventions familiales lorsqu’elle était en hospitalisation, je dois avouer que sur le moment je me disais – ben voyons donc, pourquoi elle fait ça (…) mais en fait, c’était hyper enrichissant quand j’y repense (…) puis il y avait Dr Z. qui allait de l’autre côté du miroir pour faire des interventions, je pouvais m’identifier à ce rôle-là, je trouvais que ça faisait du sens. ». P7
Le vécu d’expériences structurantes
Les résidents décrivent certains moments clés à la suite desquels ils ont réalisé l’importance de la psychothérapie. Cette expérience donne du sens au processus thérapeutique et résout l’ambivalence initiale envers l’utilité du processus et la pertinence des interventions. Ils se repèrent et ainsi structurent mieux leurs interventions. Ils sentent que la psychothérapie aide leur patient, ce qui fait du sens dans leurs rôles de médecin.
« C’est quand j’ai vu que le patient faisait des changements dans sa vie (…) je me suis laissé aller dans mon instinct puis dans ce que j’avais comme connaissances, parce qu’à un moment donné aussi, ben, c’est sûr j’ai lu un peu plus, j’ai eu plus de sentiment de compétence puis là, je savais un peu plus comment intervenir (…) ». P3
Le moment structurant n’est pas toujours positif. Il s’agit parfois d’un moment de crise, par exemple une détérioration subite du patient, nécessitant un soutien accru du superviseur, ou un réajustement du focus thérapeutique. Il peut aussi s’agir d’un contre-transfert négatif exploré en supervision et à la suite duquel une nouvelle compréhension a émergé.
Généralement, l’expérience structurante survient dans le cadre d’un suivi, par exemple : la création d’une alliance, une expérience de supervision positive ou un patient qui s’est investi subitement dans le processus de changement. Certains décrivent une expérience moins ponctuelle, comme un suivi où le patient a particulièrement bien évolué. À la suite de cette expérience, ils rapportent une meilleure compréhension du processus et une augmentation de la confiance et de l’intérêt.
Discussion
Signification des résultats
Notre étude révèle que les résidents perçoivent des incohérences entre les attentes du CRMCC et ce qu’ils observent dans la pratique des psychiatres expérimentés. La formation médicale, bien intégrée chez les résidents de psychiatrie, est fondée sur des modalités qui leur semblent à première vue incompatibles avec les exigences de la psychothérapie. Ceci augmente l’insécurité initiale. De plus, la culture des programmes de médecine, hautement compétitive, crée un environnement où les manifestations de manque de connaissances et les demandes d’aide sont découragées. Cette conjoncture favorise chez les résidents un sentiment d’incompétence qui se traduit notamment par la crainte de nuire au patient.
La supervision est, tel qu’attendu, d’une grande importance pour le développement du SE-PSY. L’accumulation d’expériences de psychothérapie supervisées permet d’engendrer le moment structurant, qui transformera les anticipations négatives et l’insécurité en une perspective nouvelle où elle apparaît alors comme essentielle au rôle du psychiatre, afin de traiter les patients de façon optimale.
Cela dit, tout comme cela a été observé chez les psychothérapeutes non psychiatres, les expériences de supervision [9], le style du superviseur [11] et la durée de la formation théorique et pratique [7,8,10,11] semblent avoir un effet positif sur le SE-PSY. Ces éléments améliorent le SE-PSY en favorisant, lors d’un moment structurant, la réconciliation entre le rôle de médecin et celui de psychothérapeute. Les morceaux du casse-tête se rejoignent enfin. Le résident de psychiatrie se sent efficace comme médecin, ayant réalisé une psychothérapie qui a traité un patient avec succès. À la suite du moment structurant, les résidents ont témoigné d’une prise de liberté face à la technique et d’une augmentation de la confiance et de l’intérêt, ce qui rejoint le modèle de Larson et Daniels [6]. Ceci est important pour la pratique future, Hadjipavlou et Ogrodniczuk ayant constaté que cela augmentait les chances que la psychothérapie soit intégrée à la pratique une fois la formation terminée [14].
Bien entendu, le SE-PSY ne dépend pas que de facteurs liés à l’environnement d’apprentissage. Bien que cela n’ait pas été évalué dans notre étude, les propos des résidents laissent entendre que des facteurs personnels influenceraient le SE-PSY, par exemple les attitudes initiales envers la psychothérapie. Rappelons que ces résultats sont exploratoires et constituent le début d’une meilleure compréhension du développement du SE-PSY chez les résidents de psychiatrie. Il serait intéressant de répéter l’étude dans d’autres milieux afin de faire évoluer ces catégories vers un processus de développement du SE-PSY. Ceci pourrait également mener à l’élaboration éventuelle d’instruments de mesure du SE-PSY pour les psychiatres.
Par ailleurs, la présente recherche n’a pas spécifiquement abordé la dimension collective du sentiment de compétence, laquelle peut se retrouver aux niveaux de l’organisation générale de la formation en résidence (CRMCC), du département au sein duquel les résidents sont formés, du groupe de résidents en général, ou plus précisément des groupes de supervision ; ce dernier niveau est d’autant plus pertinent que les résidents y ont fait référence à la fois comme un soutien et comme une difficulté dans l’émergence du SE-PSY, et devrait certainement faire l’objet de recherches ultérieures sur le même sujet.
Forces et limites de l’étude
Plusieurs exigences méthodologiques, qui ont été satisfaites au cours de notre travail, concourent à établir la crédibilité et la fiabilité des résultats et de nos conclusions. Ainsi en est-il de la vérification de la saturation des données recueillies au cours des entretiens et de la mise en œuvre d’une triangulation des chercheurs ayant des compétences complémentaires, à l’étape de l’analyse des données. En revanche, le fait que le groupe des personnes interrogées réponde à un échantillon de convenance ou encore le fait que nous n’ayons pas sollicité de retour des répondants après l’analyse des données pourraient être considérés comme des éléments sources de certaines limites. Dans le cadre d’une étude exploratoire, ces réserves nous semblent toutefois de faible portée. Enfin, la transférabilité des résultats peut être appréciée au regard de la description du contexte d’étude que nous avons faite. En l’occurrence, elle peut être présumée acquise concernant des programmes de formation partageant les mêmes exigences du CRMCC, et organisés dans des cadres institutionnels et organisationnels présentant des similarités avec celui qui a constitué notre contexte d’étude.
Implications pour l’enseignement de la psychothérapie
Le fait que cette étude soit exploratoire n’exclut pas un début de réflexion concernant l’enseignement de la psychothérapie aux résidents de psychiatrie. Dans le tableau II, nous proposons des recommandations qui découlent de l’analyse des résultats de notre étude.
Recommandations pour l’enseignement de la psychothérapie.
Conclusion
L’apprentissage de la psychothérapie chez les résidents de psychiatrie se fait dans un contexte particulier. Le psychothérapeute débutant se trouve pris entre la singularité de son patient, son intuition, la crainte de lui nuire, le désir d’appliquer une approche spécifique et son propre rôle de médecin. Force est de constater que cet apprentissage est probablement le plus inconfortable dans le développement du rôle et de la compétence du futur psychiatre.
Contributions
Valérie Boily a participé à la revue de la littérature, à la conception du protocole de recherche, au recueil des données, à l’analyse et interprétation des données et à la rédaction du manuscrit. Marie-Claude Jacques a participé à la conception du protocole de recherche, à l’expertise scientifique pour la méthodologie, à l’analyse et à l’interprétation des résultats, et à la rédaction du manuscrit. Sylvain Grignon a apporté un soutien scientifique, a participé à l’interprétation des résultats et à la révision du manuscrit.
Liens d’intérêts
Aucun auteur ne déclare de conflit d’intérêts en lien avec le contenu de cet article.
Approbation éthique
Cette étude a été approuvée par le Comité d’éthique de la recherche (CÉR) en éducation et sciences sociales de l’Université de Sherbrooke.
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Citation de l’article : Boily V., Jacques M.-C., Grignon S. Développement du sentiment d’efficacité comme psychothérapeute chez les résidents en psychiatrie. Pédagogie Médicale 2020:21;5-12
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